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l'électeur de Trèves, je ne dis pas ses ordres, mais son intervention. Que ne lui rappelle-t-on la cause qui l'oblige à fournir, en cas de guerre, un secours de 24,000 hommes ? Mais il est vrai que la France saura bien défendre sa liberté, sans avoir besoin de secours étrangers. Il falloit lui dire, en réponse aux chicanes qu'il fesoit, à l'égard des récla mations des princes possessionnés en Alsace, que la souveraineté des peuples n'est pas liée par les traités des tyrans ; qu'en parlant toujours de roi, de sa majesté, et jamais de la nation, il s'est rendu plus que suspect d'encourager les espérances de nos émigrés. Ce langage auroit été digne des Romains, digne d'hommes libres; mais pouvoit-on l'attendre de notre vieille diplomatie, d'un ministre longtemps nourri de ses préjugés (M. de Montmorin), d'un ministre qui n'a cessé de conserver dans leurs places des envoyés dont la haine pour la révolution étoit connue, et qu'il ne remplaçoit que par des agens également suspects; d'un ministre, qui sans cesse dénoncé à l'opinion publique, ne répondoit qu'en accusant ses dénonciateurs d'être sans patrimoine, comme s'il n'étoit pas aussi des hommes qui n'ont pour patrimoine que la bassesse et la lâcheté, comme si Aristide et Phocion n'avoient pas été sans patrimoine, et comme si l'athénien Ménade, qui a vendu sa patrie, n'avoit pas été un des plus riches citoyens d'Athènes ?

Devoit-on attendre ce langage d'un ministre, dont la lettre de notification de la constitution française ne parle ni de la nation, ni de la liberté, et dont la sécheresse indique assez la haine pour la révolution? Devoit-on l'attendre d'un ministre qui est parti sans rendre ses comptes, et en demandant une loi la restriction de la presse, sous prétexte que cette liberté indéfinie tendoit à indisposer contre nous les gouvernemens étrangers? Ce n'est plus avec les gouvernemens que nous avons à traiter, mais avec les nations, et nous saurons toujours respecter leurs droits.

pour

Les fondateurs de la liberté américaine ont obtenu nos hommages; qu'ils les imitent, et nous leur élèverons des

statues.

Des hommes à conceptions étroites, qui viennent prêcher contre la liberté de la presse, ignorent-ils qu'ils n'arineront plus les nations, pour se venger d'un paragraphe d'une gazette, et tenir pendant trente ans un malheureux gazettier dans une cage de fer? Ignorent-ils que les peuples libres, tels que les Anglais et les Américains, maltraitent aussi les gouvernemens? Ils ne savent donc pas que la liberté de la presse est la base de la liberté politique; que toute atteinte qui y seroit portée seroit un crime; que si, sous prétexte des égards dus aux gouvernemens étrangers, on pouvoit capituler sur cette loi fondamentale, autant vaudroit-il capituler sur toutes les autres. Ce langage auroit peut-être été tenu auprès des gouvernemens étrangers, si les bureaux des affaires étrangères eussent été mieux composés ; et à qui appartenoit-il de faire ce changement? au ministre, s il n'avoit voulu soustraire son départeinent à l'influence de la révolution.Dans tous les actes, au contraire, qui sortent de ses bureaux, on ne voit que le nom du roi; la nation semble ne pas exister. Dans le discours que le roi a prononcé le 14 de ce mois dans l'assemblée, il annonce qu'il fait déclarer à l'électeur de Tréves, qu'il le regarderoit comme ennemi, s'il ne dispersoit les rassemblemens. J'aurois aimé à entendre dans la bouche d'un roi constitutionnel une expression plus significative; qu'il eût dit: la nation vous regardera comme ennemi ; car c'est le vœu de la nation que le roi exprimoit, puisque ce n'est que d'après ce vœu manifesté qu'il peut faire des préparatifs de guerre. Mais que peuvent penser de notre révolution les puissances étrangères, quand elles voient nos ministres jouer une comédie à la face même de la nation; lorsqu'elles ont vu le ministre des affaires étrangères vous cacher les

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secrets les plus importans, ou ne les révéler que lorsque l'opinion publique l'y avoit contraint? A la place de ces communications franches et loyales, je ne vois en effet que des conférences mystérieuses, concertées à l'avance, et auxquelles on a préparé les journaux, pour lesquelles on commande les proclamations, on concerte les applaudissemens, les ajournemens, les motions d'impression, etc., etc., etc.

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Ah! s'ils pouvoient se pénétrer qu'au lieu de tant de réserve, ils gagneroient bien plus par la franchise, s'ils se concertoient avec nous, s'ils ne nous harceloient pas par des chicanes, s'ils ne prêchoient pas contre la liberté de la presse, lorsqu'ils en abusent eux-mêmes par des proclamations incendiaires; s'ils ne nous parloient pas toujours de la nécessité de l'ordre dans les finances en meine-temps qu'ils ne nous rendent pas compte ; de leur amour pour révolution, en même-temps qu'ils s'élèvent contre toutes les lois qui tendent à la protéger; en un mot, les affaires iroient bien mieux, si nous ne perdions pas tant de temps à défier les ministres d'être de bonne foi comme nous, Nous voterons la guerre avec eux, qu'ils votent avec nous le décret d'accusation. Nous entreprendrions la guerre pour punir les princes étrangers, et nous laisserions impunis les princes français ! Puisqu'il est en votre pouvoir seul de rendre cet hommage aux principes, essayez votre courage pour châtier enfin ces rebelles.

Les conclusions de Brissot furent: 1°. que le comité de législation présenteroit, dans huit jours, un projet de décret d'accusation contre les princes; 2°. que le roi seroit chargé de rappeler les envoyés de France près des cours de Russie, de Suède, de Madrid et de Rome, et de congédier les ministres de ces cours ; 3°. que sa majesté réclameroit auprès de la cour d'Espagne l'exécution du traité des Pyrénées;

et, en conséquence, une réparation authentique des pro cédés injurieux de ce gouvernement, à l'égard de plusieurs Français, et du refus de porter des secours dans la partie française de St.-Domingue ; 4°. que le roi réclameroit aussi auprès de l'empereur l'exécution du traité du 1er mai 1756, et le requerroit en conséquence de réduire les troupes, dans le Brabant, au nombre fixé par les traités, et d'interposer, non-seulement ses bons offices, mais ses forces, auprès des princes de l'Empire, pour défendre et empêcher tout rassemblement d'émigrés; 5o. que le ministre des affaires étrangères seroit tenu de communiquer toutes les nouvelles qui intéresseroient la sûreté de l'état, au comité diplomatique, qui seroit chargé d'examiner les différens traités qui lioient la France avec les puissances étrangères, et d'indi quer les changemens qu'il convenoit d'y faire.

No. VIII.

Rapport de M. de Narbonne, fait à l'assemblée nationale, le 11 janvier 1792.

MESSIEURS,

Avant de vous parler des résultats de mon voyage sur l'état des frontières, et des dispositions de l'armée, j'ai be soin de rendre, en présence des représentans de la nation, un témoignage éclatant au courage et au patriotisme des garnisons que j'ai visitées, et cette manière de commencer le compte que je vous dois, déjoue déjà bien des espé

rances.

J'ai été obligé de voyager rapidement; mais l'empressement qu'ont mis tous les chefs militaires à me donner les

éclaircissemens dont j'avois besoin, a suppléé à l'indispensable célérité de mon voyage. J ai dû me concerter avec les élus du peuple, dans tout ce qui exigeoit sa confiance. Les corps administratifs m'ont secondé avec une bienveillance. dont je ne peux être trop reconnoissant; et j'ai pu remárquer que le ministre du roi de la constitution trouvoit dans les agens du pouvoir exécutif, les mêmes égards et plus de zèle que dans le temps où la faveur obtenoit ce qu'aujourd'hui l'intérêt public commande. J'ai trouvé de grands secours aussi dans mes compagnons de voyage: M. Darçon, l'un des plus habiles officiers du génie, et dont vous connoîtrez sans peine le travail dans les observations que je vais vous soumettre; M. Darblai, officier d'artillerie, qui déjà connu dans ce corps d'une manière avantageuse, s'est distingué par les services qu'il a rendus depuis, dans la révolution; M. Desmottes, aide-de-camp et ami de M. Lafayette, près de qui il est resté à Metz; M. Dedelay-Dagier, dont l'assemblée constituante a connu et estimé le mérite, et M. Mathieu de Montmorency, qu'il étoit heureux pour moi de montrer aux officiers de l'armée, quand sa présence servoit de réponse à tous les préjugés. J'avois donné ordre à M. Tolozan, dont l'intégrité est connue, de se rendre à Metz et à Strasbourg, pour nous éclairer de son expérience dans la partie des vivres.

Il m'étoit ordonné de restreindre l'objet de ma tournée, pour la rendre plus utile. Les affaires du département qui m'est confié, ne me permettoient point de m'en éloigner long-temps. Le but que je m'étois proposé, et que je crois avoir atteint, étoit de m'assurer des dispositions des troupes. Le roi m'avoit permis, m'avoit ordonné d'employer son nom de toutes les manières que je croirois le plus utile.

J'ai ajouté au respect que l'arinée doit à l'assemblée nationale et au roi, en protestant de la réunion de leurs intentions et de leurs desseins.

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