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791. » cette complaisance; mais je ne me crois » pas de titres suffisans pour la solliciter moi» même. Vous êtes son ami intime; personne >> ne peut mieux que vous me rendre ce service. » Adieu, mon cher cousin; tout à vous. LAFAYETTE. »

Ce Desmottes, pour lequel Lafayette, dont ! il avoit déja été l'aide-de-camp, sollicitoit le même grade auprès de M. de Gelb, commandant de l'Alsace, étoit, comme je l'ai observé plus haut, le confident et l'ami de Lafayette, qui en faisoit souvent un espion. Il m'avoit accompagné en cette qualité dans ma tournée aux frontières; il avoit surveillé avec soin ma conduite, et il en avoit rendu un compte exact à son protecteur. Comme c'étoit pour jouer le même rôle, qu'on vouloit le placer auprès de M. de Gelb, je l'en prévins. En conséquence, il refusa d'accepter ses services, et je trouvai moyen d'éluder la demande de Lafayette. Le 28 février, dont il me parle dans sa lettre, étoit le jour de son affaire avec Santerre, à Vincennes.

Ma réponse fut toute en complimens. J'évitai d'entrer dans aucune discussion importaste. J'étois alors plus que jamais convaincu

qu'il n'y avoit plus rien à attendre de La- 179 1 fayette. Son existence politique étoit sur le point de finir; et s'il y avoit lieu de croire que, dans son désespoir, il feroit un dernier effort, j'étois assuré d'avance qu'il le dirigeroit plutôt contre les royalistes et les aristocrates, les moins dangereux de ses ennemis, que contre les jacobins, ses puissans adversaires.

Peu de jours après, je reçus une lettre du roi, en chiffres. Il m'informoit qu'il avoit fixé à la fin de mars, ou au plus tard au commencement d'avril, l'époque de son départ de Paris. Déterminé à prendre la route de Varennes à Montmédi, il me recommandoit d'établir de Châlons à cette dernière ville, à des distances peu éloignées, des postes de troupes de ligne. Il me prévenoit que, se proposant de voyager avec toute sa famille dans une seule voiture, il en avoit déja commandé une propre à remplir ses vues. Dans ma réponse, je pris la liberté de représenter à sa majesté, que la route qu'elle avoit choisie, avoit de grands inconvéniens, parce qu'on seroit obligé de placer des relais pour suppléer au défaut de chevaux de poste; ce qui m'obligeroit à mettre quelqu'un dans le secret, ou m'exposeroit à faire naître des soupçons.

1791. Ce danger étoit d'autant plus à craindre, que, depuis la découverte récente de la conspiration de Lyon, dans laquelle on les savoit compromis, on se méfioit extrêmement dè tous les chefs de l'armée, sans m'en excepter. De plus, la résidence des émigrés sur la frontière, me rendoit l'objet d'une surveillance particulière. Ils entroient souvent en France, et s'avançoient quelquefois jusqu'aux portes de Metz,en commettant des indiscrétions, qu'on ne manquoit pas de m'attribuer, quoique je n'eusse aucune correspondance avec eux. Je m'efforçai, en conséquence, de persuader à sa majesté de se rendre à Montmédi, par la route de Reims ou celle de la Flandre, en passant par Chimay, et en traversant les Ardennes. Je lui représentai le danger de voyager avec la reine et ses enfans, dans une voiture d'une construction particulière, qui les feroit certainement observer davantage. Je lui conseillai de se servir de deux diligences anglaises, pour lui et sa famille, et de se faire gner d'une personne d'une fidélité à toute épreuve, qui pourroit, en cas de besoin, se montrer, et lui serviroit en même tems de guide, la reine ni lui-même ne connoissant pas la route. Je lui désignai, pour cette im

accompa

portante fonction, le marquis d'Agoult, major 1791. des gardes françaises, que son intelligence, son courage et sa fermeté, rendoient très-propre à une entreprise de cette nature. J'objectai encore qu'il y auroit de grands inconvéniens à placer sur la route, de distance en distance, des postes de troupes de ligne. « S'ils sont foibles >> et peu nombreux, lui disois-je, ils ne serviront » qu'à exciter des soupçons dans l'esprit du peu» ple, déja très-disposé à la méfiance, et auquel » les jacobins font perdre tous les jours ses senti» mens d'affection pour son roi. Si, au contraire, » ces détachemens sont considérables, ils révé» leront, pour ainsi dire, à tout le monde le

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projet de sa majesté. D'ailleurs, il n'est pas » en mon pouvoir de faire marcher des corps complets de troupes, sans un ordre formel du » roi, contre-signé par le ministre de la guerre, » dans lequel on ne peut avoir aucune con>> fiance.» J'insistai sur la nécessité d'un mouvement de la part des troupes autrichiennes, dans les environs de Luxembourg et de Montmédi. Je témoignai le désir qu'elles vinssent camper à Arlon, entre ces deux places, en observant au roi que, quand il ne voudroit pas les employer, elles lui serviroient toujours à tenir l'assemblée en échec,

1791 en lui montrant qu'il n'étoit pas sans res

sources.

Le roi, dans sa réponse, me fit savoir qu'il étoit résolu à prendre la route de Varennes. Il me répéta la même objection qu'il m'avoit déja faite, contre la route de Reims, et me témoigna une aversion encore plus grande à traverser le territoire de l'empereur, et la ferme détermination 'de ne pas passer les limites de ses états. Il exigea absolument que des détachemens fussent placés sur la route, et ne voulut jamais consentir à mettre sa famille dans deux voitures différentes. Il me promit cependant de prendre avec lui M. d'Àgoult, et d'attendre, avant de partir, que, l'empereur eût fait marcher un corps de troupes sur la frontière, près de Montmédi.

Instruit de la détermination définitive de sa majesté, je commençai à faire les dispositions nécessaires à l'exécution de son projet. Jelui demandai les sommes dont j'avois indispensablement besoin pour l'acquittement de toutes les dépenses. Il me fit passer un million en assignats, sur lequel, après la malheureuse issue de cette affaire, je remis à Monsieur, frère du roi, sept cent mille livres; le reste fut employé à acheter secrètement des fourages,des munitions et des

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