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chose qu'une prétention insolente et sacrilége, une séditieuse protestation contre la souveraineté qui lui appartient dans le monde moral, un implicite aveu de l'impuissance où l'on est de la détruire? Qui jamais ouit parler, avant ce siècle des lumières, de tolérer l'immortalité de l'âme, la vie future, le châtiment du crime et les récompenses de la vertu, de tolérer Dieu? Aussi, à quoi se réduit en réalité cette tolérance? Contemplez l'état de la religion: on ne la proscrit plus, mais on l'asservit; on n'égorge plus ses ministres, mais on les dégrade pour mieux enchaîner le ministère. L'avilissement est l'arme avec laquelle on la combat. On lui prodigue le mépris, l'outrageant dédain, et l'injure encore plus amère d'une insultante protection. Quelques pièces de monnoie, que l'avarice, qui donne, envie à la misère qui reçoit; des honneurs dérisoires, des entraves sans nombre, des lois oppressives, des dégoûts perpétuels et des fers: voilà les magnifiques largesses dont la plupart des gouvernemens ne se lassent point de la combler. Instruits par une expérience terrible, ils n'o

sent plus essayer de s'en passer entièrement; mais un sentiment plus fort que la voix de l'expérience les porte à démolir d'une main ce qu'ils édifient de l'autre. L'intérêt même, l’intérêt d'ordinaire si puissant, n'a pas assez de pouvoir pour les engager à dissimuler l'aversion secrète que leur inspirent les croyances qui sont leur sauvegarde. Convaincue à regret de la nécessité d'unir la terre au ciel, et l'homme à son Auteur, la haute politique de nos jours va chercher au fond du sanctuaire l'Être souverain qu'on y adore; elle le revêt de lambeaux de pourpre, lui met un sceptre de roseau à la main, sur la tête une couronne d'épines, et le montre au peuple en disant: Voilà Dieu !

Doit-on s'étonner que la religion ainsi numiliée, déshonorée, ne recueille que l'indifférence? Après dix-huit cents ans de combats et de triomphes, le christianisme éprouve enfin le même sort que son fondateur. Cité, pour ainsi dire, à comparoître, non pas devant un proconsul, mais devant le genre humain tout entier, on l'interroge: Es-tu roi? est-il

vrai, comme on t'en accuse, que tu prétendes régner sur nous? C'est vous-même qui l'avez dit, répond-il; oui, je suis roi: je règne sur les intelligences en les éclairant, sur les cœurs en réglant leurs mouvemens et jusqu'à leurs désirs; je règne sur la société par mes bienfaits. Le monde étoit enseveli dans les ténèbres de l'erreur, je suis venu leur apporter la vérité; voilà mon titre quiconque aime la vérité m'écoute. Mais déjà ce mot n'a plus aucun sens pour une raison pervertie, il est nécessaire qu'on le lui explique. Qu'est-ce que la vérité, demande le juge distrait et stupide; et, sans attendre la réponse, il sort, déclare qu'il ne trouve rien de condamnable dans l'accusé, et le livre avec indifférence à la multitude pour en faire son jouet et bientôt sa victime (1).

Ce drame, profond dans sa simplicité, comme tout ce que renferme l'Évangile, peint mieux que de longs discours cette défaillance morale, cette espèce de mort intellectuelle où tombent

(1) Joan., XVIII,87, 38.

TOME 1..

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les hommes et les peuples, lorsque, cessant d'être trompés par les illusions de l'erreur, ils refusent obstinément de céder à la conviction de la vérité. « Telle est, s'écrioit il y a peu » d'années un orateur éloquent, telle est aujourd'hui la grande plaie de l'Église, ou, pour >> nous servir d'une expression des livres saints, >> sa plaie désespérée : desperata est plaga ejus (1). Car que pouvons-nous opposer à cet » état de choses? Il est possible de résister à » la violence et à la force ouverte: mais qu'op» poser à ces armes invisibles qui échappent à >> toute espèce de lutte, l'insouciance et le dé» dain; et comment chasser l'impiété de ce >> dernier poste, où, fatiguée de combats, elle >> a fini par se retrancher? Nous connoissons » bien le remède aux maladies du corps; mais » le remède à cette maladie épidémique des esprits, qui le trouvera? On peut savoir com» ment guérir un malade qui désire sa guéri– >> son: mais celui qui ne veut pas guérir, et ne >> sait pas même s'il est malade ; mais celui

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(1) Mich., 1, 9.

qui, aux portes de la mort mêmes, a toute la >> confiance et la sécurité de la santé, par où >> le prendre, et qui le sauvera? Nous savons » comment on peut réfuter une erreur ou dé» fendre un dogme; mais quelle réfutation » reste-t-il donc à faire, ou quelle instruction >> reste-t-il à donner, quand le doute prend la » place de tout, et que le premier dogme est le » mépris de tous les dogmes? Nous connois>> sons le frein que l'on peut mettre au fana» tisme religieux; puisqu'on le trouve dans la religion même : mais comment arrêter le fa>> natisme philosophique? où sera son contrepoids? et comment faire entendre raison à » des hommes qui n'ont pour règle de toute » vérité propre raison, et qui, comme » ces pharisiens follement présomptueux dont >> il est parlé dans saint Jean, nous disent >> froidement et dogmatiquement: Nous som» mes sages, parce que nous sommes sages; et »> nous voyons, parce que nous voyons: quia » videmus (1)? Enfin, nous pouvons arrêter un

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que leur

(1) Joan., IX, 41.

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