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qui veulent écouter sa voix. Ca a été la force de la société des Jacobins d'avoir dénoncé les ennemis de la patrie, abattu le despotisme. Et s'il était vrai qu'il eût en effet obtenu aux Jacobins cette influence qu'on lui suppose gratuitement, que pourrait-on en induire contre lui? Élevant le débat à la véritable hauteur où il eût dû rester, il justifie le conseil, général révolutionnaire de la Commune de Paris, aux actes duquel il était fier de s'être associé. « Citoyens, voulez-vous une révolution sans révolution? quel est cet esprit de persécution qui est venu réviser pour ainsi dire celle qui a brisé nos fers? Mais comment peut-on soumettre à un jugement certain les effets que peuvent entraîner ces grandes commotions? Qui peut après coup marquer le point précis où devaient se briser les flots de l'insurrection populaire? A ce prix, quel peuple pourrait jamais secouer le joug du despotisme? Car s'il est vrai qu'une grande nation ne peut se lever par un mouvement simultané, et que la tyrannie ne peut être frappée que par la portion des citoyens qui est plus près d'elle, comment ceux-ci oseront-ils l'attaquer, si après la victoire les délégués, venant des parties éloignées de l'État, peuvent les rendre responsables de la durée ou de la violence de la tourmente politique qui a sauvé la patrie? Ils doivent être regardés comme fondés de procuration tacite pour la société tout entière. Les Français, amis de la liberté, réunis à Paris, au mois d'août dernier, ont agi à ce titre au nom de tous les départements; il faut les approuver ou les désavouer tout à fait. Leur faire un crime de quelques désordres apparents ou réels, inséparables d'une grande secousse, ce serait les punir de leur dévouement. Ils auraient droit de dire à leur juges.: si vous désavouez les moyens que nous avons employés pour vaincre, laissez-nous les fruits de la victoire. Reprenez votre constitution et toutes vos lois anciennes mais restitueznous le prix de nos sacrifices et de nos combats. Rendeznous nos concitoyens, nos frères, nos enfants qui sont

morts pour la cause commune. Citoyens, le peuple qui vous a envoyés a tout ratifié. Votre présence ici en est la preuve; il ne vous a pas chargés de porter l'œil sévère de l'inquisition sur les faits qui tiennent à l'insurrection, mais de cimenter par des lois justes la liberté qu'elle lui a rendue. L'univers, la postérité ne verra dans ces événements que leur cause sacrée et leur sublime résultat; vous devez les voir comme elle. Vous devez les juger, non en juges de paix, mais en hommes d'État et en législateurs du monde. Et ne pensez pas que j'aie invoqué ces principes éternels, parce que nous avons besoin de couvrir d'un voile quelques actions répréhensibles. Non, nous n'avons point failli, j'en jure par le trône renversé, et par la république qui s'élève. »>

On lui reproche d'avoir eu part aux massacres de septembre: « Ceux qui ont dit qu'il avait eu la moindre part à ces événements sont des hommes ou excessivement modestes ou excessivement pervers. Quant à l'homme qui, comptant sur le succès de la diffamation dont il avait d'avance arrangé tout le plan, a cru pouvoir imprimer impunément que je les avais dirigés, je me contenterais de l'abandonner au remords, si le remords ne supposait une âme. Je dirai pour ceux que l'imposture a pu égarer, qu'avant l'époque où ces événements sont arrivés, j'avais omis de fréquenter le conseil général de la Commune; l'Assemblée électorale dont j'étais membre avait commencé ses séances; je n'ai appris ce qui se passait dans les prisons que par le bruit public, et plus tard que la plus grande partie des citoyens, car j'étais habituellement chez moi ou dans les lieux où mes fonctions publiques m'appelaient. » Mais ces événements aussi, tout déplorables qu'ils puissent paraître, il faut les envisager d'un point de vue plus élevé : « On assure qu'un innocent a péri, on s'est plu à en exagérer le nombre; mais un seul c'est beaucoup trop, sans doute; citoyens, pleurez cette méprise cruelle, nous l'avons pleurée dès longtemps; c'était

un bon citoyen; c'était donc l'un de nos amis. Pleurez même les victimes coupables réservées à la vengeance des lois, qui ont tombé sous le glaive de la justice populaire; mais que votre douleur ait un terme comme toutes les choses humaines. Gardons quelques larmes pour des calamités plus touchantes. Pleurez cent mille patriotes immolés par la tyrannie; pleurez nos citoyens expirants sous leurs toits embrasés; et les fils des citoyens massacrés au berceau ou dans les bras de leurs mères. N'avez-vous pas aussi des frères, des enfants, des épouses à venger? La famille des législateurs français, c'est la patrie, c'est le genre humain tout entier, moins les tyrans et leurs complices. Pleurez donc, pleurez l'humanité abattue sous leur joug odieux. Mais consolez-vous, si, imposant silence à toutes les viles passions, vous voulez assurer le bonheur de votre pays et préparer celui du monde. Consolez-vous, si vous voulez rappeler sur la terre l'égalité et la justice exilées, et tarir, par des lois justes, la source des crimes et des malheurs de vos semblables. La sensibilité qui gémit presque exclusivement pour les ennemis de la liberté m'est suspecte. Cessez d'agiter sous mes yeux la robe sanglante du tyran, ou je croirai que vous voulez remettre Rome dans les fers. En voyant ces peintures pathétiques des Lamballe, des Montmorin, de la consternation des mauvais citoyens, et ces déclamations furieuses contre des hommes connus sous des rapports tout à fait opposés, n'avez-vous pas cru lire un manifeste de Brunswick ou de Condé? Calomniateurs éternels, voulez-vous donc venger le despotisme? voulez-vous flétrir le berceau de la république? voulez-vous déshonorer aux yeux de l'Europe la révolution qui l'a enfantée, et fournir des armes à tous les ennemis de la liberté? Amour de l'humanité, vraiment admirable, qui tend à cimenter la misère et la servitude des peuples, et qui cache le désir barbare de se baigner dans le sang des patriotes! » D'accusé, Robespierre se fait accusateur à son tour. Il termine en ces

termes « Vous saurez un jour quel prix vous devez attacher à la modération de l'ennemi que vous vouliez perdre, Et croyez-vous que si je voulais m'abaisser à de pareilles plaintes, il me serait difficile de vous présenter des dénonciations un peu plus précises et mieux appuyées? je les ai dédaignées jusqu'ici, Je sais qu'il y a loin du dessein profondément conçu de commettre un grand crime à certaines velléités, à certaines menaces de mes ennemis, dont j'aurais pu faire beaucoup de bruit. D'ailleurs, je n'ai jamais cru au courage des méchants. Mais réfléchissez sur vous-même; et voyez avec quelle maladresse vous vous embarrassez vousmêmes dans vos propres piéges..... Vous vous tourmentez depuis longtemps pour arracher à l'assemblée une loi contrę les provocateurs au meurtre; qu'elle soit portée; qu'elle est la première victime qu'elle doit frapper? N'est-ce pas vous qui avez dit calomnieusement, ridiculement, que j'aspirais à la tyrannie? N'avez-vous pas juré par Brutus, d'assassiner les tyrans? Vous voilà donc convaincu par votre propre aveu, d'avoir provoqué tous les citoyens à m'assassiner. N'ai-je pas déjà entendu de cette tribune même, des cris de fureur répondre à vos exhortations? Et ces promenades de gens armés, qui bravent au milieu de nous l'autorité des lois et des magistrats! Et ces cris qui demandent les têtes de quelques représentants du peuple, qui mêlent à des imprécations contre moi, vos louanges et l'apologie de Louis XVI! Qui les a appelés! qui les égare! qui les excite! Et vous parlez de lois, de vertu, d'agitateurs..... Mais sortons de ce cercle d'infamies que vous nous avez fait parcourir, et arrivons à la conclusion de votre libelle. Indépendamment de ce décret sur la force armée, que vous cherchez à extorquer par tant de moyens, indée pendamment de cette loi tyrannique contre la liberté individuelle et contre celle de la presse, que vous déguisez sous le spécieux prétexte de la provocation au meurtre, vons demandez pour le ministre une espèce de dictature

militaire, vous demandez une loi de proscription contre les citoyens qui vous déplaisent, sous le nom d'ostracisme. Ainsi vous ne rougissez plus d'avouer ouvertement le motif honteux de tant d'impostures et de machinations; ainsi vous ne parlez de dictature que pour l'exercer vous-mêmes sans aucun frein; ainsi vous ne parlez que de proscriptions et de tyrannie, que pour proscrire et tyranniser; ainsi vous avez pensé que, pour faire de la Convention nationale l'aveugle instrument de vos coupables desseins, il vous suffirait de prononcer devant elle un roman bien astucieux, et de lui proposer de décréter sans désemparer, la perte de la liberté et son propre déshonneur! Que me reste-t-il à dire contre des accusateurs qui s'accusent euxmêmes?... Ensevelissons, s'il est possible, ces méprisables manœuvres dans un éternel oubli. Puissions-nous dérober aux regards de la postérité ces jours peu glorieux de notre histoire, où les représentants du peuple, égarés par de lâches intrigues, ont paru oublier les grandes destinées auxquelles ils étaient appelés. Pour moi, je ne prendrai aucunes conclu sions qui me soient personnelles; j'ai renoncé au facile avantage de répondre aux calomnies de mes adversaires par des dénonciations plus redoutables. J'ai voulu supprimer la partie offensive de ma justification. Je renonce à la juste vengeance que j'aurais le droit de poursuivre contre mes calomniateurs. Je n'en demande point d'autre que le retour de la paix et le triomphe de la liberté. Citoyens, parcourez d'un pas ferme et rapide votre superbe carrière.' Et puissé-je, aux dépens de ma vie et de ma réputation même, concourir avec vous à la gloire et au bonheur de notre commune patrie! »>

Louvet voulut répliquer, mais il ne put obtenir la parole. Barbaroux se présenta à son tour pour dénoncer Robespierre. « Il signera sa déclaration, il la gravera sur le marbre, » dit-il. On refuse également de l'entendre. Il descend à la barre pour soutenir son accusation en qualité de péti

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