Page images
PDF
EPUB

INTRODUCTION.

Le siècle le plus malade n'est pas celui qui se passionne pour l'erreur, mais le siècle qui néglige, qui dédaigne la vérité. Il y a encore de la force, et par conséquent de l'espoir, là où l'on aperçoit de violens transports: mais lorsque tout mouvement est éteint, lorsque le

TOME 1.

a

pouls a cessé de battre, que le froid a gagné le cœur, qu'attendre alors, qu'une prochaine et inévitable dissolution?

En vain l'on essaieroit de se le dissimuler : la société en Europe s'avance rapidement vers ce terme fatal. Les bruits qui grondent dans son sein, les secousses qui l'ébranlent, ne sont pas le plus effrayant symptôme qu'elle offre à l'observateur mais cette indifférence léthargique où nous la voyons tomber, ce profond assoupissement, qui l'en tirera? qui soufflera sur ces ossemens arides pour les ranimer? Le bien, le mal, l'arbre qui donne la vie et celui qui produit la mort, nourris par le même sol, croissent au milieu des peuples, qui, sans lever la tête, passent, étendent la main, et saisissent leurs fruits au hasard. Religion, morale, honneur, devoir, les principes les plus sacrés, comme les plus nobles sentimens, ne sont plus qu'une espèce de rêve, de brillans et légers fantômes qui se jouent un moment dans le lointain de la pensée, pour disparoître bientôt sans retour. Non, jamais rien de semblable ne s'étoit vu, n'auroit pu

même s'imaginer. Il a fallu de longs et persévérans efforts, une lutte infatigable de l'homme contre sa conscience et sa raison, pour parvenir enfin à cette brutale insouciance. Arrêtez un moment vos regards sur ce roi de la création : quel avilissement incompréhensible! son esprit affaissé n'est à l'aise que dans les ténè– bres. Ignorer est sa joie, sa félicité; il a perdu jusqu'au désir de connoître ce qui l'intéresse le plus. Contemplant avec un égal dégoût la vérité et l'erreur, il affecte de croire qu'on ne les sauroit discerner, afin de les confondre dans un commun mépris; dernier excès de dépravation intellectuelle où il lui soit donné d'arriver Cùm in profundum venerit, contemnit.

Or, quand on vient à considérer ce prodigieux égarement, on éprouve je ne sais quelle indicible pitié pour la nature humaine; car se peut-il concevoir de condition plus misérable que celle d'un être également ignorant de ses devoirs et de ses destinées; et un plus étrange renversement de la raison que de mettre son bonheur et son orgueil dans cette ignorance

a.

même, qui devroit être bien plutôt le sujet d'un inconsolable gémissement?

La cause première d'une si honteuse dégradation est moins la foiblesse de notre esprit que son asservissement au corps. Subjugué par les sens, l'homme s'habitue à ne juger que par eux ou sur leur rapport. Il ne voit de réalité que dans ce qui les frappe; tout le reste lui paroît de vagues abstractions, des chimères. Il n'existe que dans le monde physique le monde intellectuel est nul pour lui. Il nieroit sa pensée même, si elle lui étoit moins présente et moins intime; mais ne pouvant, si j'ose le dire ainsi, se séparer d'elle, et refusant néanmoins de la reconnoître pour ce qu'elle est, il en fait le résultat de l'organisation, il la matérialise, afin de n'être pas obligé d'admettre des substances inaccessibles

aux sens.

:

Et, chose remarquable, la culture des sciences physiques, qui avertissent l'homme à chaque instant de sa supériorité sur la brute, n'a servi qu'à fortifier en lui cet abject penchant à se rabaisser au niveau des êtres les

plus vils, en l'occupant sans cesse d'objets matériels. Alors son âme s'est dégoûtée d'ellemême; elle a rougi de sa céleste origine, et s'est efforcée d'en éteindre jusqu'au dernier souvenir. Cet amour immense qui fait le fonds de son être, elle l'a détourné de son cours pour l'appliquer uniquement aux corps; elles les a aimés comme sa fin; elle a voulu s'identifier avec eux, être périssable comme eux; elle s'est dit: Tu mourras! et elle a tressailli d'espé

rance.

Si, trompant sa destinée, elle pouvoit en effet conquérir la mort, le moyen qu'elle a pris seroit infaillible; et en anéantissant à son égard la vérité, elle s'est, autant qu'il étoit en son pouvoir, anéantie elle-même car, en quelque sens qu'on veuille l'entendre, la vérité est la vie, l'unique cause de l'existence de l'homme et de la société. Aussi, dans l'ordre moral comme dans l'ordre politique, tout tend à la destruction, et marche vers ce but plus ou moins rapidement, selon que la guerre contre la vérité est plus ou moins heureuse, plus ou moins active. Une récente et trop

« PreviousContinue »