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comprendre les vues et les intérêts véritables du gouvernement. Sous ce rapport, notre organisation administrative, surtout en ce qui concerne les municipalités, peut ne pas paraître irréprochable. Cependant, quelque nombreux que soient en France les agents proprement dits, c'est-à-dire ceux qui ont une action directe sur les personnes et sur les choses, il faut savoir qu'il y a, à côté de ces agents, pour préparer leurs actes ou pourvoir à leur exécution, des agences auxiliaires très-variées et très-étendues.

Parmi les agents auxiliaires, les uns préparent la confection ou l'exécution des actes administratifs dans l'intérieur même de l'administration; ils n'ont point de contact officiel avec le public, ils sont essentiellement sédentaires. Ils composent ce qu'on appelle, dans le langage du monde, les bureaux, et dans celui du droit administratif, les agents auxiliaires du service intérieur. D'autres préparent et exécutent à l'extérieur les actes administratifs. Ilsont un caractère public; ils forment ce qu'on appelle l'agence auxiliaire du service extérieur, agence qui se divise en presque autant de branches qu'il y a de services publics. C'est à cette partie de l'agence auxiliaire qu'appartiennent le corps des ingénieurs des ponts et chaussées et des mines, les préposés des administrations des douanes, des forêts, des contributions indirectes, etc., etc.

Telle est donc, en France, la constitution de l'administration active.

II. DE L'ADMINISTRATION CONSULTATIVE OU DES CONSEILS ADMINISTRATIFS. — CARACTÈRE GÉNÉRAL. -CLASSIFICATION.

nables. D'autres (et c'est le plus grand nombre) attendent, pour se prononcer, qu'on les consulte, que leur avis soit demandé.

Enfin, tous les conseils administratifs ne sont point réduits en France à un rôle consultatif. Il en est qui sont, en outre, chargés de missions délibératives, se rattachant plus ou moins directement à leurs fonctions consultatives.

On voit, d'après ce qui précède, que les conseils administratifs sont chez nous très-nombreux et présentent des caractères fort divers. Aussi faut-il, pour les faire connaitre, procéder non par voie d'énumération, mais par voie de classification. Voici celle qui a été proposée par notre savant maître, M. le baron de Gerando, dans ses Institutes du droit administratif et dans son enseignement public à la faculté de droit de Paris.

D'abord, il y a des conseils appelés à des fonctions purement consultatives. Parmi ces conseils, les uns embrassent la généralité d'une grande branche des services publics (par exemple, le conseil supérieur du commerce, les conseils généraux de l'agriculture, du commerce et des manufactures), tandis que les autres ont un objet spécial et technique, tels que le conseil général des ponts et chaussées, le comité d'artillerie, celui des fortifications, le conseil des travaux maritimes, la commission mixte des travaux publics, etc.

Ensuite viennent des conseils qui, indépendamment de leurs fonctions consultatives, sont appelés à répartir des charges et des jouissances communes : tels sont les conseils généraux de département, les conseils d'arrondissement, les commissions de répartiteurs et les conseils municipaux, etc. Ces répartitions, qui ont lieu en vertu d'une délégation de la législature, associent en quelque sorte les conseils à qui elles sont confiées à l'action législative.

D'autres conseils réunissent à leurs fonctions consultatives des fonctions de tutelle, de gestion, de véritable administration active, pour des établissements publics tels sont les commissions admi

Lorsqu'après avoir fait l'essai des administrations collectives on se fut décidé à remettre l'action administrative, dans les différents degrés de la hiérarchie, à un fonctionnaire unique, on pensa qu'il devenait plus nécessaire que jamais d'entourer ce fonctionnaire de lumières, d'assurer sa marche, dans toutes les circonstances un peu importantes, par les avis de corps délibérants; autrement la rapidité, l'énergie dont on avait voulu doter l'action administratives des hospices, les conseils de fabrique, nistrative pouvait devenir funeste. De là vient que, à tous les degrés de la hiérarchie de l'administration active, en France, se trouvent correspondre des conseils dont les délibérations éclairent et préparent les actes de cette administration. Cette double hiérarchie, à peu près parallèle, d'administrateurs et de conseils, parait être un des caractères propres aux institutions françaises.

L'ensemble des conseils administratifs compose ce qu'on appelle, dans le langage de la science administrative, l'administration consultative ou délibérante. Le caractère essentiel de ces conseils, c'est qu'ils ne donnent que de simples avis aux agents administratifs, qui, devant subir seuls la responsabilité de leurs actes, doivent avoir le choix de leurs déterminations. Mais si les agents ne sont point tenus de déférer aux avis des conseils, la loi ou les règlements leur imposent, dans des cas nombreux, Tobligation de prendre ces avis; et ils ne pourraient, sans excès de pouvoirs, manquer à cette obligation. Si, près de chaque organe de l'administration active se trouvent placés un ou plusieurs conseils, par la force même des choses, plus on s'élève dans

les conseils des facultés dans les académies, etc.

Enfin, il est des conseils qui, outre leurs fonctions consultatives, sont chargés de prononcer sur les questions du contentieux administratif tels sont les conseils de préfecture, le conseil royal de l'instruction publique, le conseil d'État, etc. (1). L'administration consultative est généralement gratuite en France.

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III. DE L'ADMINISTRATION CONTENTIEUSE. DES RECOURS PAR LA VOIE ADMINISTRATIVE. DES RECOURS PAR LA VOIE CONTENTIEUSE.

Les actes de l'administration active, quelque éclairés que soient les fonctionnaires qui les font et les conseils à la discussion desquels ils ont pu être préalablement soumis, froissent inévitablement les

(1) Cette classification est sans doute insuffisante pour faire connaitre les différents genres d'attributions dont sont investis les divers organes de l'administration consultative. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, il est certain qu'elle ne peut faire apprécier que bien imparfaitement les attributions si variées des conseils généraux de département, qui non-seulement sont associés à l'action législative par la répartition de l'impôt, mais qui participent aux fonctions de deux des trois ordres d'organes de l'autorité administrative, sinon

la hiérarchie, plus ces conseils sont multipliés, plus de tous les trois. En effet, n'administrent-ils pas au même titre on les emploie. C'est ainsi que, au centre de l'administration, les réunions consultatives sont variées et fréquentes; c'est aussi là qu'elles doivent avoir l'influence la plus étendue.

Il y a des conseils permanents et des conseils seulement temporaires. Il en est qui, dans certains eas, prennent l'initiative par leurs délibérations; ils peuvent proposer les vues qu'ils croient conve

que le roi ou le préfet, lorsqu'ils classent des chemins de grande communication, et déterminent quelles communes doivent contribuer à leur entretien? et des publicistes ont cru pouvoir dire que leurs décisions sur les réclamations des arrondissements et des communes, quant au contingent qui leur est assigné dans les impôts de répartition, ont un caractère de décisions contentieuses ou du moins semicontentieuses. Mais quelles classifications sont complétement exactes! Ici, d'ailleurs, il ne s'agit que d'une esquisse,

citoyens dans beaucoup de cas. La justice, l'équité, la prudence demandaient qu'une voie fut ouverte aux réclamations. Ici se présente une distinction importante sur la nature de ces réclamations.

Les administrés se plaignent ou que l'acte administratif a froissé leurs intérêts, blessé leurs espérances, ou qu'il a violé leurs droits. Dans le premier cas, ils s'adressent à l'administration au nom de l'équité; ils cherchent à démontrer que l'intérêt général n'exigeait pas le sacrifice de leur intérêt privé, au moins d'une manière aussi étendue en conséquence, ils demandent la réformation ou la modification de l'acte à la bienveillance de l'administration mieux informée sur les nécessités de tel service public. Dans le second cas, c'est au nom du droit que parlent les administrés, c'est justice qu'ils réclament. Pour des réclamations si différentes, la voie du recours ne pouvait être la même.

Les premières se suivent par la voie administrative, c'est-à-dire que les réclamants s'adressent, pour obtenir la réformation de l'acte qui les a froissés, ou à l'auteur même de cet acte, ou à ses supérieurs dans l'ordre hiérarchique. Du reste, point de formes de procéder rigoureusement déterminées, point de droit définitif acquis au réclamant dont la requête a été exaucée; nous sommes dans le domaine de l'équité et de la bienveillance; ce que l'intérêt général permet de céder aujourd'hui à l'intérêt privé, demain il peut commander de le repren dre, et l'administration n'a pas pouvoir d'engager l'avenir à cet égard.

Les réclamations de la seconde espèce se suivent par la voie contentieuse. Il y a ici litige, procès véritable, engagé, d'une part, entre l'administration représentant la société, l'intérêt général, et, d'autre part, le particulier défendant son droit méconnu. Dès lors, la procédure ne peut plus être, en quelque sorte, arbitraire; les droits n'ont pas de leur nature, la mobilité des intérêts; ils peuvent, ils doivent être assis d'une manière certaine; il ne faut pas qu'ils puissent être sans cesse remis en question. Enfin, si les principes adoptés quant à la séparation des pouvoirs ne permettent pas de renvoyer le débat à se vider devant l'autorité judiciaire, au moins faut-il que l'autorité administrative appelée à le juger n'appartienne pas à la hiérarchie des agents d'où émane l'acte attaqué, et que la décision ait la même force que les jugements de l'autorité judiciaire dans les litiges qui lui sont soumis. C'est par ces considérations qu'on a été conduit à créer dans l'administration française un troisième ordre d'organes, les juridictions administratives ou l'administration contentieuse (1).

§ 1. Organes de l'administration contentieuse. - Voici les principaux organes de l'administration contentieuse en France:

Les conseils de préfecture qui, de fait, sont chargés de prononcer en première instance sur presque tout le contentieux administratif. En principe, les décisions de ces conseils sont susceptibles d'un recours au conseil d'État. Toutefois, en matière de comptabilité, le recours est porté devant la cour des comptes. Les commissions de travaux publics, tribunal

1) La création de ces juridictions dans notre législation moderne appartient à l'assemblée constituante, ainsi qu'il serait facile de le prouver : c'était, du reste, une conséquence obligée du système de gouvernement fondé par cette assemblée. Mais, quoique l'institution des juridictions administratives remonte à cette date, il faut avouer que tous les caractères du contentieux administratif n'ont peut-être pas été suffisamment précisés. Les travaux de MM. de Gerando, de Cormenin et Macarel, notamment les Tribunaux administratifs de ce dernier, ont fait beaucoup pour éclaircir cette délicate et importante matière, à laquelle nons consacrerons un article particulier

local et spécial, sont substituées aux conseils de prefecture pour prononcer, sauf recours au conseil d'Etat, sur la plupart des difficultés qui s'élèvent à l'occasion des travaux d'utilité commune, notamment à l'occasion des dessèchements de marais.

Les conseils de révision pour le recrutement de l'armée de terre, dernier vestige de la justice ambulatoire en France, sont chargés, chaque année, de réviser, dans chaque département, les opérations du recrutement (1), de prononcer sur les réclamations auxquelles ces opérations auraient pu donner lieu, et de statuer sur les causes d'exemption ou de déduction, sur les substitutions de numéros et les demandes de remplacements. Ces conseils jugent définitivement. Il y a toutefois recours au conseil d'Etat contre leurs décisions, pour incompétence et excès de pouvoirs.

Les juges en matière de garde nationale sont 1o les conseils de recensement, qui prononcent sur les admissions dans la garde nationale, sur l'inscription au controle du service ordinaire ou de réserve, sur les demandes de congé (2); 2° les jurys de révision, qui prononcent en appel sur les décisions rendues par les conseils de recensement dans les cas qui viennent d'étre énoncés, et en premier et dernier ressort sur la validité des élections confiées à la garde nationale. Il y a recours au conseil d'Etat contre les décisions des jurys de révision, pour incompétence et excès de pouvoirs, et aussi pour contrariété de décisions rendues en dernier ressort par différents conseils de recensement ou jurys de révision: toutefois, dans le département de la Seine, la violation de la loi par les jurys de révision peut donner lieu à un recours au conseil d'État. (L. 14 juillet 1857, art. 26 et 27.)

Les juges universitaires sont les comités d'arrondissement pour l'instruction primaire, les conseils académiques, les conseils de faculté, le conseil royal et le grand-maitre de l'université, qui exercent vis-à-vis des élèves ou des maitres une juridiction disciplinaire fort étendue, et qui, malgré des attaques très-vives, nous parait se justifier parfaitement. Le recours au conseil d'Etat n'a lieu que dans deux cas seulement pour mal jugé; mais il est toujours possible pour incompétence ou excès de pouvoirs.

Les juges de prises maritimes sont institués dans les ports de France, dans les ports coloniaux et dans les ports neutres. Il y a toujours possibilité de recourir au conseil d'Etat contre les décisions de ces juges; le recours est obligé dans certains cas, par exemple lorsque la décision ne prononce pas la validité de la prise.

La cour des comptes prononce, en appel, ou en premier ressort, selon les cas, sur les comptabilités en deniers de la métropole et des colonies. Elle statue par exception sur quelques comptabilités en matières; mais jusqu'à présent l'apurement définitif des comptes individuels, que les comptables en matière sont tenus de rendre, appartient aux ministres; la cour des comptes est seulement appelée à les contrôler; elle procède à leur égard par voie de déclaration et non de jugement. (L. 6 juin 1845, art. 14 et 0. 26 août 1844.) Il y a recours au conseil d'État contre les arrêts de la cour de comptes pour violation des formes de la loi, et aussi pour incompétence et excès de pouvoirs.

(1) Sous ce rapport, ils ont. incontestablement, des attributions d'administration active.

(2) Les conseils de recensement ont aussi des attributions qui ne se rapportent pas au contentieux administratif, qui appartiennent à l'action administrative; à ce titre, on pourrait les classer, comme les conseils de révision pour le recrutement, parmi les agences collectives.

Les maires et les sous-préfets, dans un très-petit nombre de cas, les préfets, plus fréquemment, prononcent sur le contentieux administratif. Les décisions des préfets doivent être, en général, attaques devant le ministre que la matière concerne; quelquefois cependant la loi permet de former directement devant le conseil d'Etat, pour mal jugé, le recours, qui peut toujours y être ainsi porté pour incompétence et excès de pouvoirs. Il y a aussi recours devant les conseils de préfecture et les cours royales contre certaines décisions préfectorales. (Voy. cidessus, I, § 5.)

les jurés, on a dans les matières civiles créé des juridictions spéciales: les tribunaux de commerce et les jurys d'expropriation.

A l'exception de la cour des comptes, l'administration contentieuse est, comme l'administration active et délibérante, instituée à titre amovible, tandis que, dans l'ordre judiciaire, les juges, moins les juges de paix, sont inamovibles. Or, l'inamovibilité est une garantie d'indépendance, dont en France on se montre jaloux à un point qui se concevrait difficilement chez un peuple où le culte de l'honneur est si haut placé, n'étaient les vicissitudes politiques dont notre pays a été le théatre depuis un demisiècle. D'un autre côté, l'inamovibilité n'est ni la seule ni la plus sûre garantie de cette nature; et, sans parler de la force que l'on puise toujours dans le sentiment du devoir et dans une position élevée, la publicité, dans notre forme de gouvernement, n'est-elle pas une sauvegarde également efficace pour les magistrats et les justiciables? Il faut l'avouer d'ailleurs, la question de l'inamovibilité, ap

Les cas dans lesquels les ministres sont appelés à rendre des décisions en matière contentieuse sont nombreux, et cela bien moins par suite des attributions directes qui résultent pour eux de dispositions speciales de la loi qu'en vertu du principe qui fait deferer aux ministres les actes des autorités qui leur sont subordonnées, lorsqu'il n'a pas été établi de recours contre ces actes devant le conseil de préfecture, ou toute autre juridiction. Ce n'est donc pas seulement au premier degré que les ministres sta-pliquée à l'autorité administrative, même aux seules tuent au contentieux; ils prononcent aussi en appel, et plus fréquemment peut-être, du moins quelques-uns d'entre eux. Du reste, toutes les décisions prises par les ministres, en matière contentieuse, peuvent être déférées au conseil d'Etat.

A ce conseil, on a pu le remarquer, d'après les indications qui précèdent, viennent aboutir plus ou moins toutes les juridictions administratives. Ce n'est pas seulement un tribunal supérieur, c'est une Cour de cassation pour l'autorité administrative; et il ne faut pas oublier que l'assistance qu'il prête au gouvernement, dans les matières purement administratives, est plus importante encore qu'en matière contentieuse.

§ 2. De la procédure devant les juridictions administratives. La procédure devant les juridietions administratives réunit généralement la célérité et l'économie: sous ce rapport, elle mérite d'être proposée pour modèle à l'autorité judiciaire. Le seul reproche qu'on puisse lui adresser, c'est que, à l'exception du conseil d'Etat, dont les formes de procéder sont écrites dans le règlement du 22 juillet 1806, elle se compose, en général, de règles empruntées à la jurisprudence. Or, en France, on répugne à voir régler les intérêts des citoyens par fautorité, toujours un peu arbitraire et incertaine, des précédents. Du reste, peut-etre a-t-il été sage d'être sobre de règles législatives, lorsqu'on faisait l'essai de juridictions toutes nouvelles.

$3. Du caractère exceptionnel de ces juridictions et de l'inamovibilité.-L'esquisse de ces juridictions serait incomplète si nous ne parlions de leur caractère. Sont-elles, comme on le dit le plus ordinairement, des juridictions exceptionnelles? ou doit-on les considérer comme étant, dans le domaine administratif, les juges ordinaires et naturels, de la même manière que les tribunaux de Jordre judiciaire dans le domaine du droit civil et criminel? A nos yeux, cette dernière opinion est seule vraie; seule, elle permet de réaliser dans la pratique des affaires le principe de l'indépendance réciproque des autorités administrative et judiciaire que l'assemblée constituante a posé comme un des fondements du droit public moderne. D'ailleurs, à charnn sa tâche. Le contentieux administratif appartient à des idées d'un autre ordre que le contentieux judiciaire. Le jugement de ces litiges exige des connaissances spéciales que la vie de l'homme le plus intelligent et le plus laborieux suffit à peine pour acquérir. Le domaine judiciaire lui-même est iellement vaste que, sans parler de la législation criminelle, pour l'application de laquelle interviennent

juridictions, partage les esprits qui veulent le plus fermement cette inamovibilité pour les juges de l'ordre judiciaire. Les matières administratives, sans en excepter le contentieux, se rattachent si étroitement à la marche du gouvernement, qu'on craindrait de voir paralyser le pouvoir des chambres législatives, si une portion quelconque de l'autorité administrative était remise à des organes inamovibles et nécessairement irresponsables.

Du reste, le principe d'après lequel les actes de l'autorité administrative ne peuvent être déférés à l'autorité judiciaire, quoiqu'il soit considéré comme constitutionnel, n'est cependant pas tellement absolu qu'il ne souffre exception dans certains cas. Ainsi, lorsqu'il s'agit de questions de propriété, ou bien de l'application d'une pénalité, ou encore de la perception d'une taxe, si des actes administratifs sont invoqués contre les citoyens et que ceux-ci en contestent la légalité, il appartient aux tribunaux et cours de discuter et d'apprécier ces actes, et de reconnaître s'ils ont été pris dans les limites des pouvoirs légaux de l'administration.

IV. OBLIGATIONS RÉCIPROQUES DES ADMINISTRATEURS ET DE L'ÉTAT.

Chaque ordre de fonctionnaires administratifs et chaque fonctionnaire dans son ordre a ses devoirs spéciaux envers l'Etat et les citoyens, et, en revanche, possède des droits. Mais il y a des devoirs et des droits communs à tous les fonctionnaires.

Les devoirs moraux de probité, de dévouement, de dignité dans la conduite, et de bienveillance sont sans doute au premier rang; car la force morale dans le maniement des affaires publiques est la plus précieuse; elle économise l'emploi du commandement. Mais ces règles applicables dans tous les temps, dans tous les pays, n'appartiennent pas au droit administratif. Il en est de même des droits que les fonctionnaires ont à la protection de l'Etat, au respect, à la bienveillance, à la gratitude des citoyens.

Parmi les obligations du droit positif français, il en est qui imposent à tous les agents de l'administration active la responsabilité des actes qu'ils accomplissent ou qu'ils cemmandent à leurs subordonnés; d'autres qui défendent le cumul des fonctions déclarées incompatibles, ou celui des traitements dans certaines limites.

Les droits se rapportent à la rémunération des services, par les traitements et l'avancement hiérarchique, pendant l'activite, et par les pensions de retraite, lorsque l'âge ou les infirmités interrompent les services.

V. DE L'INDÉPENDANCE RÉCIPROQUE DES DEUX AUTORITÉS ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE.

L'autorité administrative étant ainsi organisée, le législateur a pensé que, pour assurer la durée de son œuvre, il fallait soigneusement empêcher l'invasion du domaine de l'administration par l'autorité judiciaire, et réciproquement.

Pour atteindre ce but, l'incompatibilité absolue des fonctions judiciaires et administratives a été décrétée en principe: la confusion dans les personnes aurait pu amener la confusion dans les choses. Puis des pénalités ont été établies contre les fonctionnaires d'une autorité qui empiéteraient sur les attributions de l'autre. (C. P., art. 127 à 131.)

Des garanties plus efficaces que ces pénalités résultent d'autres dispositions moins menaçantes, et par conséquent d'une application plus facile. Ainsi, d'une part, il a été interdit de traduire devant l'autorité judiciaire un agent administratif pour des faits relatifs à ses fonctions, sans l'autorisation de l'administration supérieure ; d'autre part, on a donné à l'autorité administrative la faculté de revendiquer, par la voie du conflit d'attributions, les affaires soumises à l'autorité judiciaire, pour la décision desquelles cette autorité s'est déclarée compétente, et dont l'administration croit que la connaissance lui est réservée. Jusqu'au jugement du conflit par le roi en conseil d'Etat, l'autorité judiciaire doit sur

seoir à statuer.

En posant ces barrières entre les deux autorités administrative et judiciaire, le législateur paraît évidemment les avoir dirigées surtout contre les tentatives d'envahissement de celle de ces autorités qui trouve, dans son inamovibilité et son irresponsabilité, une force qui s'accroit de toute la puissance des traditions, léguées à la magistrature par les anciens parlements.

VI. DES MATIÈRES ADMINIStratives ou SERVICES PUBLICS.

Après avoir exposé l'organisation de l'autorité administrative (1), nous devons considérer cette autorité quant à son objet, c'est-à-dire jeter un coupd'œil sur les services publics qui forment ses attributions.

Un maître illustre, le véritable fondateur de l'enseignement public du droit administratif en France (M. le baron de Gerando), a cru pouvoir ranger dans quatre classes toutes les matières administratives: nous emprunterons ses cadres pour le tableau qui nous reste à tracer.

Le

§1. Matières de haute administration. droit administratif n'étant qu'une des branches du droit public, il y a nécessairemment entre eux des rapports toujours étroits, mais dont l'intimité est plus grande pour certaines matières: telles sont celles qui concernent les rapports de la France avec les étrangers, considérés comme nation ou comme individus; l'exercice des droits civiques; la concession des honneurs et des récompenses publiques, et, dans certains points, la constitution des familles.

Avec les étrangers considérés comme nation, la France a des rapports de bonne harmonie, dans un intérêt politique ou commercial: de là les agences diplomatiques et consulaires. Elle a aussi des rapports de sûreté d'où l'institution et l'entretien de la force publique, c'est-à-dire l'armée de terre et de mer, et feurs auxiliaires, la garde nationale et la course maritime. Avec les étrangers pris individuellement, la France a des rapports relatifs, soit à l'incolat, soit à la naturalisation des divers degrés. Pour tous ces

(1) Ce qui précède ne s'applique pas complétement aux colonies. L'organisation administrative n'y est pas la même que dans la métropole, bien qu'elle repose sur les mêmes bases.

objets, les principes, les règles fondamentales se puisent sans doute dans le droit public, externe ou interne; mais les règles secondaires, les détails d'organisation et d'application appartiennent au droit administratif.

Quant à l'exercice des droits civiques, la rédaction des listes électorales et du jury est confiée à l'administration. Le jugement même des difficultés relatives à la validité des opérations électorales lui est remis, à l'exception de ce qui concerne les élections pour la chambre des députés.

La concession des honneurs et des récompenses publiques (telles, par exemple, que la Légion-d'honneur et les pensions) appartient exclusivement à l'administration. La législature n'intervient qu'exceptionnellement dans la distribution de ces rémunérations, par exemple, lorsqu'il s'agit de pensions extraordinaires.

Enfin, quant à la constitution des familles, les majorats et les changements de nom sont du domaine administratif.

Ces diverses matières forment, dans le droit administratif, une branche spéciale qu'on peut appeler matières de haute administration. Elles touchent de si près à la sphère du gouvernement proprement dit qu'elles se confondent parfois avec elle.

§2. Etablissements publics et communautés territoriales.-Si la grande agrégation politique se personnifie dans l'être moral appelé Etat, dont les intérêts sont distincts de ceux de chacun des membres qui le composent, et qui a une existence civile différant peu de celle des simples individus, il est aussi, dans l'Etat, des agrégations de personnes plus ou moins nombreuses, des communautés territoriales et des établissements d'utilité publique, qui ont leurs intérêts propres, distincts de ceux de l'Etat et des particuliers.

La législation française permet de reconnaître l'existence civile aux établissements publics et communautés et de leur conférer ainsi le droit de posséder et d'acquérir.

Ces établissements et communautés peuvent être ramenés à quatre espèces principales: les établissements d'instruction publique, les établissements religieux, les établissements de bienfaisance et les communautés territoriales.

Quoique ces établissements et communautés aient des intérêts spéciaux, distincts de ceux de l'Etat comme de ceux des particuliers, cependant on conçoit qu'ils ne s'isolent jamais de la grande communauté nationale aussi complétement que les individus et les familles. L'Etat ne peut donc pas les laisser se mouvoir dans une indépendance absolue. Il le peut d'autant moins que ces agrégations sont ordinairement constituées en vue de satisfaire à des besoins collectifs, qui rentrent plus ou moins directement dans les services publics, et qu'elles deviennent ainsi pour l'administration des auxiliaires, dont le concours ne doit jamais dégénérer en rivalité, et encore moins en antagonisme.

Il faut remarquer, d'ailleurs, que ces agrégations existent indépendamment de tel ou tel de leurs membres, et qu'elles n'ont pas toujours les mêmes intérêts que ces membres, car, pour elles, le premier besoin est celui de se perpétuer, et, pour eux, celui de jouir. On ne peut donc pas abandonner entièrement la gestion des intérêts de ces établissements au libre arbitre de leurs membres; il serait trop à craindre qu'ils ne sacrifiassent l'avenir au présent. La puissance publique seule est placée convenablement pour satisfaire à l'un sans oublier l'autre; car elle est suffisamment désintéressée du présent et les vues d'avenir lui sont habituelles. Enfin, ainsi qu'on la dit ci-dessus, elle est déjà appelée

à exercer, dans l'intérêt même de l'Etat, une action de surveillance et de contrôle sur les communautés dont il s'agit. Les établissements publics sont donc placés sous la tutelle du gouvernement, et comme cette tutelle ne s'exerce que par l'appréciation d'une foule de circonstances locales, c'est ordinairement à l'autorité administrative que son exercice est remis; rarement la législature y prend part.

L'administration des établissements publics exige des règles nombreuses, qui varient nécessairement suivant la nature des établissements soumis à la tutelle; mais du principe de la tutelle, qui domine toute la matière, sortent un petit nombre de points auxquels se rattachent toute la législation et les règlements qui forment une des branches capitales du droit administratif.

$5. Police administrative.—Un troisième ordre de services publics se rapporte à la police administrative, dont le but est d'établir ou de maintenir le bon ordre dans les choses qui sont d'un usage commun, soit par leur nature, soit par la destination de la puissance publique, soit par les habitudes des citoyens.

L'action administrative rencontre ici un immense theatre où elle est appelée à se produire sous toutes ses formes; elle dirige, elle contrôle, elle surveille, elle procède à des enquêtes et informations, elle requiert, elle prescrit, elle prohibe, elle suspend; et pour l'exercice de cette autorité si étendue, si variée, et le plus souvent discrétionnaire, elle dispose par des mesures réglementaires ou individuelles, gé nérales ou locales, auxquelles la juridiction administrative et les tribunaux criminels prêtent concurremment l'appui d'une sanction pénale.

On peut distinguer, dans la police administrative, la police des communications terrestres (routes, chemins et rues), celle des eaux (rivières, canaux, ruisseaux), celle des mines, des subsistances, des professions relatives à l'art de guérir; la police sanitaire, celle de l'industrie, des lieux publics, des établissements de répression; puis la police rurale, et enfin, celle des choses qui touchent plus spécialement à l'ordre moral : par exemple, la police de la presse, c'est-à-dire de l'imprimerie et de la librairie.

$4. Fortune publique. — La gestion de la fortune publique appelle un autre ordre de services. Ici encore, de graves et nombreux devoirs sont imposes à l'administration. En effet, en ce qui concerne les ressources de l'Etat, la législature et l'autorité judiciaire interviennent bien, l'une pour l'assiette de l'impôt, l'autre pour le jugement des questions de propriété ou des difficultés relatives à certains baux du domaine, et surtout quant au contentieux des contributions indirectes; mais c'est à l'autorité administrative que sont réservés la gestion du domaine national et presque tout le contentieux de Cette matière, la répartition, le recouvrement et le contentieux des contributions directes, puis la perception des impôts indirects. Quant aux dépenses et a la comptabilité publique, non-seulement l'organisation, mais le contentieux, sont dans les attributions de l'administration. Enfin, dans cette quatrieme branche des services publics, sa tâche se complique de toutes les difficultés d'application que presente la science, si nouvelle encore, de l'éconothe sociale.

VII. DIFFÉRENCES, ANALOGIES, HARMONIE ENTRE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE ET L'AUTORITÉ ADMINISTRA

TITE.

Nous avons dit que l'autorité judiciaire et l'autonte administrative étaient séparées, parce qu'elles vaient une mission toute différente à remplir. Il importe, pour que notre pensée soit bien comprise,

de mieux caractériser cette différence, et de montrer que la séparation des fonctions n'a pas pour but d'empêcher l'harmonie d'exister entre ces deux autorités; qu'elle doit, au contraire, l'assurer, dans leur intérêt commun et dans celui de la société tout entière.

Voyons d'abord les dissemblances.

L'autorité judiciaire (Voy. ce mot) prononce, en général, entre personnes privées et sur choses privées; l'administration décide sur les choses publiques, ou entre la chose publique et la chose privée. L'autorité judiciaire se fonde toujours sur des titres, des conventions, des témoignages, des règles écrites et absolues, et prononce sur des droits positifs; l'administration, consultant l'utilité générale, l'intérêt de l'ordre public, se dirige par des considérations d'équité ou de simple convenance. Même dans le contentieux administratif, où des droits sont engagés, il y a place pour ces considérations.

Généralement l'autorité judiciaire veut être saisie, et l'administration agit spontanément, en dehors du contentieux administratif. L'autorité judiciaire prononce sur des faits préexistants et individuels; l'administration prévoit l'avenir, y pourvoit par des règlements généraux. L'autorité judiciaire est environnée de formes rigoureuses, lentes et solennelles; la forme de l'administration est plus rapide, et se modifie suivant les circonstances. L'autorité judiciaire s'exerce généralement par des magistrats inamovibles; l'administration est généralement confiée à des agents révocables.

De toutes ces différences est née la nécessité de rendre distinctes ees deux autorités.

Mais si cette séparation est nécessaire, elle n'exclut pas les rapports entre les deux autorités : sorties d'une même source, conspirant au même but (l'ordre général de la société), elles se trouvent constamment rapprochées et sont appelées se prêter une mutuelle assistance pour l'accomplissement de leur mission respective.

En effet, l'administration comparaît devant l'autorité judiciaire, en faisant office de personne privée 1o relativement à la gestion du patrimoine public; 20 comme témoin authentique et légal; 3o comme tutrice des établissements publics. De plus, l'autorité judiciaire reçoit les déclarations administratives, maintient les priviléges du trésor, applique les règlements d'ordre public portés par l'administration, réprime les contraventions à ces règlements.

De son côté, l'autorité administrative pourvoit aux mesures économiques pour l'administration de la justice: elle solde les dépenses, construit, entretient les édifices. Elle prévient les délits par des mesures d'ordre public, par sa vigilance. Elle concourt à l'exécution des jugements criminels; elle désigne les officiers ministériels attachés aux tribunaux ; elle organise leur service.

Les deux autorités emploient, d'ailleurs, des instruments communs. Ainsi, certains administrateurs remplissent les fonctions de police judiciaire : tels sont les maires, les commissaires de police, les intendances et commissions sanitaires, etc. Enfin, beaucoup d'agents de l'administration sont assermentés devant les tribunaux, et leurs procès-verbaux font foi en justice.

Il serait facile d'étendre ce parallèle, mais les limites de notre cadre s'y refusent: ce qui précède suffit, nous l'espérons, pour achever de déterminer le véritable caractère de l'autorité administrative en France, et c'était le but du présent travail. J. B.....R.

ADOPTION. Action d'adopter, c'est-à-dire de prendre pour son fils ou sa fille une personne qui n'est pas née telle, et de lui en donner les droits ci

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