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usèrent les gens de la noblesse pour exclure les candidats démocratiques. On y lit entre autres choses qui caractérisent bien l'homme « O citoyens ! la patrie est en danger; des ennemis domestiques plus redoutables que les armées étrangères trament en secret sa ruine. Volons à son secours, et rallions tous ses défenseurs au cri de l'honneur, de la raison et de l'humanité... Que m'importe que, fondant sur leur multitude ou sur leurs intrigues l'espoir de nous replonger dans tous les maux dont nous voulons nous délivrer, ils méditent déjà de changer en martyrs tous les défenseurs du peuple! Fussent-ils assez puissants pour m'enlever tous les biens qu'on envie, me raviront-ils mon âme et la conscience du bien que j'aurai voulu faire 1?.....

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1. M. Ernest Hamel rapporte que, quelque temps avant l'ouverture du scrutin, ayant à plaider la cause d'un malheureux qui avait été longtemps enfermé à la sollicitation de ses parents, il prit texte de cette affaire pour réclamer hautement la complète abolition des lettres de cachet. Puis, traçant par avance le tableau des bienfaits que, selon lui, la nation était en droit d'attendre des prochains étatsgénéraux, il s'écriait, en s'adressant au roi lui-même, et après avoir dicté en quelque sorte les principes fondamentaux du nouveau droit des Français: « Oh! quel jour brillant, sire, que celui où ces principes, gravés dans le cœur de Votre Majesté, proclamés par sa bouche auguste recevront la sanction inviolable de la plus belle nation de l'Europe; ce jour où, non content d'assurer ce bienfait à votre nation, vous lui sacrifierez encore tous les autres abus, source fatale de tant de crimes et de tant de maux... Conduire les hommes au bonheur par la vertu et à la vertu par une législation fondée sur les principes immuables de la morale universelle, et faite pour retablir la nature humaine dans tous ses droits et sa dignité première; renouer la chaine immortelle qui doit unir l'homme à Dieu et à ses semblables, en détruisant toutes les causes de l'oppression et de la tyrannie, qui sème sur la terre la crainte, l'orgueil, la défiance, la bassesse, l'égoïsme, la haine, la cupidité et tous les vices qui entraînent l'homme loin du but que le législateur éternel avait assigné à la société; voilà, sire, la glorieuse entreprise à laquelle il vous a appelé. »

C'est Étienne Dumont, de Genève, qui dans ses Souvenirs sur les deux premières Assemblées législatives, rapporte le début oratoire de Robespierre aux États généraux. Dans les débats qui s'élevèrent au sujet de la prétention de la noblesse et du clergé de vérifier isolément les pouvoirs, l'archevêque d'Aix, pour détourner l'attention publique, et pour obtenir par surprise une réunion des ordres, était venu dans la salle du tiers s'apitoyer sur les malheurs du peuple et il invita les communes à envoyer quelques députés pour conférer avec ceux du clergé et de la noblesse sur les moyens d'adoucir le sort des indigents.

>> Les communes qui voulaient garder leur immobilité, poursuit Étienne Dumont, sentirent le piége, et n'osaient pas rejeter ouvertement une proposition dont le refus pouvait les compromettre aux yeux de la multitude. Un député prit la parole et renchérit sur le sentiment du prélat en faveur de la classe indigente; mais il jeta un doute avec adresse sur les sentiments du clergé : « Allez, dit-il à l'ar

Ce discours fut publié en brochure Mémoire pour le sieur Louis-Marie-Hyacinthe Dupond, détenu pendant douze ans dans une prison, en vertu d'une lettre de cachet, interdit durant sa captivité, spolié par suite de vexations qui embrassent le cours de plus de vingt ans. Arras, 1789, in-4° de 93 pages. - On a pareillement de Robespierre, avocat à Arras; Plaidoyers pour le sieur de Vissery de BoisValé, appelant d'un jugement des échevins de Saint-Omer, qui avait ordonné la destruction d'un paratonnerre élevé sur sa maison, imprimés en 1783, avec cette épigraphe, tirée de Lemierre :

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L'usage appuyé sur le temps

Et les préjugés indociles
Ne se retire qu'à pas lents

Devant les vérités utiles.

Mémoire pour François Deteuf, demeurant au village de Marchiennes, contre les grand prieur et religieux de l'abbage d'Auchin, Arras, 1784, in-8° de 21 pages.

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chevêque, et dites à vos collègues que, s'ils ont tant d'impatience à soulager le peuple, ils viennent se » joindre dans cette salle aux amis du peuple, dites-leur » de ne plus retarder nos opérations par des délais affectés; » dites-leur de ne plus employer de petits moyens pour >> nous faire abandonner les résolutions que nous avons » prises; ou plutôt, ministres de la religion, dignes imita>>teurs de votre maître, renoncez à ce luxe qui vous >> entoure, à cet éclat qui blesse l'indigence; reprenez la >> modestie de votre origine; renvoyez ces laquais orgueil>> leux qui vous escortent, vendez ces équipages superbes, » et convertissez ce vil superflu en aliments pour les pau>> vres. » A ce discours qui entrait si bien dans les passions du moment, il se fit, non pas un applaudissement qui aurait été une bravade, mais un murmure confus beaucoup plus flatteur. On demandait partout quel était l'orateur; il n'était pas connu, et ce ne fut qu'après quelques moments de recherche qu'on fit circuler dans la salle et les galeries un nom, qui trois ans après, faisait trembler toute la France c'était Robespierre » '.

Dans le compte rendu de la séance du 20 juillet 1789, le Moniteur fait mention pour la première fois du nom de Robespierre. Lally-Tollendal, après avoir dénoncé les scènes

1. Étienne Dumont a laissé de Robespierrre, dans ses Souvenirs, un portrait qui n'est point flatté: « Il avait un aspect sinistre, il ne regardait point en face, il avait dans les yeux un clignotement continuel et pénible... Je le pressai de prendre la parole; il me dit qu'il avait une timidité d'enfant, qu'il tremblait toujours en s'approchant de la tribune. « On peut rapprocher de ce jugement celui de madame de Staël : « J'ai causé une fois avec lui chez mon père, en 1789, lorsqu'on ne le connaissait que comme un avocat de l'Artois, très-exagéré dans ses principes démocratiques. Ses traits étaient ignobles, son teint pâle, ses veines d'une couleur verte; il soutenait les thèses les plus absurdes avec un sang-froid qui avait l'air de la conviction.»

de violence dont plusieurs provinces avaient été le théâtre, proposait d'adresser au peuple une proclamation pour lui rappeler les bienfaits du roi, et l'inviter à ne plus troubler la paix publique. Robespierre se leva pour combattre cette motion :

« Il faut aimer la paix, » dit-il, « mais aussi il faut aimer la liberté! On parle d'émeute! mais, avant tout, examinons la motion de M. Lally. Je la trouve déplacée, parce qu'elle est dans le cas de faire sonner le tocsin. Déclarer d'avance que des hommes sont coupables, qu'ils sont rebelles, est une injustice. Elle présente des dispositions facilement applicables à ceux qui ont servi la liberté et qui se sont soulevés pour repousser une terrible conjuration de la cour. » Son opinion fut soutenue par Buzot, et l'Assembée ne vota la motion de Lally-Tollendal qu'avec de profondes modifications'.

1. Dans ce même mois de juillet, tombèrent sous les coups du peuple, les murs de l'ancienne Bastille. On peut penser que la nouvelle en fut accueillie avec satisfaction par Robespierre. Cependant, à cette époque, il ne désespérait pas de pouvoir concilier la cause populaire avec celle de la vieille monarchie. Quand le roi, accompagné de seş deux frères, vint sans escorte déclarer à l'Assemblée nationale, qu'il se fiait à elle, Robespierre ne fut pas un des moins enthousiastes à l'acclamer. Nous le reçumes avec des applaudissements incroyables, écrit-il à un de ses amis dans une lettre que cite M. Hamel; et le monarque fut reconduit de la salle nationale à son château, avec des démonstrations d'enthousiasme et d'ivresse qu'il est impossible d'imaginer. Le 17 juillet, Louis XVI s'étant décidé à se rendre au désir des Parisiens, et à aller visiter sa bonne ville de Paris, il fut au nombre des députés chargés d'accompagner le roi et y entra avec lui à l'hôtel de ville, où, raconte-t-il dans la même cor respondance, le président du corps électoral, Moreau de Saint-Méry, lui adressa ces paroles libres dans un discours flatteur: « Vous deviez votre couronne à votre naissance, vous ne la devez plus qu'à vos vertus et à la fidélité de vos sujets. » Il déclare aussi, avec complaisance, qu'on prodigua au monarque les démonstrations de joie

ANNÉE 1789.

Séance du 25 juillet. Des dépêches du comte d'Artois saisies sur le baron de Castelnau, ministre de France à Genève, avaient été envoyées par le maire de Paris, Bailly, au président de l'Assemblée. L'inviolabilité du secret des lettres, défendue par Mirabeau, est combattue par Robespierre. «< Sans doute, dit-il, les lettres sont inviolables; mais lorsque toute une nation est en danger, lorsqu'on trame contre sa liberté, ce qui est un crime dans un autre temps devient une action louable... Les ménagements pour les conspirateurs sont une trahison envers le peuple'.>>

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et de tendresse les plus expressives. Robespierre ne retourna pas à Versailles avec le roi il resta à Paris, et voulut aller visiter la Bastille qu'on venait de livrer à la pioche des démolisseurs : « J'ai vu la Bastille, écrit-il; j'y ai été conduit par un détachement de cette bonne milice bourgeoise qui l'avoit prise; car après que l'on fut sorti de l'hôtel de ville, le jour du voiage du roi, les citoiens armés se fesoient un plaisir d'escorter par honneur les députés qu'ils rencontroient, et ils ne pouvoient marcher qu'aux acclamations du peuple. Que la Bastille est un séjour délicieux, depuis qu'elle est au pouvoir du peuple, que ses cachots sont vuides, et qu'une multitude d'ouvriers travaillent sans relâche à démolir ce monument odieux de la tirannie! Je ne pouvois m'arracher de ce lieu, dont la vue ne donne plus que des sensations de plaisir, et des idées de liberté à tous les citoyens. ›

1. Il est juste d'observer qu'en une autre circonstance, le 28 janvier 1791, Robespierre se fit le défenseur du secret des lettres. Il s'agissait de papiers destinés à divers départements, et renvoyés au président de l'Assemblée, comme contenant des attaques contre la représentation nationale. « Comment sait-on, s'écria Robespierre, que ce sont des écrits contre l'Assemblée nationale? on a donc violé le sceau des cachets ? c'est un attentat contre la foi publique. D A ce propos M. Hamel, dans son Histoire de Robespierre, s'élève très amè

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