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preuves de sa profonde incapacité. C'est pendant cette malheureuse retraite que l'armée, déjà si découragée, apprit avec une nouvelle douleur le supplice de la reine Marie-Antoinette. Cet événement fit pousser des cris de rage et de désespoir aux officiers français émigrés commandant les légions de Condé, Rohan, Coislin et Mirabeau, qui obtinrent des généraux en chef ennemis de marcher en avant-garde pour assouvrir leur rage sur tous les Français qui tomberaient entre leurs mains.

Au commencement du mois de novembre 1793, l'armée française reprit l'offensive, sous l'illustre Pichegru, qui aurait pu détruire dès le début de ses opérations tous les corps des émigrés.

Cette faute fit perdre à Pichegru le commandement de l'armée du Rhin qui fut réuni à celui de l'armée de la Moselle dans la personne du général en chef Hoche.

Ces armées réunies battirent successivement l'ennemi à Bischewiller, à Brumath, à la Wantzenau, à Uttenhoffen où l'armée apprit la reprise de Toulon sur les Anglais, les Espagnols et les Napolitains, ce qui doubla son courage; elle battit sans relâche l'ennemi à Wiswiller, à Vindstein, à Kaiserslautern, à Pirmasens, à Hambach, à Wörth, à Freschwiller, à Wissembourg, au Geissberg, reprit le Fort-Louis et débloqua Landau.

La Convention décréta que les armées du Rhin et de la Moselle avaient par tant de combats, de batailles, autant de victoires, bien mérité de la patrie'.

Le général Michaud, Jurassien, fut appelé au commandement de l'armée du Rhin.

Sous ce nouveau général en chef, l'armée occupa, au printemps de 1794, la ligne du Speyerbach, depuis Neustadt jusqu'à Rehhut; sa droite, sous le commandement du général Desaix, s'appuyait au Rhin vers Schifferstadt; sa gauche, sous les ordres du général

1. Les Souvenirs du baron Desvernois sont d'un caractère trop personnel pour donner une idée suffisante des services de son régiment à l'armée du Rhin; le lecteur désireux de les connaitre fera bien de consulter l'historique fort étudié du 28o dragons, par M. le capitaine Bouchard; nous lui signalons particulièrement les pages concernant la compagnie de partisans et son valeureux chef, le capitaine Bruges. Nous sommes forcé de négliger également aujourd'hui un curieux dossier relatif aux deux derniers escadrons incorporés dans le 7e bis après avoir pris part aux guerres de

Vendée.

Ferino, assurait les communications avec l'armée de la Moselle par deux divisions, dont une occupait Kaiserslautern.

Un agent secret du Comité du Salut public, nommé Millanges, fut envoyé à cette époque pour remplacer le quartier-maître et faire des épurations dans le 1er corps des Hussards de la Liberté.

Ce misérable, en vertu des pouvoirs dont il était porteur, fit destituer 16 officiers et en fit emprisonner 7 autres, sous prétexte d'incivisme. Renseigné ensuite sur la capacité administrative du maréchal des logis Desvernois, il prescrivit au commandant du corps (car il s'arrogeait le droit d'ordonner) de le mettre à sa disposition pour être employé sous ses ordres à la comptabilité du corps. Appelé à cet effet, par son commandant, Desvernois déclina résolument de déférer à la volonté de Millanges qui en fut informé. Ce refus excita sa colère, il menaça Desvernois de le faire partir pieds et poings liés pour le tribunal révolutionnaire, en ne lui laissant que 12 heures pour obtempérer à son ordre.

Le maréchal des logis Desvernois, qu'une pareille menace ne pouvait intimider, fut mis au cachot, malgré les représentations du chef de corps à Millanges toujours plus furieux; comme on lui faisait observer que le refus de ce sous-officier, de travailler à sa comptabilité, n'était point une désobéissance, une infraction à la discipline. Je veux être obéi, répondait ce brutal, sinon, je

l'enverrai à l'échafaud.

Le chef du corps et le capitaine de la compagnie vinrent ensemble trouver Desvernois dans son cachot, sans pouvoir ébranler sa résolution. Le capitaine se chargea de faire parvenir au général en chef, une lettre que le prisonnier écrivit au général Bourcier, chef de l'état-major général, et qu'un gendarme, qui traversait le cantonnement au même moment, promit de remettre le soir même au quartier général.

Le message fut remis exactement, et le lendemain matin, à 10 heures, le maréchal des logis Desvernois sortit du cachot triomphalement, avec l'ordre au chef de corps, de l'envoyer monté avec armes et bagages, pour rester à la disposition du chef de l'étatmajor général.

Cette victime, échappée aux menaces de l'infâme agent du Comité

du Salut public, éclaira le général Bourcier sur l'immoralité de Millanges, qui déjà voulait se venger en dénonçant le chef de corps et le capitaine au Comité du Salut public, et en réclamant contre le maréchal des logis Desvernois la peine de mort. Millanges fut arrêté trois jours après, conduit à Paris et guillotiné avec Hébert et d'autres misérables.

Le maréchal des logis Desvernois rejoignit son régiment après avoir séjourné 12 jours au quartier général et partagé la table et le logement d'un jeune homme de haute extraction nommé Vergès, dragon dans le 13° régiment, dont le chef de l'état-major, le général Bourcier, ami de la famille, avait fait son secrétaire.

Le régiment était presque journellement en action, tantôt à la division du général Desaix contre les Autrichiens, tantôt à celle de gauche commandée par le général Ferino contre les Prussiens.

A la suite de ces combats multipliés, où le maréchal des logis Desvernois donna des preuves d'intrépidité et d'intelligence, il fut désigné par les acclamations unanimes de ses camarades, du chef et des officiers aux représentants du peuple près l'armée du Rhin, qui le nommèrent sous-lieutenant le 8 fructidor an II.

Le nouveau sous-lieutenant, qui montait en cette qualité la grand'garde le 13 vendémiaire an III dans la plaine entre la Reh et la ville d'Oggersheim occupée par l'ennemi, dont le cordon des vedettes, des petits postes et la grand'garde étaient en face des notres, reçut l'ordre de l'adjudant-général Bellavène de se mettre en mouvement à minuit et de marcher en avant-garde sur Frankenthal. Desvernois, après avoir réuni sa troupe, tomba sur les vedettes et le poste avancé de l'ennemi, et fit 9 prisonniers, puis, sans s'arrêter, il courut sur la grand'garde qui avait rallié ses fuyards en deçà d'Oggersheim et la mit en fuite après avoir essuyé son feu et reçu une balle sur le tibia de la jambe gauche. Cette blessure le força d'aller se faire guérir à l'hôpital militaire de Landau d'où il sortit, 23 jours plus tard, assez bien rétabli pour reprendre l'activité de

son service.

L'ennemi qui était averti et qui se tenait sur ses gardes à Fraukenthal, avait fait avorter l'expédition tentée par l'adjudant-géné

ral Bellavène.

Les armées ennemies avaient repassé sur la rive droite du Rhin. Coblentz était occupée par l'armée de la Moselle. L'armée du Rhin investissait la place de Mayence, il restait à réduire la forteresse de la tête de pont de Mannheim.

Cette opération fut confiée au général de division Vachot, et le 7a régiment de hussards', fit partie des troupes employées à ce siège. Jamais service de guerre aussi actif ne se fit par un froid aussi rigoureux et ne fut aussi dangereux pour les nombreuses grand'gardes de la cavalerie, continuellement en butte, dans une plaine rase, aux boulets, aux bombes, aux obus, puis encore aux grenades quand elles s'abritèrent sous la grande digue du Rhin. L'officier montait de deux jours l'un la grand'garde; la nuit où il n'était pas de service il remontait à cheval à minuit, avec ce qui restait disponible au cantonnement et y demeurait jusqu'à 9 heures du matin, c'est-à-dire jusqu'à la rentrée des reconnaissances sur la digue du Rhin.

Le 9 décembre 1794, à 11 heures du matin, le sous-lieutenant Desvernois, à cheval au centre de sa grand'garde que l'ennemi ne cessait de canonner, eut son cheval tué sous lui d'un boulet. Un hussard fut tué, un autre eut le bras emporté, plus trois chevaux tués dans le rang.

L'ennemi fut, dès le moment qu'on eut élevé de fortes batteries sur la digue, tellement foudroyé que la forteresse capitula le 25 décembre à midi.

Le sous-lieutenant Desvernois, qui était encore ce jour-là de grand'garde, y entra aussitôt avec une partie des troupes jusqu'alors employées au siège, en même temps que la garnison ennemie regagnait la rive droite du Rhin, sur des bateaux, à travers les énormes quartiers de glaces que charriait le fleuve.

Les troupes françaises excédant les besoins de la garnison de la forteresse de la tête du pont de Mannheim qu'elles venaient de conquérir, furent aussitôt dirigées vers Mayence où elles renforcèrent

1. Le régiment, se fondant sur la date de création des Hussards de la Liberté, réclama toujours contre le numéro 7 bis. Desvernois supprime sans plus de façon le mot bis dans son mauuscrit,

les troupes employées à l'investissement de cette place qui avait une formidable garnison.

Le sous-lieutenant Desvernois, retenu à Worms avec un détachement de 25 hommes pour assurer le service de correspondance entre Frankenthal et le quartier général de Guntersblum, rejoignit, après un mois de résidence à Worms, son régiment cantonné à Marienborn et à Furthen.

Les vivres et les fourrages manquaient au camp, et les soldats, pour ne pas mourir de faim, étaient réduits à couper sur pied les épis de blé non encore assez mûrs pour en faire de la bouillie ou les griller; la cavalerie fauchait les tiges encore tendres de ce blé pour les faire manger aux chevaux.

A peine donnait-on, et encore fort inexactement, un pain de munition pour 8 hommes, pétri de son, en grande partie de paille hachée, dans lequel se trouvait une quantité de mouches mêlées à la pâte à moitié cuite. Tant de misères engendrèrent des maladies et une mortalité dans tous les rangs de l'armée et, parmi les chevaux, la morve et le farcin.

Officiers et soldats ne pouvaient s'expliquer cette affreuse disette. que par un calcul de trahison de la part du général en chef Pichegru qui avait repris le commandement supérieur des armées du Rhin et de la Moselle, attendu que dans un rayon de trois lieues, entre Alzey et Worms, le pays était abondant en vivres et en fourrages. Aussi le mécontentement était devenu général contre le général en chef qu'on supportait toutefois encore, en souvenir de ce qu'il venait de conquérir la Hollande à la France, que Jourdan avait remporté la victoire de Fleurus, que le général Hoche, après avoir pacifié la Vendée, avait pris Luxembourg, et enfin que Lyon venait d'être soumis, et que tous ces grands succès avaient décidé la Prusse, l'Espagne, la Hollande et la Toscane, à faire la paix avec la République française. Le patriotisme, toujours si admirable des troupes, leur fit supporter, avec une héroïque résignation, les plus intolérables privations.

(A suivre.)

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