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cœur, dans sa conscience. Inutiles efforts! au moment même où il se croit vainqueur, au moment où, plein d'orgueil, il s'applaudit d'avoir enfin terrassé, anéanti cette vérité implacable, l'imposante vision plus menaçante et plus formidable revient de nouveau le désoler.

Mais si l'homme esclave des sens est ennemi de la vérité, et, par conséquent, des hautes doctrines qui émanent du ciel et qui l'y rappellent, il n'est pas moins ennemi des lois éternelles de l'ordre, parce que l'ordre n'est au fond que l'ensemble des vérités qui résultent de la nature des êtres et de leurs rapports; vérités qu'on nomme devoirs, à cause quelles ne sont pas seulement l'objet de l'intelligence, mais doivent encore influer sur la conduite qu'elles règlent, en imposant la double obligation de s'interdire certains actes et d'en produire de contraires. Or toutes les vérités tenant l'une à l'autre, et se confondant en quelque sorte dans leur source, l'homme est contraint de les attaquer toutes, dès qu'une fois l'intérêt de ses passions l'a porté à en ébranler une. Ainsi, par une liaison néces

saire, la corruption des mœurs enfante la corruption de l'esprit; le désordre dans les actions amène le désordre dans les pensées, ou l'erreur; et la dépravation de l'être moral, une dépravation semblable de l'être intelligent. L'inconséquence tourmente le cœur humain autant qu'elle révolte la raison; et de là vient qu'il suffit souvent de changer de vie, pour croire à la vérité qu'on nioit. Mais la vérité, même abstraite, devient infailliblement un objet de haine, tandis que la vertu pratique n'est point un objet d'amour; et comme la haine, par sa nature, est un principe de destruction, de même que l'amour est un principe de production et de conservation, l'homme abruti par les sens, et livré aux plaisirs du corps, devient naturellement destructeur son âme s'endurcit et se plaît dans les spectacles de ruine et de sang; il contracte des goûts barbares, des habitudes féroces et c'est une observation singulièrement remarquable, que tous les peuples impies, ou, si l'on veut, incroyans, ont été des peuples voluptueux, et tous les peuples voluptueux

des peuples cruels. Considérez les nations païennes quel oubli de l'humanité dans la guerre comme dans la paix, dans les lois comme dans les mœurs, dans les temples comme au théâtre, dans le cœur du maître comme dans celui du père! Mais aussi quel abject matérialisme dans la religion! quelle aversion pour les doctrines qui tendent à élever l'homme et à spiritualiser sa pensée! La Grèce polie et savante envoie Socrate au supplice, parce qu'il annonçoit l'unité de Dieu; et cette même Grèce, couronnée de fleurs, égorge, en chantant, des victimes humaines, et couvre son territoire d'autels infâmes.'

Toujours l'asservissement aux sens produit une vive opposition aux vérités morales et intellectuelles, et l'on ne doit point chercher ailleurs la cause de la profonde haine qu'ont montrée, dans tous les temps, pour le christianisme certains individus et certains peuples. C'est le combat éternel, le combat à mort de la chair contre l'esprit; des sens, que la religion chrétienne s'efforce de réduire en servitude, contre la raison qu'elle affranchit,

éclaire et divinise: parce que dans ses préceptes et dans ses dogmes elle n'est que l'assemblage et la manifestation de toutes les vérités utiles à l'homme.

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A l'époque où le christianisme apparut sur la terre, le genre humain ne vivoit plus, pour ainsi dire, que par les sens. Le culte, devenu un vain simulacre, ne se lioit à aucune croyance. On le conservoit par habitude, cause de ses pompes et de ses fêtes, et surtout parce qu'il tenoit aux institutions de l'État. Du reste la religion en elle-même n'inspiroit ni foi ni vénération. Les sages et les grands la renvoyoient avec mépris à la populace, qui, moins corrompue peut-être, vouloit que les vices, qu'elle adoroit sous des noms empruntés, offrissent au moins dans leurs emblèmes quelque chose de divin. Toutefois, il n'existoit réellement d'autre religion que la volupté; et les sectes les plus sévères à leur origine, dégénérant bien vite d'une austérité factice, en étoient venues, par un renversement d'idées qui passa dans le langage même, jusqu'à identifier la vertu avec le plaisir.

Sur ces simples observations, on peut juger de la bonne foi des écrivains qui ont prétendu que le christianisme s'étoit établi naturellement. En effet, il n'eut à surmonter que les intérêts, les passions et les opinions. Armé d'une croix de bois, on le vit tout-à-coup s'avancer au milieu des joies enivrantes et des religions dissolues d'un monde vieilli dans la corruption. Aux fêtes brillantes du paganisme, aux gracieuses images d'une mythologie enchanteresse, à la commode licence de la morale philosophique, à toutes les séductions des arts et des plaisirs, il oppose les pompes de la douleur, de graves et lugubres cérémonies, les pleurs de la pénitence, des menaces terribles, de redoutables mystères, le faste effrayant de la pauvreté, le sac, la cendre et tous les symboles d'un dépouillement absolu et d'une consternation profonde; car c'est là tout ce que l'univers païen aperçut d'abord dans le christianisme. Aussitôt les passions s'élancent avec fureur contre l'ennemi qui se présente pour leur disputer l'empire. Les peuples à grands flots se précipitent sous leurs

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