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Le Régiment du Roi, écrit le capitaine Le Vasseur, fut créé en 1662. Selon Susane, cette création résulte d'une ordonnance du 2 janvier 1663, contrairement à l'opinion de Lemau de la Jaisse, qui indique aussi dans ses célèbres Abrégés la date de 1662. Or, l'existence du régiment date d'un peu plus loin, la preuve inattendue nous en a été fournie par le volume 80 des Archives anciennes de la guerre, qui contient deux pièces du temps intitulées: Controlles des troupes estant au service du Roy, avec les lieux où elles sont en garnison, en septembre 1660. Le Régiment du Roy y figure en effet avec 20 compagnies, dont 8 à Metz, 6 à Verdun et 6 à Toul. De plus, le recueil de petites pièces manuscrites rassemblées par Monteil, connu sous le titre de: Tiroirs de Louis XIV, renferme un état des troupes passées en revue par ce monarque, le 15 avril 1662, dans la plaine proche Colombes, et le Régiment du Roi y apparait en tête de la 3" cclonne.

Enfin, Fontenelle, qui prononça l'éloge de Dangeau à l'Académie des sciences le 23 mai 1721, dit : « Le roi fit, en 1665, M. de Dangeau colonel de son régiment qui depuis quatre ou cinq ans était sur pied et n'en avait point eu d'autre que Sa Majesté elle-même. » La date précise citée par le général Susane a donc besoin d'être rectifiée ou expliquée. Le temps nécessité par de plus longues recherches nous ayant manqué pour le faire ici, nous croyons devoir signaler aux chercheurs le point

à éclaircir.

Combien ne serait-il pas intéressant de voir les premières années de nos plus anciens régiments mieux connues! Quelle tâche attrayante d'en retracer le tableau, s'il devenait possible d'y peindre leur véritable aspect, en retrouvant les mœurs, les usages militaires des corps levés dans les différentes provinces de France, au lieu de se borner à une sèche nomenclature, ou de rester dans des généralités vagues dont les investigations historiques ne se contentent plus aujourd'hui! Il est vraiment fâcheux de trouver plus de facilité à représenter authentiquement une légion romaine qu'un des régiments d'Henri IV. Pourquoi la plupart des archéologues se désintéressent-ils encore de semblables recherches nationales? Quelles étaient, par exemple, les premières enseignes données par Louis XIV à son régiment? Cette question même reste indécise. Susane explique ingénieusement les quartiers rouge feu et vert påle des drapeaux adoptés après la fusion du régiment avec celui de Lorraine, rapportant de Candie ses vieilles enseignes vertes à la couleur lorraine, mais rien ne fait connaitre jusqu'ici les drapeaux antérieurs. S'il en est ainsi d'un régiment célèbre appartenant en propre à Louis XIV, que dire des autres?

A la création du régiment et lors de l'augmentation successive du nombre de ses compagnies quelques années après, ses officiers avaient été tirés des mousquetaires, brillante école de la jeune noblesse. « Le Roy, dit le manuscrit, trouva bon que les gens de qualité entrassent dans la compa

CARNET DE LA SABRET.

N° 61.

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gnie colonelle pour y porter le mousquet. » On voit donc que si, comme cela serait, à notre avis, désirable, le ministre de la guerre répartissait, par un tableau d'ensemble officiel, entre les corps de l'armée actuelle la représentation de ceux de l'ancienne armée, le 105° de ligne aurait quelque droit de revendiquer les traditions de ces vaillantes compagnies rouges de Mousquetaires, aussi crânes à pied qu'à cheval, et sur les talons desquelles les Grenadiers du Régiment du Roi entrèrent audacieusement dans Valenciennes, au siège de 1677.

Une note conservée aux Archives de la guerre et venant de M. de Guerchy, qui commanda le corps de 1745 à 1767, établit d'une manière très nette la situation spéciale et les prérogatives du Régiment du Roi. En voici la partie principale:

« Le Régiment du Roy n'eut d'abord qu'un lieutenant-colonel, le Roy en étant le seul colonel. Ensuite, Sa Majesté créa un colonel auquel il donna le nom de colonel-lieutenant, titre qui a été conservé depuis ce temps-là à tous les autres colonels.

Louis XIV établit que ce colonel-lieutenant ne rendrait aucun compte au ministre de la guerre de tout ce qui aurait rapport à son régiment, mais à sa seule personne, ce qui s'est depuis ce temps-là toujours pratiqué. Le colonel-lieutenant au régiment du Roy est. inspecteur-né de cette troupe et travaille avec le Roy, non seulement pour tous les emplois vacants qu'il propose à Sa Majesté de remplir, mais pour toutes les grâces que les officiers du corps demandent, comme: pensions, croix de Saint-Louis et grades militaires jusqu'à celui de brigadier inclusivement.

Le lieutenant-colonel et les commandants de bataillon, ainsi que le major, ont le brevet de colonel, du jour qu'ils sont nommés auxdits emplois. Le Roy accorde même quelquefois des brevets de colonel aux capitaines de Grenadiers.

Il y a des pensions attachées à la tête de ce corps pour le lieutenant-colonel, les commandants de bataillon et les capitaines de Grenadiers et pour un certain nombre de capitaines fonctionnaires, le tout dans la proportion des grades.

C'est le seul des régiments français d'infanterie, avec celui des Gardes Françaises, que le colonel garde quoique officier général; il peut même le garder maréchal de France.

Il est d'usage et même le Roy exige le plus souvent que la noblesse de son royaume et de sa cour passe par ce régiment comme

une école pour parvenir à d'autres emplois. A chaque promotion de régiments que le Roy donne, il en accorde ordinairement plusieurs dans son régiment et toujours un au choix du colonel à qui il veut bien en laisser la nomination.

Le Roy a attaché et entretient à la suite de ce régiment différents maîtres pour l'instruction de la jeune noblesse qui y est, à savoir un maître de mathématiques, un pour le dessin et la fortification, un maître d'armes et un maître de langue allemande.

Le Régiment du Roy ne se vend pas; les appointements des officiers et la paie du soldat sont les mêmes que dans les autres régiments d'infanterie, à l'exception qu'il y a une pension de six mille livres attachée à la personne du colonel.

Mais revenons au manuscrit de Nancy, sauf à laisser subsister dans la présente notice quelques redites. Suivant ce document, le lieutenant-colonel, placé d'abord seul à la tête du régiment en 1662, fut un officier d'infanterie, très estimé, M. de Martinet, et un an et demi après le marquis Dangeau fut nommé colonel. D'après les textes relatés plus haut, la sucression des faits semblerait être celle-ci :

Les éléments du Régiment du Roi auraient été choisis et rassemblés par Martinet vers 1660, c'est-à-dire peu après le licenciement d'un grand nombre de régiments d'infanterie qui suivit la paix des Pyrénées. Ainsi auraient été formées les vingt premières compagnies dont la présence est constatée dans les Trois-Évêchés en septembre 1660 et lorsque plus tard le marquis de Dangeau fut nommé colonel, Martinet (qui lui succéda en 1670) ne cessa pas de s'occuper du régiment devenu beaucoup plus nombreux, car il était l'officier émérite dont Louis XIV se servit principalement pour régler et discipliner l'infanterie française. (Le petit instrument de propreté dont nos soldats sont encore munis, doit même, dit-on, son nom à cet instructeur modèle.)

Philippe de Courcillon dit le marquis de Dangeau », ainsi s'exprime Saint-Simon, était né le 21 septembre 1636 dans le pays chartrain; il était donc du même âge que Louis XIV. Appelé très jeune au commandement du Régiment du Roi, après avoir servi dans la cavalerie en France et en Espagne, il déploya beaucoup de faste et d'élégance, mais ne continua pas, comme on sait, sa carrière dans l'armée. La Gazette de 1666 disait : : « Le 9 septembre, le régiment fit l'exercice dans le parc de Vircennes en présence du Roi et de toute sa cour, ensuite de quoi ses compagnies retournèrent en leur camp dans la plaine voisine où étaient dressées plusieurs tentes. Mr le Dauphin y vint sur le soir à la promenade, accompagné de la maréchale de la Motte, et ce beau prince, qu'on ne

pouvait assez admirer, y trouva une magnifique collation que lui avait fait préparer le marquis Dangeau. » S'il faut en croire l'Essai, « Dangeau eut dessein de faire de son régiment une troupe de la Maison du Roi, comme les Gardes Françaises et Suisses, mais M. de Louvois s'opposa au projet, qui ne put réussir. »

D'après le capitaine Le Vasseur, à l'époque où Martinet devint, en 1670, colonel du régiment, « les habits uniformes furent introduits dans tous les régiments, les camps devinrent plus réguliers, on les partagea en rues tirées au cordeau, les faisceaux d'armes à la tête des bataillons.

«M. de Martinet avait fait camper ainsi le régiment du Roi à la campagne de 1667 et le Roi voulut que cette méthode fût pratiquée dans toute l'infanterie. >>

On lit dans une lettre des Archives, datée de Nancy, 25 janvier 1671: « M. Martinet arriva hier en cette ville. Il a vu aujourd'hui le régiment du Roy, homme par homme, il m'a témoigné en être fort content; il visitera demain les garnisons de Rozières et Paroy pour de là s'en aller en Flandre. »>

Le mois suivant, le maréchal de Créquy écrivait aussi de Nancy, le 18 février:

Hier, par le plus beau temps du monde, je vis à deux lieues d'ici 29 compagnies du régiment du Roy et tout le régiment de Louvigny. Toutes ces compagnies me parurent en fort bon état, bien exercées et bien disciplinées. »

Quelques jours auparavant, le 11 février, le maréchal notait un détail utile à recueillir ici, parce que le sujet est peu connu :

« A l'égard du régiment du Roy, il ne se donne rien de la paye de deux sols au soldat, mais tous les huit jours il reçoit huit sols moins un liard, tant pour le vendredi que pour les trois liards de la demi-livre de viande qui ne se prend pas, et sur ce pied-là, les soldats seront assez bien, principalement si leurs officiers prennent soin de leur faire leur desconte du sol par jour qui leur est dû pendant le quartier d'hiver. »

En raison de sa composition spéciale, le régiment du Roi est cité plus souvent que les autres dans les papiers du temps, mais il faudrait un long travail et un gros volume pour recueillir tous les témoignages relatifs à son histoire, qui serait d'ailleurs fort instructive quant à l'histoire générale de l'infanterie, car il servit à l'essai de plus d'une amélioration. Un corps aussi brillant, conservant le point d'honneur des mousquetaires, ne manquait aucune occasion de se distinguer; la jeune noblesse qui remplissait son très nombreux cadre d'officiers prodigua plus d'une fois son sang, aussi ses pertes furent souvent énormes. C'est ainsi qu'à Senef, il perdit 72 officiers, dont 22 capitaines; sept ans après, d'après le manuscrit, à la bataille de Steinkerque, où l'armée avait été d'abord sur

prise', a toute la tête du régiment périt, trois commandants de bataillon, quatre capitaines de grenadiers et huit autres capitaines furent tués ». Le régiment du Roi avait ses institutions particulières; il posséda le premier des grenadiers; en 1691, il avait déjà des hautbois; au siège de Mons, au lendemain d'une action de vigueur de ces grenadiers, lesdits hautbois donnèrent, à onze heures, dans la tranchée, une sérénade aux dames de la ville venues en grand nombre sur les remparts, selon Susane, pour répondre à cette galanterie des assiégeants.

M. le marquis de Surville ayant été nommé colonel en 1692, « le Roy ordonna que le régiment ne serait plus sujet aux inspections ni au ministre de la guerre pour la disposition des emplois; il est à cet égard comme le régiment des gardes et comme les autres troupes de la maison du Roy, qui n'ont pour ainsi dire d'autres inspecteurs que le Roy luimême, lequel nomme immédiatement tous les officiers. Ce prince attacha à la charge de colonel de son régiment une pension de six mille livres. » En 1711, M. Du Barail, colonel depuis 1706, ayant été fait maréchal camp et n'étant plus guère en état de servir à cause de ses blessures, le Roy donna le régiment à M. de Nangis et déclara que tous ses ofliciers qui seraient chefs de bataillon auraient le brevet de lieutenantcolonel. »

de

Les passages suivants découpés, sans liaison, dans le manuscrit de Nancy contiennent simplement, outre le compte rendu des revues passées par le Roi, le récit de deux épisodes de guerre mettant en relief l'entrain des soldats du régiment et l'initiative d'un de ses colonels.

1715.

La paix s'étant faite cette année, le Roy fit venir camper son régiment à Marly, où le colonel n'épargna rien pour la magnificence, le Roy lui avoit donné quatre de ses tentes, indépendamment d'un grand bâtiment qu'il occupoit.

Par tout ce que l'on vient de rapporter, on voit que Louis quatorze affectionne toujours beaucoup son régiment, qui répondit à cet honneur par sa valeur et ses services.

Le Roy le mit sur le pied des Petits-Vieux, et lui en donna toutes

1. Témoin la mode des cravates dites à la Steinkerque, parce qu'elles étaient nouées moins savamment que celles en usage avant cette prise d'armes précipitée. Comme pertes du régiment dans cette bataille, Susane indique seulement 5 officiers et 105 hommes tués, 30 officiers et 333 hommes blessés. Cette contradiction entre son récit et celui de l'archiviste du régiment montre combien sont parfois sujettes à caution les sources d'informations semblant les plus autorisées.

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