Page images
PDF
EPUB

qui exerçoit les droits politiques? Il étoit pourtant assez dur, pour l'antique corps de la noblesse, de n'influer en rien dans la chose publique, de voir l'État marcher à sa ruine, sans être même appelé à donner son opinion'. Quelques droits féodaux, tombés en désuétude, valent-ils les droits politiques qui sont rendus aux gentilshommes ? Ces droits conservés par la Chambre des pairs, tandis qu'ils peuvent (eux gentilshommes) entrer dans la Chambre des députés, sont des biens qui compensent pour la noblesse les petits avantages de l'ancien régime, nous voulons dire de l'ancien régime tel qu'il étoit, tout affoibli et tout dénaturé à l'époque de la révolution. Rien n'empêche, après tout, un gentilhomme d'être citoyen comme Scipion, et chevalier comme Bayard: l'esclavage n'est point le caractère de la noblesse. Dans tous les temps, en mourant avec joie pour ses princes, elle a défendu respectueusement, mais avec fermeté, ses droits contre les prérogatives de la couronne. Elle redevient aujourd'hui une barrière entre le peuple et le trône, comme elle l'étoit autrefois. Lorsque Charles I leva l'étendard de la guerre civile, la noblesse angloise courut se ranger autour de son roi; mais avant de combattre pour lui, elle lui déclara qu'en le défendant contre les rebelles, elle ne prétendoit point servir à opprimer la liberté des peuples; et que si l'on vouloit employer ses armées à un pareil usage, elle seroit obligée de se retirer,

La noblesse n'exerçoit de droits politiques que dans les pays d'États.

Ce généreux esprit anime également la noblesse françoise nos chevaliers sont les défenseurs du pauvre et de l'orphelin. « Eh, Dieu! disoit Bertrand << Du Guesclin à Charles V, faites venir avant les chaperons fourrés, c'est à savoir, prélats et avocats « qui mangent les gens. A tels gens doit-on faire << ouvrir les coffres, et non pas à pauvres gens qui «ne font que languir? Je vois aujourd'hui advenir « le contraire car celui qui n'a qu'un peu, on lui « veut tollir; et celui qui a du pain, on lui en offre.

Peut-être direz-vous que, dépouillés de certains hommages qu'on vous rendoit, et qui vous distinguoient, vous avez perdu le caractère extérieur de la noblesse. Mais, à différentes époques, et dans diverses assemblées des états-généraux, les gentilshommes avoient renoncé à d'importantes prérogatives. Ils avoient consenti à la répartition égale des impôts. Si donc les derniers états-généraux se fussent séparés sans que la révolution eût eu lieu, la noblesse, privée de ses priviléges par l'abandon volontaire qu'elle en avoit fait, se fût-elle pour cela regardée comme anéantie? Non sans doute : appliquez ce raisonnement à l'état actuel. Toutefois il nous paroîtroit nécessaire qu'à l'avenir on accordât à la noblesse, comme aux chevaliers romains, quelques-uns de ces honneurs qui annoncent son rang aux yeux du peuple; sans quoi les degrés constitutionnels de la monarchie ne seroient point marqués, et nous aurions l'air d'être soumis au niveau du despotisme oriental. Il faut surtout que les pairs jouissent des plus grands priviléges, qu'ils aient

des places désignées dans les fêtes publiques, qu'on leur rende des honneurs dans les provinces; qu'en un mot, on reconnoisse tout de suite en eux les premiers hommes de l'État.

Au reste, comme nous ne voulons rien dire qui ne soit fondé en raison et de la plus stricte vérité, nous ne prétendons pas que tous les avantages dont nous avons parlé dans ce chapitre puissent être recueillis immédiatement. La carrière militaire, par exemple, sera quelque temps fermée à cause du grand nombre d'officiers demeurés sans emploi, et qui doivent être préférés. Mais quel qu'eût été le gouvernement établi par la restauration, cet inconvénient auroit toujours existé. La renaissance de l'ancienne monarchie n'auroit pu ni diminuer le nombre, ni effacer les droits de tant de François qui ont versé leur sang pour la patrie. Ainsi la Charte n'entre pour rien dans cet embarras du moment. D'ailleurs, comme nous l'avons fait observer en parlant de l'émigration, un très grand nombre de gentilshommes sont déjà placés dans l'armée. Enfin, ce n'est pas toujours pour soi qu'on bâtit dans cette vie. C'est aux peuples que sont permis le long espoir et les vastes pensées.

Quant à la haute noblesse, dont nous n'avons point parlé à propos de la Charte, elle y trouve si évidemment son avantage, qu'il seroit superflu de s'attacher à le montrer. Comme c'étoit elle surtout qui avoit le plus perdu dans la destruction du pouvoir aristocratique de la France, c'est elle aussi qui gagne le plus à l'ordre de choses qui rétablit ce

pouvoir. Les hommes qui portent ces noms historiques auxquels la gloire a depuis long-temps accoutumé notre oreille, rentrent dans la possession de leurs droits c'est un sort assez remarquable de servir à fonder la nouvelle monarchie dans la Chambre des pairs de Louis XVIII, après avoir formé la base de l'ancienne monarchie dans la Cour des pairs de Hugues Capet.

Ainsi la Charte, qui rend aux gentilshommes leur ancienne part au gouvernement, et qui les rapproche en même temps du peuple pour le protéger et le défendre, ne fait que les rappeler au premier esprit de leur ordre. Les plus hautes et les plus brillantes destinées s'ouvrent devant eux : il leur suffit, pour y atteindre, de bien se pénétrer de leur position, sans regarder en arrière, et sans lutter vainement contre le torrent du siècle.

CHAPITRE XXL

Que la classe la plus nombreuse des François doit être satisfaite de la Charte.

Ceci n'a plus besoin d'être prouvé. Tout ce que nous avons dit le démontre suffisamment : la Charte nous fait jouir enfin de cette liberté que nous avons achetée au prix du plus pur sang de la France. Elle donne un but à nos efforts, elle ne rend pas vains tant de malheurs et tant de gloire; en investissant l'homme de sa dignité, elle ennoblit nos erreurs. Chacun peut se justifier à ses propres yeux, chacun peut se dire : « Voilà ce que j'avois

« désiré. Les droits naturels sont reconnus; tous les

François appelés aux emplois civils, aux grades << militaires, à la tribune des deux Chambres, peu<<< vent également s'illustrer au service de la patrie. » Ce n'est point une espérance, c'est un fait. Et tel homme qui peut se dire aujourd'hui : « Je suis pair « de France sous le roi légitime, » doit trouver que la Charte est déjà une assez belle chose, et qu'il est un peu différent d'être pair sous Louis XVIII, ou d'être sénateur sous Buonaparte.

Qu'auroient pu attendre les vrais républicains dans l'ordre politique que la restauration a détruit? L'égale admission aux places? aux honneurs ? Ils en jouissent sous le roi légitime: ils n'en auroient jamais joui sous l'étranger. Déjà les distinctions les plus outrageantes étoient établies. Il étoit plus difficile d'approcher du dernier subalterne du palais que de pénétrer aujourd'hui jusqu'à la personne du monarque. Ceux qui ont voulu sincèrement la liberté doivent bénir la Charte. Pouvoient-ils raisonnablement espérer un résultat aussi heureux de leurs efforts et de nos discordes ? Quel seroit l'homme assez insensé pour rêver la république après l'expérience ? L'étendue de la France, le génie de la nation, mille souvenirs odieux ne s'opposent-ils pas d'une manière invincible à cette forme de gouvernement? Quiconque trouveroit qu'il est esclave avec la représentation des deux Chambres, qu'il est esclave avec le droit de pétition, avec l'abolition de la confiscation, avec la sûreté des propriétés, l'indépendance personnelle,

« PreviousContinue »