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barraffante & fort delicate, & il faut que nous y allions bride en main, afin qu'il ne nous arrive point comme au chien dans la Fable, qui fiaifit l'ombre & laiffa échaper le corps Comme c'eft une extravagance que de s'ima giner que l'Imperatrice de Ruffie fonge à de tels deffeins qui ne feroient que trop hazar deux, tant pour elle à les faire propofer ou infinuer, que pour nous à y prêter l'oreille; il est d'autant plus étonnant qu'il fe trouve parmi nous des gens qui tachent de nous faire accroire que cette Princeffe travaille actuelle→ ment à de pareils projets, & qu'ils fe donnent toutes les peines du monde pour nous les faire goûter. Mais puifqu'ils ont une aparence flateufe qui impofe à plufieurs bonnes gens, jufqu'à y ajouter foi, nous en allons exami ner de plus près les circonftances, & en attendant que nous en foyons mieux inftruits, nous les regarderons, non comme une verita ble propofition de l'Imperatrice de Ruffie, mais comme un artifice concerté pour nous detourner des engagemens que la France & l'Angle terre nous offrent, afin que nous foyons obligez de nous jetter tête baiffée entre les bras de la Cour de Ruffie.

En paffant on ne fauroit s'empêcher de remarquer que cette même efpece de gens, qui d'ailleurs font fonner fi haut la Puiffance de l'Imperatrice de Ruffie, le refpect & l'autorité qu'elle a dans fes Etats, de même que l'affe&tion que fes Sujets lui portent, dont on voit l'effet par fes flottes & fes armemens maritimes, & par la confideration que toute l'Europe lui marque, que ces mêmes gens, dis-je reprefentent d'un autre côté les affaires fi dé

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labrées, qu'elle feroit obligée de fuir hors du Pais avant un an. Il ne leur coûte rien d'affortir des propos fi contradictoires, pourvû qu'ils aillent à leur but, & il faut qu'ils n'ayent point grande opinion des Sujets & des Habitans de la grande Ruffie, pour s'imaginer qu'ils pafferont ainfi fur tout indifferem

ment.

La raison pour laquelle des gens fimples parmi nous trouvent ce conte de leur goût, eft qu'il leur eft agréable, & peut-être parce qu'ils s'imaginent qu'il eft auffi facile de ceder & de livrer à des Etrangers.dès Villes & des Provinces entieres, qu'il eft aifé parmi des particuliers de transporter un billet de Banque, une maison en ville, un bien de campagne; le poffeffeur d'un tel billet, d'une telle maison, ou d'un tel bien en peut difposer librement & en faire ce qu'il veut fans être responsable à perfonne. Un Souverain peut bien quelquefois, quand on lui a donné le pouvoir, legitimement difpofer à fon gré de l'administration & des affaires de l'Etat, mais il ne peut jamais, fuivant les principes fondamentaux du Gouvernement Civil, donner ni le Royaume, ni une partie, fans violer les Droits des Sujets. Nos faiseurs de projets repliqueront, fans doute, que ce n'eft pas notre affaire de nous - mettre en peine de quel Droit l'Imperatrice *faffe ces ceffions, pourvû que la Suede y gagne, mais fupofe qu'on paffe encore fur ce fcrupule, il eft certain que la Nation Ruffe a droit de s'en prendre à celui qui prend auffibien qu'à celui qui donne illegitimement, de forte qu'il faut bien prendre de la circonfpection par raport aux principes, fuivant lefquels

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on agit, il faut voir premierement s'il eft poffible de s'emparer de ce qu'on offre, & après comment s'en conferver la poffeffion.

De quelle maniere, par qui, & quand ferat'on l'ouverture de cette belle offre? Rejetterons-nous donc l'engagement avec la France & l'Angleterre avant que nous entendions quelque chofe de clair & de net de l'autre côté? N'apreterions-nous pas bien à rire, fi cet enfantement de montagne ne produisoit qu'une fouris? N'aurions-nous pas bien pris nos mefufi nous avions par avance éloigné de nous ces deux Couronnes.

res,

L'Ambaffadeur Ruffe qu'on attend, traitera-t-il fur cette affaire? Il apportera peut-être bien de l'argent, & beaucoup de propofitions, comme on a vû depuis peu en un autre endroit dans notre voifinage, mais s'il vient pour toucher un mot fur ces offres, c'eft fur quoi on laiffe à faire reflexion.

Poursuivons maintenant, & voyons ce que nos Troupes de renfort, demandées felon le projet, feront en Finlande. Elles prendront, dit-on, poffeffion des Places & des Pais qu'on nous livrera; mais fachons donc quelle Place & quelle partie du Pais l'Imperatrice de Ruffie nous fera livrer en premier lieu? On dit 'qu'elle fera fortir les Garnisons des Forteres fes afin que nos Troupes y entrent. Cela dependra aparament du Gouverneur, du Commandant, ou de la Garnison de chaque Place, qu'il faut auparavant corrompre, autrement n'eft gueres probable qu'ils obeiffent aux ordres de l'Imperatrice. Le Commandant de Riga fera fans doute le premier qui en fortira, mais comment fupofer que nos Troupes de

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renfort marcheront de Finlande au travers de PEmpire & de toute la Livonie plus de foiXante mille de chemin pour prendre poffeffion de Riga, & que les Ruffes ne s'y opoferont pas avant qu'elles puiffent y arriver, malgré la volonté & les ordres de l'Imperatrice. La Garnifon de Riga fera-t-elle fortie avant l'arrivée de nos Troupes, ou non ? Si elle fort la premiere, le Roi de Pruffe pourroit prendre poffeffion de la Ville auffi-tôt que nous, & peut être s'opoferoit-il à nos Troupes, cette Place n'etant pas moins à fa bienfeance qu'à la notre. D'ailleurs un Gouverneur qui fe fera laiffé corrompre par l'Imperatrice du Ruffie, ne prendra-t'il pas auffi de l'argent du Roi de Pruffe ou de la Pologne; Si la Garnison Ruffe refte dans la Place jufqu'à l'arrivée de nos Troupes, & que le Gouverneur ait changé de fentiment, que de-. viendra le projet? Mais, objectera-t'on, nos Troupes pourront être transportées à Riga par Mer. Alors il feroit mieux & plus commode de les faire paffer plûtôt de Suede que de Finlande, il en eft tout de même par raport à Revel. De forte donc que tout l'a vantage qu'on pourroit fe promettre de ce Projet & de cette Armée de renfort en Fin-. lände, feroit de fe mettre en poffeffion de Wibourg & de Petersbourg, mais nos Troupes qui font déja cantonées ne pourroientelles pas en faire autant? Car fi nous fommes en état de prendre poffeffion des Fortereffes qu'on doit nous livrer 2 nous le fommes auffi pour y envoyer des Troupes de renfort, le cas exiftant. Il y encore une autre reflexion à y faire, c'est-à-dire, fi cette éva

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cuation pourra fe faire tout à la fois ou non,' Si elle fe fait tout à la fois, comme cela fe devroit, quoique cela ne foit presque pas praticable, alors nos Troupes dans le voifinage de Petersbourg n'y fauroient contribuer que de peu ou de rien. Si l'évacuation ne le fait pas tout à la fois, mais de maniere qu'on livre premierement une place, & après cela une autre, n'a-t-on pas raifon d'aprehender que les Ruffes s'apercevant d'une pareille, tra hifon, ne prennent des mesures qui nous faffent manquer l'évacuation des autres Places? Outre cela, quelle contenance croit-on que le Roi de Pruffe & la Republique de Pologne tiendront à tout cela? Aparemment que ces Puiffances regarderont avec indifference que nous nous remparions de la Livonie, & qu'elles refteront tranquilles, pendant que nous ferons une telle convention avec l'Imperatrice de Ruffie, ou qu'elle la mettra en execution on s'en raporte à tout homme droit, & qui aime fa Patrie, fi la Suede peut d'aucune façon trouver en tout cela fur quoi fe reposer avec fûreté, ou fi toutes ces bel les offres, ces grandes & riches esperances cachées, , dont on nous veut repaître, no font pas du vent & des châteaux en l'air, de forte que celui qui y ajoute foi, & qui fair fond là-deffus, a ou en vue quelque étranger hors du Royaume, ou eft plus fimple qu'un Hottentôt.

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Après tout, fupofons que par ce moien nous recouvrions nos Provinces, foit en entier ou en partie, ne faudra-t-il pas toûjours combattre pour nous y maintenir? Il n'y aura plus d'affiftances à attendre de la part de l'Im

pera

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