Page images
PDF
EPUB

petits cantons, sans grandes lumières, qui regardait les Français en fanatique; il croyait voir dans toutes leurs actions des choses horribles, ou plutôt s'imaginait qu'ils allaient envahir la Suisse. Ses rapports étaient très exagérés, il n'avait pas le sens commun. Le tout venait de deux petites chaloupes canonnières placées sur les lacs dans la partie appartenant au Milanais. Les députés de Frauenfelden virent le général, s'expliquèrent avec lui et dans un instant tout fut entendu. Ces barques étaient pour empêcher la contrebande, employaient peu de troupes, et n'étaient pas dangereuses. Le général fit sentir qu'il avait intérêt à être tranquille avec les Suisses, mais que si on voulait mal vivre avec lui, il empêcherait l'exportation des grains du Milanais, et que les Suisses en souffriraient.

La quatrième affaire est avec les Grisons. Leurs sujets de Chiavenna, Valteline et Bormio, aussi nombreux que leurs souverains, veulent se débarrasser du joug et être libres; le général Bonaparte est pris pour arbitre. Son projet est de faire de ce pays une quatrième ligne grisonne, de lier étroitement ce pays au Milanais en lui faisant fournir trois mille hommes payés par la nouvelle république.

Revenons à mon voyage. Nous arrivons vers les six heures à Capolago, sur le bord du lac; près de là est la petite ville de Riva. Capolago est un village; on y a écrit, en grosses lettres, sur une des belles maisons de la place. «Tel jour, le général Bonaparte, toujours invincible, est venu ici avec une compagnie de cavalerie et s'en est allé après avoir admiré le pays. » Il y avait de quoi admirer le pays est beau. Nous avons trouvé une voiture que notre hôte avait fait préparer de Lugano, et nous sommes partis de suite. .Nous avons eu là l'idée des mœurs italiennes. Plus de vingt personnes, très inutilement officieuses, sont venues nous demander des pourboires (en Italie, la buona mano) sous mille prétextes plaisans l'un pour avoir porté le porte-manteau, l'autre fermé la portière, etc.

Nous sommes partis lestement pour Como dans une voiture fort en désordre, les portières ne ferment pas. Enfin nous allons tou

jours quoique assez secoués. Le pays est beau, rien n'est plus intéressant, les coteaux sont riants, couverts de beaux édifices, de couvents, de campagnes. Nous ne voyons pas encore l'immensité de la plaine, nous ne sommes pas contents.

Cependant nous arrivons sur les frontières de la Suisse et du Milanais. On nous arrête à la barrière cisalpine; nos passeports font bien vite reculer nos hommes des douanes, et bientôt nous sommes loin. La route est belle, elle va dans une petite vallée à hord découvert, et enfin gagne les hauteurs qui dominent le lac de Como.

Como.

Là, j'ai joui du plus beau coup d'œil de ma vie; rien de magnifique comme la vue de cette ville à vos pieds, très bien bâtie, grands et beaux faubourgs, grande place, outre deux où des troupes sont assemblées.

La demi-brigade qui y était en garnison était assemblée en carré et enveloppée d'un peuple immense de curieux; quelques troupes lombardes de gardes nationales, à moitié équipées, formaient un singulier contraste dans tout cela et rappelaient les premiers temps de la révolution. Quelques brillantes voitures, des officiers français dedans avec de jolies femmes, furent pour nous le prélude du bonheur de l'armée d'Italie.

Cependant le soldat se plaignait; couché sur un peu de paille dans des cloîtres, il n'était pas à son aise, et les maladies désolaient cette demi-brigade qui venait de Sambre-et-Meuse, regrettait ce pays où l'on trouvait, disaient-ils, toujours quelque chose chez l'habitant.

(A suivre.)

LES PLANCHES SPÉCIALES DE LA « SABRETACHE »

I. Les aquarelles du général Lejeune. L'ancien 5 dragons.

Privés cette année des belles reconstitutions en couleurs qui ornaient d'ordinaire le Carnet et permettaient d'y entreprendre l'étude de nos uniformes, sans fatiguer le lecteur par des descriptions n'aboutissant pas, les membres de la Sabretache vont, en revanche, commencer à recevoir les planches spéciales, de format in-4°, annoncées dans le bulletin du 30 avril dernier. Les premières, reproduction très fidèle de deux des six belles aquarelles du général baron Lejeune, fort admirées, en 1896, à l'Exposition rétrospective des Champs-Élysées, sont des études d'après nature de deux brigadiers de l'ancien 5o dragons.

En informant de cette bonne nouvelle le directeur du Carnet, M. E. Detaille m'ayant courtoisement invité à en dire ici un mot, je m'empresse de satisfaire de mon mieux à ce désir.

Tout d'abord il convient de faire connaître que les aquarelles originales du général Lejeune ont été gracieusement et spécialement communiquées pour les membres de la Sabretache, par son petit-fils, M. le baron Lejeune. Ces précieuses études, qui donnent une frappante impression de vérité, datent visiblement du Consulat par les uniformes qu'elles représentent. Les dragons en particulier furent vraisemblablement peints pendant le séjour du 5o dragons à Paris, où ce régiment fut appelé de Gand, peu de jours après le 18 brumaire; deux de ses escadrons y restèrent en garnison pendant que les deux autres faisaient la campagne de Marengo. Le colonel était, depuis le 9 juin 1800, le futur roi de Hollande, Louis Bonaparte.

D'après les Souvenirs militaires de M. Auguste de Vanssay, ex-officier du 5 dragons où il s'était engagé en 1803, le colonel Bonaparte avait fait don à ses officiers de sabres d'un modèle spécial fabriqué à cette intention. Ces sabres, « tant soit peu courbes et d'un maniement facile, pouvaient servir à la pointe comme au taillant ». Si des sabres analogues à ceux des officiers furent donnés à la troupe, ce sont eux sans doute qui arment les dragons du général Lejeune, car, à cette époque, les régiments de cette arme faisaient normalement usage de lames droites. Pour les amateurs, cette particularité ajoute à l'intérêt des deux dessins. Il peut cependant se faire que les sabres dessinés d'après nature soient simplement des sabres de chasseurs à cheval, l'armement des troupes étant alors assez disparate encore.

Il est une autre particularité moins facile peut-être à expliquer et que voici les dragons portaient le bonnet de police roulé sur une bande de buffle réunissant les deux parties de la banderole de giberne, un peu au-dessus du coffret. Dans les deux aquarelles, ce rouleau paraît être d'étoffe blanche, tandis que le bonnet de police devait être vert à galon blanc.

Le fourreau de baïonnette manque, mais un petit porte-baïonnette est indiqué. Le 5 dragons avait été l'un des premiers régiments de l'arme à reprendre le fusil, en l'an IV, à Brescia, avant l'expédition du Tyrol.

Qu'on me permette enfin une dernière remarque. Les deux figures portent la moustache contrairement à l'usage général des dragons.

Le 5o dragons avait été, jusqu'en 1791, colonel général des dragons avec le numéro 1. Il se flattait de descendre des fameux Carabins d'Arnaud de Corbeville. D'après M. de Vanssay, la compagnie d'élite portait de son temps les aiguillettes, en souvenir de pareille distinction donnée par le colonel général à la compagnie générale de son régiment'. Le colonel Morin, qui commanda le 5e

1. En me rappelant de son côté les Souvenirs du commandant de Vanssay, M. A. Millot cite comme il suit une anecdote empruntée au même ouvrage :

En décembre 1804, à Compiègne, lors d'une manoeuvre à pied par un froid excessif, la plupart des dragons du 5 n'ayant pas de gants pouvaient à peine tenir les

[merged small][ocr errors][merged small]

du 1er juin 1812 au 15 mars 1814, a laissé des mémoires manuscrits malheureusement trop courts et qui m'ont été communiqués Il y raconte comment, rejoignant en Espagne son régiment, il rencontra à Valence une troupe de cavaliers si brillante qu'il la prit d'abord pour une compagnie de grenadiers à cheval de la garde royale d'Espagne. C'était sa propre compagnie d'élite envoyée par le régiment au-devant de son nouveau colonel! Ce fait pourrait bien indiquer que les grenadiers du 5 portaient encore les aiguillettes en Espagne. J'ai noté, d'ailleurs, en 1853, un vieil officier de ce régiment avec des aiguillettes parmi les vieux soldats se rendant à la place Vendôme, aux grands anniversaires, pour y défiler encore une fois devant leur Empereur.

Le baron Lejeune a écrit sur un des dessins le nom de son modèle, le brigadier Roux. Il n'a point été trouvé trace de la carrière ultérieure de ce soldat inconnu, dont le général aura éternisé les traits.

Le début de la publication spéciale réservée aux membres de la Sabretache est d'un bon augure. Puisse-t-on retrouver beaucoup de représentations d'uniformes aussi authentiques! Grâce à la double compétence du général Lejeune, celles-ci semblent aussi incontestables que des photographies; elles sont en même temps plus agréablement artistiques.

27 octobre 1898.

Gal V.

armes. La colonelle, enfermée dans sa voiture, s'informa pendant le repos à plusieurs capitaines du motif qui laissait les hommes sans gants. Le lendemain, tous les dragons indistinctement reçurent des gants de laine.

« PreviousContinue »