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La traversée de la Bourgogne se fit rapidement et sans qu'il trouvât rien à signaler; le 7 il arrive à Lyon, où il séjourne les 8 et 9 juillet.

La ville de Lyon doit être regardée comme le premier dépôt de guerre pour le Dauphiné, le Languedoc, la Provence et l'Italie. Son arsenal ne devrait jamais être démuni; malgré cela, il ne croit pas qu'il y ait lieu de donner suite au projet, qui veut la transformer en place de guerre. « Lyon, dit-il, n'est qu'une grande fabrique, mais c'est la plus belle de l'Europe, dont il ne serait ni convenable de faire une place de guerre, ni aisé d'en faire une bonne. Le Rhône, cependant, lui forme un rempart respectable du côté le plus exposé, c'est-à-dire du Dauphiné et de la Savoie, et la multitude de ses habitants serait seule en état de construire dans le besoin les retranchements nécessaires pour sa défense, et même de les garnir suffisamment si elle en avait la volonté; d'un autre côté, elle serait à charge en cas d'investissement..... »

Le marquis de Paulmy propose plusieurs améliorations, telles que l'installation de la salle d'armes à l'arsenal et non dans le grenier d'abondance, puis il formule plusieurs critiques: Le fort de Pierre Encise lui semble absolument inutile comme place de guerre, puisque l'on n'y peut tirer le canon sans risquer de faire éclater le rocher sur lequel il est bâti; la garnison lui inspire des doutes: elle est composée d'une compagnie,« se prétendant détachée du régiment Lyonnais, et dont les hommes ont plus un air de guerre qu'on ne devrait l'exiger d'une troupe semblable. » Il ne croit pas qu'il soit bien nécessaire de construire un fort sur la colline de Fourvières; il servirait à contenir la ville plutôt qu'à la défendre, et ce projet entraînerait des dépenses considérables.

Le 10 juillet, après avoir examiné, près de Bourgoin, l'emplacement d'un camp de cavalerie, il va coucher à Pont-de-Beauvoisin, d'où il repart pour Grenoble, où il arrive le 11.

Grenoble était, à cette époque, une place encore plus importante qu'aujourd'hui; elle était destinée à servir d'entrepôt général pour les places de Barraux, Embrun, Montdauphin et Briançon, aussi bien pour la défensive que pour l'offensive, vis-à-vis de la Savoie et du Piémont.

L'enceinte de la ville était fort irrégulière, et, en certains en

droits, tellement informe, que la défense en aurait été fort difficile. La ville était en outre dominée par la montagne de Rachais, sur laquelle il n'y avait qu'un mauvais réduit. Pour remédier à ces divers défauts, le marquis de Paulmy propose de détourner le cours de l'Isère, de manière à mettre la ville tout entière sur la rive droite; mais comme elle ne serait plus protégée du côté de la montagne de Rachais, il y aurait nécessité absolue d'y construire quelques ouvrages; du côté du nouveau cours de l'Isère, il suffirait de construire un simple mur d'enceinte, avec fossé, et d'installer un camp retranché entre la fortification et la rivière, qui formerait un obstacle à peu près infranchissible. Ce projet a été réalisé en partie, par la construction du fort Rabot et de l'enceinte bastionnée.

Le 14, le marquis de Paulmy va visiter le fort Barraux, « qui est à la fois un corps de garde avancé pour la sûreté de Grenoble, et une porte pour entrer en Savoie ». Barraux avait été construit en 1597 par le duc de Savoie, pour se garantir d'une attaque de la France, mais à peine terminé, il fut pris par Lesdiguières et son rôle devint alors défensif vis-à-vis de la Savoie.

Le plateau sur lequel le fort est bâti peut servir d'assiette à un camp: Villars en 1708, Berwick en 1711 s'y étaient établis. Il ne paraît pas nécessaire de construire de nouvelles fortifications, mais simplement de remettre en état celles qui existent; on pourrait au besoin établir un second camp sur l'autre rive de l'Isère.

De retour à Grenoble le 15, le marquis de Paulmy assiste au polygone à un simulacre d'attaque et de défense d'une place, par le bataillon de Bourckfelden, de Royal-Artillerie, et par le régiment de Royal-Infanterie ; au cours de ces manoeuvres, il s'intéresse fort à l'appareil inventé par le sieur Manson pour faire monter le gros canon et le faire tourner dans les montagnes. Il visite ensuite le bureau des ingénieurs, chargés d'exécuter le lever des montagues du Dauphiné, puis se rend au Parlement et à la Chambre des

comptes.

On lui présente deux mémoires relatifs à l'organisation intérieure du Dauphiné.

Le premier, œuvre de M. de La Porte, était relatif à l'alimentation en temps de guerre. Il proposait de concentrer 150,000 quintaux de fourrages sur la frontière du Dauphiné, au moyen d'une

CARNET DE LA SABRET.

NO 61.

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répartition proportionnelle entre les communautés et de l'obligation pour les habitants, de conserver d'une année à l'autre les quantités imposées, que le roi n'aurait payées qu'en cas de consommation. Au moment de la guerre, il aurait suffi de pousser ces fourrages de dépôt en dépôt. Mais ce projet présentait le grave inconvénient d'être, au moins la première année, une gêne sérieuse pour les habitants, qui se verraient dans la nécessité de restreindre. leur consommation en diminuant le nombre de leurs bestiaux. Il y avait à craindre, en outre, qu'en cas de défaite, on n'ait travaillé que pour l'ennemi; enfin l'état de paix étant l'état normal, il ne semblait pas nécessaire d'imposer aux populations ces procédés onéreux.

Le deuxième mémoire, de M. Bouret, était inspiré par ce qui se passait en Piémont et en Savoie, et se proposait de remédier à la dépopulation journalière des villes et des campagnes. D'après M. Bouret, les habitants devraient être partagés en trois classes et attachés au pays par des avantages divers: diminution de la capitation; même prix du sel que dans le Briançonnais; permission de mener les chèvres dans certains bois; facilité d'avoir du bétail en quantité plus considérable, en faisant acheter par le roi certains droits de pâturage dans la montagne; exemption de la milice, etc... En revanche, les habitants auraient formé des corps francs, chargés de garder les montagnes, les débouchés et les communications : la dépense serait peu considérable et serait d'ailleurs largement compensée par la suppression des troupes que l'organisation actuelle obligeait d'entretenir dans le pays.

Le 17, départ pour Briançon.

De Grenoble à Briançon, il existait alors deux routes: la première suivait la Romanche de Vizille au Galibier, en passant par Bourg-d'Oisans, puis regagnait Briançon par le Lautaret et la Guisanne. Elle était incommode, mauvaise, impraticable pendant neuf mois de l'année, coupée de torrents, de fondrières et souvent dangereuse à cause des orages; son entretien était extrêmement défectueux, tout en étant fort onéreux, par suite de la nécessité où l'on se trouvait de recommencer sans cesse.

L'autre route se séparait de la première à Vizille, allait à La Mure, côtoyait le Drac jusqu'à Brutinel, se dirigeait sur Gap, pas

sait à Savines, remontait la Durance et arrivait à Briançon par Embrun el Montdauphin.

Le marquis de Paulmy est frappé par la distance énorme qui sépare ces deux routes, ayant entre elles assez peu de moyens de communication pour que l'on puisse les considérer comme étrangères l'une à l'autre. Il juge qu'il y aurait lieu de rétablir les chemins intermédiaires qui existaient jadis, dont on retrouve des traces, et qui sont encore, pour la plupart, suivis par les habitants. et leurs troupeaux. Leur mise en état ne nécessiterait pas de grands frais. « Cette nécessité s'impose surtout dans le voisinage de Briançon, afin d'augmenter les moyens de secourir la place promptement et d'accroître pour l'ennemi les difficultés du siège et du blocus, qui ne seraient pas difficiles actuellement. » Ces deux routes sont les seules que puisse suivre l'artillerie; malgré l'état déplorable de la première, on la préfère toujours, parce qu'elle est plus courte que l'autre de quatorze lieues.

A Vizille, le marquis de Paulmy s'indigne contre le service des ponts et chaussées : « On a projeté de remplacer le pont de bois par un pont de pierre, établi plus en amont; des observations ont été faites à l'Intendant au sujet de ce projet, absolument antimilitaire, mais les ponts et chaussées ont visé seulement à l'économie. »

Le 18, il passe à Aspres, où il examine les positions qui avaient été occupées par Catinat, va coucher à Gap, et le 19 arrive à Embrun, après avoir franchi la Durance à Savines, en laissant à sa gauche le col de Pontis, par où déboucha, en 1692, le duc de Savoie, pendant qu'il faisait passer son artillerie par le col de Vars.

La place d'Embrun, déclassée aujourd'hui, n'avait déjà qu'une médiocre importance; la fortification en elle-même laissait beaucoup à désirer, aussi bien comme tracé que comme entretien. Le marquis de Paulmy est cependant d'avis de la conserver et même de la remettre en état, mais seulement comme point d'appui des secours pour Montdauphin, comme centre pour inquiéter les marches et les quartiers, et troubler les opérations de l'ennemi. Il s'appuie sur ce que, en 1692, le duc de Savoie n'ayant pu faire passer que des canons de 8 et de 12, la place, bien que son artillerie fût peu nombreuse et en mauvais état, avait pu tenir pendant treize jours de tranchée ouverte.

« Une place de montagne, même médiocre, doit être regardée comme forte quand elle oblige l'ennemi à des préparatifs de guerre très dispendieux et des marches lentes et pénibles, qui peuvent lui faire perdre du temps et donner aux secours celui d'arriver, lorsqu'il faut absolument du canon pour l'attaquer et qu'il est fort difficile de l'y conduire. »

Le 20, il se rend à Montdauphin, par Châteauroux et le pont Saint-Clément, seul débouché permettant de secourir Montdauphin et Briançon, par la grande route.

La place de Montdauphin date de 1693; les ravages et les exactions du duc de Savoie, en 1692, dans le Gapeunois et l'Embrunnois, furent tels, que Louis XIV décida de chercher une position que l'on pût fortifier, afin de préserver ces cantons de semblables. malheurs et donner en même temps plus de cohésion à la défense du Dauphiné. M. de Vauban la trouva sur le plateau de Millaure et la place prit le nom de Montdauphin. L'emplacement est unique par la force de son assiette; des escarpements de rochers le rendent inabordable sur les trois quarts de son enceinte; la nature a fait presque tous les frais des constructions; ses vues militaires lui permettent de barrer les principaux passages par où l'ennemi pourrait tenter des incursions dans l'Embrunnois et le Briançonnais. Malgré la force naturelle de la place, le marquis de Paulmy n'en propose pas moins de construire quelques nouveaux ouvrages, qui permettraient à la ville de tenir pendant trois ou quatre mois de tranchée ouverte : « Ce qui revient à dire qu'elle serait imprenable, les vieilles neiges ne fondant qu'en juin et les nouvelles commençant à tomber fin septembre .

«

Montdauphin ne saurait être trop fortifié, et l'on doit dire la même chose de Briançon, ni trop muni en tous genres, si l'on fait attention que ces deux places sont extrêmement éloignées de la Flandre et de l'Allemagne, où sont communément employées les principales forces du royaume, et qu'il est par conséquent nécessaire qu'elles soient toujours en état de se soutenir par leurs propres forces, de protéger des frontières stériles sur lesquelles on ne peut pas entretenir perpétuellement des forces nombreuses et de donner au moins le temps d'y porter des secours. »

La place était excellente au point de vue militaire, mais misérable

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