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cevoir, le disant mort, et les zouaves qui l'avaient porté; ceux-ci insistaient pour qu'il fût soigné. Trois jours se passèrent sans espoir de salut, puis la convalescence arriva avec une rapidité extrême, eu égard à la gravité de la blessure, puisque le 29 décembre, cinq mois après, le commandant reprenait son service.

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Le chef de musique des zouaves avait composé une messe funè

pour le commandant, et son enterrement a été annoncé au rapport de la gendarmerie de la garde impériale du 23 juillet. Les officiers étaient prévenus de ne pas s'absenter afin de pouvoir y assister.

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Copie. --Lettre du commandant Arthur de Bellefonds, des Zouaves de la Garde, à Me la vicomtesse de Bellefonds.

Novare, 6 juin 1859.

Ma chère tante,

Je suis à l'hôpital de Novare' où j'ai été amené par suite de blessures reçues à Buffalora, au passage du Tessin. Je ne vous parlerai pas de cette magnifique bataille où l'empereur Napoléon III a Commencé à recueillir les fruits de sa belle manoeuvre stratégique commencée depuis notre départ d'Alexandrie. Je me borne à vous. donner des détails sur ce qui me concerne personnellement.

Le 4 juin, à onze heures du matin, nous étions au pont de Buffalora dont les Autrichiens ont fait sauter deux arches, mais qui avait été rétabli provisoirement dans la nuit par ordre de l'Empereur. De l'autre côté du Tessin se trouvait l'armée autrichienne, garnissant une magnifique position qui s'étend sur un quart de cercle dont le point le plus éloigné est à environ 3,000 mètres du Tessin. Cette position est couverte par un canal large et profond bordé de levées formant épaulement et renforcé par un beau village en bonne maçonnerie et par un grand et beau château. Deux régiments de gre

1. Y est mort le 8 juillet suivant des suites de ses blessures. Avait été promu lieutenant-colonel par décret du 18 juin 1859.

nadiers ont passé les premiers et ont protégé à droite et à gauche la consolidation du pont. On leur avait adjoint deux pièces de campagne, et les zouaves ayant passé les ponts à leur tour on a attaqué la position ennemie pendant que le reste des troupes traversaient le pont.

J'avais été placé en réserve sur la droite par le général de Wimpfen, avec trois compagnies de mon bataillon pour maintenir le mouvement offensif des grenadiers. Voyant que ces derniers avaient enlevé la position, et après avoir pris les ordres du général Mellinet, je me suis porté rapidement au secours des grenadiers que des forces considérables cherchaient à tourner et à culbuter. Tous ensemble nous avons chargé l'ennemi et nous l'avons repoussé lestement au delà du canal. Nous n'étions pas encore soutenus par des forces suffisantes pour dépasser cet obstacle et je voulais y retenir les hommes qui m'entouraient; mais cela a été impossible, l'élan était donné, et ces braves gens ne voulaient s'arrêter devant aucun obstacle. Nous avons donc passé outre ; mais je voyais bien que cela n'allait pas durer longtemps. Je venais d'être frappé d'une balle à la partie supérieure et interne de la cuisse gauche. Cette blessure n'était pas grave, car j'ai pu continuer à marcher en m'appuyant sur mon sabre. Quelques instants après nous avons été assaillis par des forces nombreuses qui nous ont ramenés jusqu'au canal, c'est-à-dire pendant une soixantaine de pas. Dans ce moment j'ai reçu une deuxième balle, toujours à la cuisse gauche, et presque en même temps je me suis senti frappé à la cuisse droite. J'avais la cuisse gauche brisée à deux pouces audessous du genou. Je suis tombé; mes soldats ont voulu m'emporter, mais je leur ai fait comprendre que nous n'avions plus affaire à des barbares comme en Algérie, et je les ai forcés à m'abandonner en leur disant que dans dix minutes ils viendraient me chercher. Cela s'est passé comme je l'avais dit; les renforts arrivaient à grands pas, et les Autrichiens n'ont pas tardé de rechef à battre en retraite. Au moment où ils ont passé près de moi, j'étais sur le ventre, faisant le mort, mais en regardant du coin de l'œil. Ils avaient d'assez bonnes figures, mais en criant hourra, ils avaient l'air médiocrement disposés à poursuivre ce petit succès momentané. En passant, ils ont emporté mon sabre, et l'un d'eux a jugé à

propos de me donner un grand coup de pied au dos. Voilà tout ce que j'ai vu. Les Autrichiens ont bientôt commencé à battre en retraite, et j'ai été transporté à l'ambulance de la garde, puis à l'hôpital civil de Novarre où je suis depuis hier au soir.

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J'ai fait croire à mon père et à Alice' que je n'ai qu'une blessurə légère à la cuisse gauche. Prenez toutes vos précautions pour ne pas me trahir. Vous pouvez dire la vérité à Francis et à Maurice 3, mais en les prévenant de mon petit mensonge pour qu'il n'en transpire rien à Alice. Du reste, à part mes blessures, dont une seule présente un certain caractère de gravité, je me porte fort bien, mangeant, buvant et dormant comme si de rien n'était. Je suis très bien soigné à l'hôpital civil où il y a des sœurs de charité. Ces excellentes femmes m'ont donné leur chambre, et outre Léger*, j'ai deux soldats français pour veiller à mes besoins. Ne parlez que d'une seule blessure peu grave à Mme de Maillé. Pour que les lettres me parviennent, il faut désormais qu'elles me soient adressées à l'hôpital civil de Novarre. Je suppose que Jules va bien, ou s'il lui était arrivé quelque accident, je le saurais. J'ai vu Lemoing hier. Il se porte bien, a été décoré après Montebello, et n'est pas blessé. Je pense que l'Empereur doit faire son entrée dans Milan aujourd'hui. On suit l'ennemi l'épée dans les reins en ramassant chaque jour des masses de prisonniers et des canons. Des régiments autrichiens, colonels en tête, arrivent avec armes et bagages, la crosse en l'air. On doit avoir maintenant 12,000 ou 15,000 prisonniers. Hier, dans la journée, on m'a dit qu'on avait déjà ramassé 30 pièces de canon.

Je vous embrasse tous de tout cœur.

Signé A. de BELLEFONDS.

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1. Alice était le prénom de sa femme, née de Miollis, qu'il avait épousée en 1837,

à Bordeaux.

2. Francis de Miollis, son beau-frère (devenu conseiller à la cour de Bordeaux).

3. Maurice Gaillard, son cousin.

4. Léger (son ordonnance).

3. Mme la marquise de Maillé, sa cousine.

6. Jules (le colonel de Bellefonds, commandant le 93e de ligne, son frère, faisait partie du se corps).

7. Lemoing (cousin de sa femme, alors capitaine au 17e bataillon de chasseurs à pied, mort sous les murs de Paris, en 1871, étant colonel).

UN VOYAGE D'INSPECTION DU MARQUIS DE PAULMY

(1752)

Antoine-René de Voyer d'Argenson, plus connu sous le nom de marquis de Paulmy, naquit le 22 novembre 1722. Il débuta comme conseiller au parlement en 1744; il travailla d'abord avec son père, mais surtout avec son oncle Marc-Pierre de Voyer de Paulmy d'Argenson; on créa pour lui le titre de commissaire général des guerres, titre sous lequel il fut envoyé aux armées de Flandre et d'Italie. Après la paix d'Aix-la-Chapelle, il fut nommé ambassadeur en Suisse, et, en 1751, il obtint la survivance de son oncle au secrétariat d'État de la guerre; il fut alors chargé tout spécialement de l'inspection des places frontières, et consacra cinq années à les visiter. Secrétaire d'État à la guerre le 1er février 1757, il se retira de lui-même le 23 mars 1758. Ambassadeur en Pologne (17621764), puis à Venise (1766-1770), il rentra définitivement à Paris, où il ne conserva de tous ses titres que ceux de chancelier de la reine et de gouverneur de l'Arsenal; il mourut le 13 août 1787.

La tournée d'inspection de 1752 fut consacrée aux frontières de Dauphiné et de Provence, au Languedoc et au Roussillon.

La frontière des Alpes était peu connue; le pays était éloigné, difficile, inabordable une partie de l'année à cause des neiges; il n'y avait pour ainsi dire pas de routes, et celles qui existaient étaient dans un état d'entretien déplorable. Cette contrée avait été pourtant le théâtre de guerres fréquentes; le pays avait particulièrement souffert pendant les campagnes de 1692, de 1707-1712, de 1746, de 1747. Les places avaient été presque toutes attaquées, mais le mauvais état des finances n'avait pas permis de réparer les dégradations, provenant tant du feu de l'ennemi que des rigueurs du climat. Il y avait donc un intérêt capital à se rendre compte des ressources que la région pouvait encore présenter.

Quant au Languedoc, s'il était à peu près insignifiant au point de vue de la défense générale, il présentait cependant un intérêt particulier: ses habitants, appartenant pour la plupart à la religion réformée, étaient, depuis la révocation l'Édit de Nantes, en lutte plus ou moins ouverte avec le roi, qui avait dû prendre contre eux des mesures de rigueur spéciales. La contrée présentait cette particularité que presque toutes les villes étaient fortifiées et munies d'une citadelle, construite de manière à se défendre contre les habitants plutôt que contre les ennemis de l'extérieur, et que de nombreuses garnisons étaient disséminées un peu partout.

Le Roussillon, bien que réuni à la France depuis 1649, était un pays presque inconnu, ayant conservé les mœurs, les coutumes et même les modes espagnoles. Cette partie de la frontière, sans offrir un aussi grand intérêt que celle des Alpes, pouvait jouer cependant un rôle important dans le cas d'une guerre avec l'Espagne.

Les observations du marquis de Paulmy, pendant sa tournée d'inspection, ont été réunies dans un rapport écrit au jour le jour, et renfermant, avec ses remarques particulières, une description très détaillée des pays, villes, forteresses, etc... Nous les avons résumées en supprimant ce qui pouvait faire longueur, et cherchant surtout à faire voir dans quel esprit était entrepris le voyage.

Le marquis de Paulmy partit de Paris le 3 juillet 1752; il était accompagné du marquis de Voyer, inspecteur général de la cavalerie, de MM. de Maillebois et de Villemur, lieutenants-généraux et inspecteurs d'infanterie; de M. d'Affri, lieutenant-colonel des gardes suisses; de M. de Monteil, colonel du régiment de Nivernais, et de plusieurs autres officiers.

Son voyage avait pour but principal une étude détaillée de la frontière, et incidemment une inspection des troupes. Pour presque tous les régiments, son opinion varie peu: il déclare le plus souvent que la troupe est bien tenue et qu'elle s'est bien présentée; parfois cependant il glisse une critique: pour les volontaires du Dauphiné, par exemple, dont les finances sont un peu en désordre; quelques autres pourraient être plus exercés à la manoeuvre; en revanche, le bataillon d'artillerie de Bourckfelden est cité comme « très beau, très élevé, très bien exercé ».

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