Page images
PDF
EPUB

» cepté les plaisirs et les affaires (1), » Vous l'avez entendu; regardez maintenant autour de vous, et répondez. Qu'apercevez-vous de toutes parts, qu'une indifférence profonde sur les devoirs et sur les croyances, avec un amour effréné des plaisirs et de l'or, au moyen duquel il n'est rien qu'on ne puisse obtenir? Tout s'achète, parce que tout se vend, conscience, honneur, religion, opinions, dignités, pouvoir, considération, respect même ; vaste naufrage de toutes les vérités et de toutes les vertus.

L'extinction absolue du sens moral ne permet pas même qu'on s'intéresse à l'erreur spéculative; on la laisse pour ce qu'elle est, ainsi que la vérité; on n'y pense point, on ne s'en occupe point: ne pouvant anéantir le livre de la nature, qui se déploie magnifiquement à tous les regards, on en efface avec soin le nom de Dieu, et, se hâtant de tourner les pages qui rappellent le Créateur, on s'arrête uniquement à celles qui nous instruisent des pro

(1) Sermon pour le deuxième dimanche de l'Avent.

1

priétés des corps, et des jouissances qu'on en peut tirer.

Et remarquez quelle route immense il a fallu parcourir, avant d'arriver aux derniers excès que je viens de peindre, Chassée successivement de tous les postes qu'elle occupoit, une superbe raison, qui ne veut pas seulement connoître, mais anéantir et créer selon ses caprices et l'intérêt des passions, se réfugie de ruine en ruine, toujours poursuivie par la vérité qui la presse et ne lui permet pas de respirer. Repoussée jusqu'aux bornes du monde intellectuel, n'ayant plus d'autre asile que l'athéisme, elle s'y précipite aveuglément, pour y cacher dans les ténèbres l'humiliation de sa défaite. Là commence pour elle un nouveau supplice afin de s'assurer cet asile si chèrement acheté, il faudroit détruire encore, et il ne lui reste plus rien à détruire qu'elle-même. Dans cette position désespérée, que fera-t-elle ? quelle résolution ya-t-elle prendre? Elle frémit, mais elle n'hésite point; l'orgueil l'emporte, et le sacrifice est consommé.

Dès-lors, à l'agitation, à la fièvre, tristes mais sûrs indices de vie, succèdent le calme et le silence de la mort. Plus de contentions, plus de querelles; on diroit une parfaite paix : pai lugubre, paix désolante, paix mille fois plus destructive que la guerre qui l'a précédée.

Désabusée de ses propres rêves, n'osant plus reproduire des sophismes tant de fois réfutés, et ne pouvant néanmoins en inventer de nouveaux, parce qu'il n'existe qu'un certain nombre d'objections possibles contre les mêmes vérités, la philosophie, s'irritant de son impuissance, cesse tout-à-coup de raisonner, elle qui se croit si forte de raison. Elle ne dit plus : Écoutez mes preuves; mais : Je ne veux point écouter les vôtres. Après des tentatives sans nombre, n'ayant pu faire au christianisme la plus légère brèche, elle le déclare indigne de ses attaques, indigne même d'examen. Parvenue au fond de l'abîme, elle méprise; et, trop bien instruite désormais pour affronter l'évidence qui sortiroit bientôt d'une discussion sérieuse, à tout ce qu'on peut lui dire elle répond froidement: Que m'importe?

et détourne la tête en souriant de dédain. L'athéisme, disoit Leibnitz, sera la dernière des hérésies; et, en effet, l'indifférence qui marche à sa suite n'est point une doctrine, puisque les indifférens réels ne nient rien, n'affirment rien : ce n'est pas même le doute, car le doute, état de suspension entre des probabilités contraires suppose un examen préalable; c'est une ignorance systématique, un sommeil volontaire de l'âme qui épuise sa vigueur à résister à ses propres pensées et à lutter contre des souvenirs importuns, un engourdissement universel des facultés morales, une privation absolue d'idées sur ce qu'il importe le plus à l'homme de connoître. Tel est, autant du moins que le discours peut représenter ce qui n'offre rien que de vague, d'indécis et de négatif, tel est le monstre hideux et stérile qu'on appelle indifférence. Toutes les théories philosophiques, toutes les doctrines d'impiété, sont venues se fondre et disparoître dans ce système dévorant, véritable tombeau de l'intelligence, où elle descend seule, nue, également abandonnée de la vérité et de l'erreur; sépulcre vide,

où l'on n'aperçoit pas même d'ossemens.

De cette fatale disposition, devenue presque universelle, est résulté, sous le nom dé tolérance, un nouveau genre de persécution et d'épreuves, la dernière, sans doute, que lé christianisme doit subir (1). En vain une philosophie hypocrite fait retentir au loin les mots séduisans de modération, d'indulgence, de mutuel support, et de paix; le miel perfide de ses paroles déguise mal l'amertume des sentimens que son cœur nourrit. Sa haine invétérée contre tout principe religieux perce à travers ces feintes démonstrations de bienveillance générale et de douceur. Étrange modération en effet, et plus étrange tolérance! On a bien entendu dire que la sagesse conseilloit de tolérer temporairement certaines erreurs; mais tolérer la vérité, qu'est-ce autrè

(1) Celle qui nous est prédite pour la fin des temps sera, en quelque sorte, une guerre personnelle de l'homme de péché contre Dieu; et l'état vers le quel nous marchons est un des signes auxquels on reconnoîtra cette dernière guerre annoncée par Jésus-Christ. Croyez-vous, quand je viendrai, que je trouve encore de la foi sur la terre? Luc, XVIII, 8.

« PreviousContinue »