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noncée aux jacobins, le 27 avril 1792. Mais il ne conserva pas longtemps cette judicature. Sa sœur Charlotte rapporte qu'ayant, un jour, été obligé de condamner à la peine de mort un assassin contre lequel s'élevaient les charges les plus accablantes, il fut obsédé comme d'un remords de l'idée d'avoir ainsi disposé de la vie d'un de ses semblables. Il rentra chez lui le désespoir au cœur; et quand sa sœur entreprenait de le consoler, lui rappelant l'énormité du crime du condamné, il répétait toujours : « Sans doute, c'est un scélérat, mais faire mourir un homme! » Dès le lendemain, il envoya à l'évêque sa démission de juge, et rentra au barreau, où il s'était fait une position honorable quand la Révolution vint l'y chercher pour le lancer sur la scène politique.

Robespierre partageait tout son temps entre le barreau et l'Académie d'Arras, dont il était un des membres les plus actifs. On a de lui un Éloge de Gresset1, et un Éloge du président Dupaty. Il était aussi membre d'une société chantante, connue sous le nom de société des Rosati. Il avait, paraît-il, la versification facile, et, il écrivit tout un poëme sur le Mouchoir du Prédicateur qui souvent remplit en chaire un rôle fort important. On peut citer comme spécimen de son talent poëtique, le madrigal suivant, adressé à une dame d'Arras :

Crois-moi, jeune et belle Ophélie,

Quoi qu'en dise le monde et malgré ton miroir,
Contente d'être belle et de n'en rien savoir,

Garde toujours ta modestie.

1. On remarque dans cet éloge une vive attaque contre les écrivains impies et immoraux, c'est à dire contre Voltaire et son école. Mais au milieu de ces funestes désordres, ajoute l'orateur, c'est un grand spectacle de voir l'un des plus beaux génies dont le siècle s'honore, venger la religion et la vertu par son courage à suivre leurs augustes lois, et les défendre, pour ainsi dire, par l'ascendant de son exemple, contre l'attaque de tant de plumes audacieuses. »

Sur le pouvoir de tes appas
Demeure toujours alarmée,
Tu n'en seras que mieux aimée
Si tu crains de ne l'être pas.

La lettre suivante, citée par M. Ernest Hamel, pourra donner une idée de la direction de son esprit, à cette époque :

Mademoiselle,

« J'ai l'honneur de vous envoyer un mémoire dont l'objet est intéressant. On peut rendre aux Grâces mêmes de semblables hommages, lorsqu'à tous les agréments qui les accompagnent elles savent joindre le don de penser et de sentir et qu'elles sont également dignes de pleurer l'infortune et de donner le bonheur.

« A propos d'un objet si sérieux, mademoiselle, me serat-il permis de parler de serins? Sans doute, si ces serins sont intéressants; et comment ne le seraient-ils pas puisqu'ils viennent de vous? Ils sont très-jolis; nous nous attendions qu'étant élevés par vous ils seraient encore les plus doux et les plus sociables de tous les serins : qu'elle fut notre surprise, lorsqu'en approchant de leur cage, nous les vîmes se précipiter contre les barreaux avec une impétuosité qui faisait craindre pour leurs jours; et voilà le manége qu'ils recommencent toutes les fois qu'ils aperçoivent la main qui les nourrit. Quel plan d'éducation avezvous donc adopté pour eux, et d'où leur vient ce caractère sauvage? Est-ce que la colombe, que les Grâces élèvent pour le char de Vénus, montre ce naturel farouche? Un visage comme le vôtre n'a-t-il pas dû familiariser aisément vos serins avec les figures humaines? ou bien serait-ce qu'après l'avoir vu ils ne pourraient plus en supporter d'autres ? Expliquez-moi, je vous prie, ce phénomène. En attendant nous les trouverons toujours aimables avec leurs défauts.

Ma sœur me charge en particulier de vous témoigner sa reconnaissance pour la bonté que vous avez eue de lui faire ce présent, et tous les autres sentiments que vous lui avez inspirés.

» Je suis avec respect, mademoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur. »>

Arras, le 22 janvier 1782. »

« DE ROBESPIERRE. »

Il faut aussi mentionner, parmi les travaux antérieurs de Robespierre, une dissertation sur les peines infamantes, composée pour prendre part à un concours ouvert sur cesu. jet par l'Académie de Metz. Robespierre n'obtint que le second rang: le premier prix fut remporté par Lacretelle aîné, alors avocat au barreau de Paris '.

Les aspirations démocratiques de Robespierre se font déjà sentir dans ce travail : il s'élève très vivement contre

1 Robespierre publia son mémoire sous ce titre :

Discours couronné par la Société royale des arts et des sciences de Metz, sur les questions suivantes, proposées pour sujet du prix de l'année 1784:

1° Quelle est l'origine de l'opinion qui étend sur tous les individus d'une même famille une partie de la honte attachée aux peines infamantes que subit un coupable?

2o Cette opinion est-elle plus nuisible qu'utile?

3o Dans le cas où l'on se déciderait pour l'affirmative, quels seraient les moyens de parer aux inconvénient qui en résultent? Par M. de Robespierre, avocat en Parlement.

A Amsterdam, et se trouve à Paris, chez J.-G. Merigot jeune, quai des Augustins, MDCCLXXXV, in-8° de 60 pages, avec cette épigraphe :

Quod genus hoc hominum? Quæve hunc tam barbara morem,
Permittit patria?

VIRG. En. D

le préjugé qui fait rejaillir sur les parents des criminels l'infamie attachée à leur supplice, et l'un des plus puissants moyens, suivant lui, d'avoir raison du préjugé qu'il combat, c'est d'établir l'égalité des peines pour tous les citoyens, de ne pas accorder le privilége d'un supplice spécial aux nobles, dont les crimes sont toujours moins excusables qre ceux de malheureux poussés au mal par la misère. L'infamie semblait dépendre de la forme du supplice ou du crime. Et en conséquence, le jeune orateur propose qu'on étende à tous les citoyens le genre de supplice réservé jusqu'ici aux seuls nobles, c'est-à-dire l'échafaud, parcequ'il lui paraît le plus doux, le plus humain et le plus équitable. Il ne va pas du reste jusqu'à l'abolition de la peine de mort.

On peut citer un passage de ce discours où, après avoir flêtri le forfait de César s'asseyant victorieux sur le trône de l'univers, il le condamne à d'éternels remords pour avoir violé ce précepte: Ce qui n'est point honnête ne saurait être juste. « Cette maxime, vraie en morale, dit-il, ne l'est pas moins en politique, les hommes isolés et les hommes réunis en corps de nation sont également soumis à cette loi. La prospérité des États repose nécessairement sur la base immuable de l'ordre, de la justice et de la sagesse. Toute loi injuste, toute institution cruelle qui offense le droit naturel, contrarie ouvertement leur but, qui est la conservation des droits de l'homme, le bonheur et la tranquillité des citoyens. »

L'année 1789 trouva Robespierre directeur de l'Académie d'Arras. Il entra résolument dans l'arène politique ouverte par la convocation des États généraux et il rédigea une Adresse à la nation artésienne sur la nécessité de réformer les États d'Artois. Il y avait, on le sait, dans les pays d'état une sorte de représentation. Mais la plupart du temps cette représentation était tout illusoire, les membres qui composaient les états n'ayant pas été librement élus

par leurs concitoyens. C'était là un des principaux griefs de Robespierre contre les états d'Artois. Appréhendant que pareil abus ne s'étendit du particulier au général, et que les états généraux ne devinssent également une duperie, il proposait de couper le mal dans sa racine et de commencer par réformer les assemblées provinciales.

Les états d'Artois étaient fictivement composés de la réunion de députés des trois ordres, mais en réalité aucun n'y était sérieusement représenté. C'est ce qu'établissait avec beaucoup de vivacité Robespierre, et il s'écriait : « Ah! saisissons l'unique moment que la Providence nous ait réservé dans l'espace des siècles pour recouvrer ces droits imprescriptibles et sacrés dont la perte est à la fois un opprobre et une source de calamités. »>

Ces semblants d'états nationaux se recrutaient par l'intrigue, par la faveur, par toutes sortes de moyens odieux; aussi voyait-on s'en éloigner les meilleurs citoyens. Dans l'impuissance de remédier à de tels maux, ils se contentaient de gémir en silence sur les malheurs et la servitude de la patrie, et « laissaient une libre carrière à l'ambition de quelques aristocrates toujours soigneux d'écarter quiconque est soupçonné d'avoir une âme, pour établir sans obstacle leur élévation sur la misère et sur l'abaissement de tous. >>

Si en présence de l'orgueil, de la bassesse, de l'égoïsme des classes privilégiées, le peuple laisse le découragement et l'indifférence s'emparer de lui, « il s'accoutumera à gémir en silence sous le poids de l'oppression, et deviendra vil et rampant à mesure qu'il sera plus malheureux. » Au contraire, quand il est en possession de choisir lui-même ses représentants, quand il est compté pour quelque chose, « il apprend à s'estimer lui-même, ses idées et ses sentiments s'élèvent; il est plus respecté des administrateurs qui lui doivent leur pouvoir... L'abondance et le bonheur renaissent sous les auspices d'une administration patrioti

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