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corrupteurs de la jeunesse, puisque depuis plusieurs années que l'Université existoit, on n'avoit pu encore l'en purger entièrement. Comment se fait-il qu'un abus si criant subsistât encore après qu'il étoit connu? Comment se fait-il que l'Université, qui en étoit instruite, forçât néanmoins les parens à envoyer les enfaus sous ces maîtres corrupteurs, et qu'elle obligeât entr'autres les élèves des séminaires à aller préndre leurs leçons? Quelques personnes vont plus loin encore. Elles prétendent que le zèle des agens de l'Université tendoit moins à extirper un trafic honteux qu'à le pallier; qu'il étoit très-rare de voir chasser de Tinstruction publique les corrupteurs de la jeunesse qu'on se bornoit la plupart du temps à des déplacemens, qui ne faisoient que propager le scandale; qu'on faisoit voyager, pour toute punition, des hommes qu'il faudroit proscrire. Ou en cite des exemples, et on assure qu'il y en a assez pour que cette tactique soit notoire.

Ce qui ne l'est pas moins, c'est l'irréligion que professoient des maîtres; il en étoit malheureusement qui ne craignoient pas d'inspirer les mêmes sentimens à leurs élèves ; qui se faisoient même un point d'honneur dé les leur inculquer, et qui dans leurs leçons, dans leurs conversations, et jusque dans les devoirs qu'ils leur dictoient, savoient insinuer adroitement le poison de leur doctrine. J'en ai entendu citer un qui attiroit les enfans chez lui pour leur apprendre à se moquer des prêtres. On s'en plaignit. Il fut envoyé à cent lieues de la ville où il étoit, et je ne doute pas que, dans ce nouveau séjour, il n'ait continué ses prédications; car c'étoit un homme fort zélé.

Ces inconvéniens sont graves. Peut-être étoient-ils

inévitables dans la composition rapide de l'Université. Ce corps a eu besoin tout à coup d'ane foule de sujets pour remplir toutes les places que l'on crépit. Il a été obligé d'en prendre de toute main. Il n'a pas eu le temps d'examiner le mérite ou la conduite des contendans, et, comme nous le disions tout à l'heure, la faim, l'intrigue, la protection ont fait placer des hommes indignes des fonctions sacrées d'instituteur. II falloit organiser la machine. On n'a pas eu le loisir de se rendre difficile sur le choix des ouvriers ou a pris tous ceux qui se sont présentés; des échappés des clubs, des prêtres dont l'opinion avoit fait justice, des sujets qui avoient essayé de tous les états, des hommes tarés; tout a été admis dans le premier moment, Le besoin servoit d'excuse pour les recevoir. Le même motif ne servira sans doute plus de prétexte pour les conserver.

Je pourrois m'appesantir sur ces reproches, et y en ajouter même encore d'autres. La plupart ont déjà été relevés dans plusieurs écrits où l'Université n'étoit pas fort ménagée. Parmi ces écrits nous n'en nommerons que deux qui nous ont paru mériter d'être distingués. Le premier porte pour titre : L'Univer-sité ci-devant impériale jugée d'après les principes généralement adoptés sur l'éducation et l'instruction, par M. Dutac. L'auteur y passe en revue tous les défauts du corps enseignant actuel; peut-être même les expose-t-il avec quelque sévérité. Mais on ne peut qu'être de son avis dans tout ce qu'il dit sur l'affo:-blissement des principes religieux, et sur la nécessité de rendre à ce ressort pujssant sa force et sa vivacité. Les autres griefs ne sont pas de notre ressort. Le se

cond écrit est intitulé simplement : Mémoires sur l'Université. On y insiste encore plus sur les inconvé niens du régime actuel dans l'ordre de la religion et des mœurs. C'est-là en effet la grande plaie de l'éducation moderne. C'est-là ce qui afflige les parens soigneux et zélés, ainsi que tous les hommes sages et prévoyans. Ils ne pensent qu'avec effroi aux suites funestes de l'immoralité qui règne dans la plupart des établissemens d'instruction publique. Ils voient avec douleur s'élever des générations nourries dans l'oubli de Dieu, dans l'indifférence pour la religion, dans les principes les plus favorables à la corruption. Ils se demandent ce que deviendra une société peuplée d'hommes qui auront sucé, dès la jeunesse, le poison du libertinage et de l'incrédulité. L'ancienne éducation n'étoit pas parfaite, sans doute, mais du moins la religion y étoit en première ligne. Confiée presque partout à des ccclésiastiques, elle offroit du moins une garantie aux parens chrétiens. On ne réussissoit pas sans doute à rendre tous les enfans religieux, on n'ar rêtoit pas tous les désordres; mais on jetoit dans le cœur des enfans des semences qui produisoient leurs fruits, un peu plutôt, un peu plus tard. On offroit un point d'appui à la légèreté de leur imagination; on présentoit un frein à leurs passions naissantes. Nous pouvons nous en rapporter, à cet égard, au témoignage d'un homme qui n'étoit pas dévot: Un avantage des colleges, dit Marmontel, étoit l'esprit de religion qu'on avoit soin d'y entretenir. Quel préservatif salutaire pour les mœurs de l'adolescence que l'usage et l'obligation d'aller tous les mois à confesse! La pudeur de cet humble aveu de ses fautes les plus cachées

en épargnoit peut-être un plus grand nombre que tous les motifs les plus saints (1).

Aujourd'hui cet usage est aboli. Les exercices de religion se bornent à une prière récitée rapidement, et à une messe qu'on entend le dananche. J'ai ouï dire qu'il vaudroit quelquefois mieux qu'il n'y en eût point. On s'y occupe de tout autre chose que de la prière, et on y lit même tout autre livre que des livres de piété. Les chefs n'y paroissoient pas. Du reste, point d'instruction, point de ces exhortations amicales et paternelles qu'on nous faisoit autrefois. J'écoutois toujours avec plaisir, je me le rappelle encore, les petits discours que notre bon supérieur ne manquoit pas de nous faire après la prière du soir. Ils étoient simples et familiers, mais ils n'en étoient que plus persuasifs et plus touchans. Ils rouloient sur les fautes qu'il avoit à nous reprocher, sur l'ordre de la maison, sur le travail, mais surtout sur la religion et la morale. Il nous donnoit des avis. fort sages avec l'accent de la bonté et de l'intérêt. Nous savions qu'il nous aimoit, et nous étions disposés d'avance à bien prendre ses conseils et même ses reproches. Il étoit toujours avec nous. Il voyoit tout sans avoir l'air de nous épier. Il aimoit à nous faire causer, et ses entretiens, dans les récréations, quoique toujours gais, étoient encore un moyen nous inculquer des sentimens honnêtes et vertueux. Aujourd'hui un proviseur ne vit plus avec les élèves de son lycée. Il ne se prodigue pas. On ne le voit que dans les grandes occasions. On peut en avoir

de

(1) Mémoires d'un père pour servir à l'instruction de ses enfans, par Marmontel, tom. I., page 29.

peur; mais on ne peut l'aimer. Il abandonne l'ins truction religieuse à un aumônier qu'on écoute ou qu'on n'écoute pas. Cette instruction est d'ailleurs rare, courte et sèche. Elle n'a guère lieu que pour la première communion, dont l'usage s'est conservé, mais à laquelle on dispose les enfans, la plupart du temps, avec une précipitation, une légèreté, une insuffisance qui laissent douter s'il ne vaudroit pas mieux s'en abstepir.

Il est temps que ces abus cessent, et qu'un autre esprit prévale dans l'enseignement. Il est temps que des maîtres mieux choisis apportent dans les lycées des dipositions qui conviennent à leur état; qu'ils ne regardent point leurs fonctions comme un métier, et le soin des moeurs des enfans comme au-dessous de leur dignité; qu'ils donnent l'exemple du respect pour la religion et de l'observance de ses pratiques; qu'ils cherchent à inspirer les mêmes sentimens à leurs élèves, et qu'ils regardent même cette tâche comme un de leurs principaux devoirs. Le meilleur moyen qu'ait l'Université de faire tomber les plaintes formées contre elle, c'est d'extirper elle-même des abus qu'elle ne sauroit méconnoître. On parlera moins de la réformer, si elle s'exécute de bonne grâce. On criera moins contre ses réglemens, si elle est la première à en retrancher ce qui sent la fiscalité, le despotisme, l'ind fférence pour la religion; si elle se sert, au contraire, de son pouvoir pour se purger des membres qui la déshonorent, pour établir une bonne discipline, pour veiller à la pureté des mœurs, pour soigner l'instruction. Déjà la mesure qui vient d'être prise par S. M. est un hommage rendu aux principes. Il étoit intolérable que les évêques dépen- ̧

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