Page images
PDF
EPUB

1791. constitution; mais, depuis, ses dispositions avoient changé, et il étoit alors plus attaché que jamais à l'une et à l'autre.

Ce changement étoit entiérement l'ouvrage des jacobins, qui répandoient avec adresse le bruit que les émigrés alloient rentrer en France, suivis d'une armée étrangère, à laquelle devoient se réunir tous les aristocrates du royaume. Ils accusoient ces derniers de former sans cesse des complots, d'entretenir des correspondances avec les puissances étrangères; ils disoient hautement, que tous les chefs de l'armée s'étoient engagés à livrer à l'ennemi les places fortes, et l'armée ellemême.

Tous ces rapports, qui, en tems de révolution, ne manquent jamais d'être accueillis par le peuple, sembloient mériter quelque confiance. Les royalistes restés en France, exhaloient leur juste vengeance en menaces publiques, qui justifioient, en quelque sorte, les alarmes répandues avec soin par les révolutionnaires, tandis que les royalistes émigrés, par leur imprudence, achevoient d'en donner la confirmation. La populace, dans toutes les villes, animée par des factieux, s'abandonnoit à tous les excès du jacobinisme.

La noblesse, les prêtres, et même tous les 1791. citoyens modérés, qui ne croyoient ni les violences,ni les clameurs séditieuses, nécessaires à l'affermissement de la constitution, étoient journellement exposés aux menaces, aux insultes de la canaille, et aux persécutions des jacobins. Les officiers de l'armée, injuriés et maltraités par leurs soldats, sur lesquels ils n'avoient plus même l'ombre de l'autorité, auroient tous, sans mes instances, quitté un état qui n'étoit plus ni honoré ni respecté, et qui les exposoit à des dangers continuels. Les mépris, les menaces, les mauvais traitemens, et même la perspective d'une mort ignominieuse, étoient les fruits amers de leur fidélité à leur devoir, et de leur attachement à leur souverain. Cependant, il se trouva très-peu d'apostats parmi eux, quoique la ruse et la violence aient été alternativement employées pour les séduire. Insensibles aux menaces, aux insultes et à la persécution, ils restèrent constamment fidèles à ce principe de l'honneur, qui avoit toujours été jusques-là le guide de leur conduite.

J'instruisis le roi des dispositions du peuple et de l'armée, et je le pressai plus vivement que jamais (s'il persistoit dans son projet) de

2791
791. solliciter l'appui d'un corps de

troupes autrichiennes. Je prévis que, même en supposant deux choses très-douteuses, c'est-à-dire l'arrivée du roi à Montmédi, et, dans une pareille circonstance, la modération de l'assemblée nationale et du parti constitutionnel, les jacobins parviendroient certainement à exciter un mouvement terrible. Il y a plus; le roi, depuis la mort de Mirabeau, n'ayant plus de partisan remarquable dans le côté gauche de l'assemblée, je ne doutai pas que, loin de prendre des mesures sages et modérées, le parti constitutionnel ne se réunît aux jacobins dans ce cas, avec d'aussi foibles moyens, il eût été impossible que je me maintinsse à Montmédi; et le roi, qui redoutoit pardessus tout une guerre civile, eût été obligé de quitter le royaume. Quoi qu'il en soit, il étoit alors inévitablement exposé à cette cruelle alternative; car les choses en étoient venues au point, et les esprits étoient dans une telle fermentation, que tout arrangement amical étoit devenu impossible.

Les nobles qui avoient quitté le royaume, augmentoient beaucoup mes craintes. Rassemblés sur la frontière, ils se flattoient d'opérer en peu de jours une contre-révolution

1

par la force, avec le secours des puissances 171. étrangères. Ignorant absolument la véritable situation de la France, ils prenoient la révolution pour une insurrection momentanée, et comptoient dans l'intérieur sur un parti, dont les ressources étoient purement imaginaires, ou plutôt qui n'exista jamais. J'étois encore effrayé des conseils donnés au roi par les courtisans qui l'environnoient. Je redoutois que les plaintes sans cesse renaissantes du clergé, de la noblesse et de la magistrature, justement indignés des barbares traitemens qu'on leur faisoit journellement éprouver, n'entraînassent enfin sa majesté dans des mesures dangereuses, contraires à la sagesse, à la prudence et à la fermeté qui, dans ces circonstances terribles, devoient être les seuls guides de sa conduite. En un mot, je ne voyois autour de moi que des difficultés presqu'insurmontables; tout présageoit des infortunes encore plus grandes que celles que nous avions déja éprouvées. Je voyois le roi et la monarchie entraînés, par une force irrésistible, vers leur destruction, et je me voyois obligé, en dépit de toute ma répugnance, d'être un des instrumens de cette épouvantable catastrophe; car le roi étoit

1791. devenu extrêmement méfiant et soupçonneux. Une malheureuse expérience ne lui avoit que trop fait connoître la bassesse, les trahisons habituelles, et la perfidie des hommes. Si je me fusse hasardé à lui exprimer une désapprobation absolue de son projet, si je lui eusse représenté, en termes trop forts, les dangers auxquels il s'exposoit lui-même, à l'ins tant, je n'en doute pas, il eût conçu des doutes

[ocr errors]

sur mon zèle et mon dévouement à sa cause. Que ma situation étoit pénible et effrayante ! Le succès de cette entreprise me paroissoit à-peu-près impossible, et je n'avois d'autre espoir que de voir sa majesté épouvantée des difficultés et des dangers de son projet, y renoncer au moment de l'exécution.

Dans le même tems, Lafayette, pour se soustraire à la fureur des jacobins, crut devoir donner lui même sa démission de la place de commandant de la garde nationale, parisienne. Vivement sollicité de la reprendre, par la municipalité, la garde nationale et tous les habitans de Paris, à l'exception de la plus. vile populace et des tribuns factieux qui la dirigeoient, il y consentit, et la conserva encore quelque tems, quoiqu'il eût perdu tout pouvoir, toute considération, et même tout crédit

[ocr errors]

sur

« PreviousContinue »