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monarchie. Il avoit en moi une confiance 1791. sansbornes. Je conjurai sa majesté d'insister pour que le gouvernement d'Alsace ne fût pas donné à un autre. Il me le promit, et me parut être entièrement de mon opinion. En conséquence, j'écrivis au ministre de la guerre. «L'étendue du territoire de mon commande» ment, lui marquai-je, m'empêche de reniplir les devoirs de ma place. Lorsque je >> me chargeai d'un fardeau aussi pesant, l'état » de l'armée m'en imposoit, en quelque sorte, » l'obligation. Toutes les troupes du royaume, » et particulièrement celles des frontières, >> avoient presque spontanément manifesté » un esprit de mutinerie et d'insurrection. » Maintenant les choses sont bien changées; » les mêmes raisons n'existent plus. L'ordre >>> est heureusement rétabli dans l'armée, la » tranquillité dans les provinces. Je désire » donc quitter le commandement de l'Alsace » et de la Franche-Comté. Il m'est impos>>sible, à cause de leur grand éloignement, » de donner l'attention nécessaire aux affaires » de ces provinces. >>

Je reçus une réponse à cette lettre, remplie des plus grands éloges de mon désintéressement, et qui m'annonçoit l'acceptation de ma

1791. démission, relativement à l'Alsace seulement. On désiroit que je conservasse le commandement de la Franche-Comté. J'informai M. de Gelb, qu'on lui proposeroit le commandement de l'Alsace. J'eus toutes les peines du monde à vaincre sa répugnance, et à le faire consentir à l'accepter. Ce ne fut qu'à condition que je l'aiderois de mes instructions, et que je disposerois de lui, de ses troupes et de ses ressources, de la manière que je croirois la plus avantageuse au service de sa majesté.

Ma démission du commandement de l'Al-' sace, ne fut pas plutôt connue, que le roi fut vivement sollicité par le ministre Duportail et par Lafayette, de le conférer au général Luckner. Mais il les refusa constamment, en leur signifiant de la manière la plus positive, que son intention étoit dé l'accorder à M. de Gelb, auquel il fut en effet donné. Ainsi donc, quoique je ne commandasse plus en Alsace, j'y conservai la même influence. J'y eusse, en cas d'une pressante nécessité, trouvé les mêmes ressources, et je calmai, pour un tems, la jalousie et la méfiance, excitées par l'étendue et l'importance de mon commandement.

Dans le commencement du mois de février, je reçus une lettre du roi. Elle avoit pour objet,

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de m'informer, qu'il me seroit fait des propositions de la part de Mirabeau et de M. de Montmorin, par le comte de *** gentilhomme étranger, en grand crédit à la cour, et leur ami commun, qu'il donneroit au comte une lettre de sa propre main, que celui-ci lui avoit demandé, pour l'accréditer auprès de moi.

suivans :

Il y avoit dans la lettre du roi, les mots Quoique ces hommes (il parloit » de Mirabeau et de quelques autres de la » même trempe) ne soient nullement ésti» mables, et quoique j'aie acheté les services » du premier à un prix énorme, cependant » je pense qu'ils peuvent m'être de quelque » utilité. Certaines parties de leur projet me

paroissent mériter d'être adoptées. Vous » écouterez, néanmoins, tout ce qu'ils ont à » vous dire, sans vous ouvrir trop vous» même, et vous me ferez part de vos ré>> flexions. »

Le lendemain, le comte de *** arriva à Metz. Il se rendit chez moi, et me remit une lettre de sa majesté, conçue en ces

termes :

Paris, 4 février 1791. « Je profite avec plaisir, monsieur, de l'oc

179.1.

1791.

m'offre le que

voyage

» casion
du comte de
» la M-- à Metz, pour vous renouveler les
>> assurances de toute ma satisfaction de vos
» services, dans les circonstances difficiles où
>> vous vous êtes trouvé. Je ne peux que vous
» demander de vous conduire comme vous
» l'avez fait jusqu'à présent, et vous assurer.
» de toute ma reconnoissance et de toute mon
>> estime. >>
LOUIS.

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1

Je parus, aux yeux du comte de *** ignorer entiérement l'objet de sa mission. Il commença par me dire que Mirabeau m'estimoit infiniment, et avoit une entière confiance en moi (1). Il m'assura qu'il étoit maintenant absolument dévoué aux intérêts du roi, et qu'il l'eût été long-tems avant, sans l'opposition qu'il avoit rencontrée de la part de M. Necker. Il eut soin de m'informer que Mirabeau avoit, dans l'espace de peu tems, reçu du roi six cent mille livres, indépendamment d'une rétribution de cinquante mille livres par mois, et qu'on lui avoit fait des promesses plus séduisantes encore, s'il

de

(1) Je n'avois cependant jamais vu ce personnage fameux, et n'avois eu avec lui aucune communication directe ni indirecte.

parvenoit à rendre à sa majesté quelque service signalé. Il ajouta que Mirabeau avoit quelques inquiétudes, relativement à ma liaison avec Lafayette, qu'il regardoit, avec raison, comme le plus grand obstacle à l'exécution de ses projets. « Cette liaison, répon» dis-je au comte de ***,'existe plus en appa»rence qu'en réalité. J'ai de fortes raisons » de me plaindre de sa conduite à mon égard. » Je n'en ai eu d'autres de me réunir à lui, » que l'opinion où j'étois, qu'il avoit et le pouvoir et la volonté, sinon de faire le bien, » du moins d'empêcher le mal. Mais, depuis » quelque tems, j'ai tout lieu de croire qu'il » n'a ni l'un ni l'autre. J'ai toujours pensé, » au contraire, que le génie, les talens et la » fermeté de Mirabeau, étoient à la hauteur » des circonstances; que, s'il y avoit un >> homme qui pût sauver le roi et la monar» chie, c'étoit lui; et comme c'est là mon » unique objet, il peut compter sur mon em» pressement à seconder ses efforts. Je dési>> rerois seulement connoître son plan.

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A cela, le comte de *** me dit que l'intention de Mirabeau étoit de faire dissoudre l'assemblée, et de rendre la liberté au roi, par la force et la volonté de la nation elle-même.

1791.

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