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No. XIII.

Lettre de M. Rochambeau à l'assemblée nationale.

Valenciennes, le 8 mai 1792, l'an 4 de la liberté.

Monsieur le président, sans adopter l'exactitude du compte de mes dépêches au roi, que d'après les papiers publics, le ministre des affaires étrangères a rendu à l'assemblée nationale, je crois devoir faire observer principalement à l'assemblée, qu'il n'a pas fait mention de ma troisième dépêche, qui me paroît la plus importante, puisqu'il y est question du plan de campagne que j'avois formé, et dont on a pris l'inverse exactement. J'ignore le motif de cette réticence.

Il m'accuse d'avoir cessé de correspondre avec les ministres du roi ; ce fait est de toute fausseté. J'ai écrit à M. Dumouriez les 24 et 26 avril ; à M. de Graves, les 24, 25, 26 et 29 du même mois, ainsi que les 3, 4, 6 et 7 du

courant.

Ma première lettre au roi étoit accompagnée d'une dépêche au ministre de la guerre, que j'ai renvoyé au contenu de celle que j'écrivois à S. M., pour expédier plus vite M. Berthier.

La seconde étoit incluse dans une dépêche adressée par M. Biron au ministre, sur son affaire malheureuse.

La troisième étoit accompagnée d'un détail envoyé par M. d'Elbecq, de son cantonnement de Dunkerque, sur l'expédition de Furnes. Je conserve toutes les pièces de ces correspondances ministérielles, et de celles qui ont été adressées directement par le ministre des affaires étrangères à MM. Biron et Lafayette, dont nous avons dû nous

donner respectivement connoissance, et dont je donnerai communication lorsque j'en serai requis légalement.

Le ministre des affaires étrangères dit que j'ai eu connoissance des ordres et instructions de M. Biron. Il falloit bien que j'en fusse instruit, pour lui fournir tous les moyens qui y étoient désignés, et sur lesquels il me rend la justice de dire que je n'ai rien épargné; mais ces ordres et instructions ne lui ont pas moins été adressés par le ministre, quoique sous mon enveloppe, avec injonction à moi de les lui remettre.

L'infanterie et le canon qui ont été accordés à M. Dillon, sur ses plus vives instances, n'avoient d'autre objet que d'assurer la retraite de sa cavalerie, en cas qu'elle fût repoussée; et cette mesure n'a sûrement pas été infructueuse, quoiqu'elle n'ait pas été prévue par le conseil. Je pense que j'aurois été fort blâme, si je n'avois pas adhéré à cette réquisition.

On me reproche de ne m'être pas porté jusqu'à Quiévrain, pour protéger M. Biron dans sa retraite; on oublie que par les ordres du conseil, j'avois tout donné à ce général, et qu'il ne me restoit ici, au premier avis de cette retraite, que trois régimens de troupes à cheval, dont deux venoient d'arriver de l'intérieur, et un seul régiment d'infanterie, avec lequel nous nous portâmes, avec la plus grande activité, jusqu'au-delà d'Hénin, à plus de moitié chemin de Quiévrain, sous la protection de huit pièces de canon que je fis sortir de la ville et que je plaçai sur les hauteurs de Saint-Sauve. Tout le monde convient que c'est ce mouvement qui arrêta la poursuite de l'ennemi, et qu'il ne put pas être fait avec plus de rapidité.

On a dit que le corps de M. Biron avoit manqué de tout; il avoit pour quatre jours de pain, et est rentré le troisième jour. Un convoi de quatre autres jours a été deux

fois, tant à Quiévrain qu'au-delà de cette ville, et n'a pu être distribué, puisque le corps de M. Biron ne s'est pas arrêté pour le recevoir. Les boeufs ont toujours suivi l'armée, et sont rentrés de Quiévrain avec elle.

L'hôpital ambulant, c'est-à-dire, ce que l'on avoit imaginé ici pour le suppléer, a été jusqu'au-delà de Quiévrain; mais les blessés ont préféré revenir à Valenciennes pour être pansés.

Je ne demanderai pas justice à l'assemblée nationale de quelques folliculaires infames, qui ont osé convertir en trahison la démarche la plus humaine et la plus populaire que j'aie faite avant l'expédition officielle de la déclararation de guerre, pour éviter tous les malheurs et les vexations respectives d'un territoire entremêlé, tel qu'est celui de cette frontière. Cette démarche a paru avoir l'approbation unanime du conseil et du public.

Les opérations de M. Biron et leurs dates, ont été annoncées publiquement par tous les papiers venant de Paris, presqu'en même-temps que je recevois les ordres du conseil, dans le secret duquel je n'étois assurément pas.

au

Il me reste actuellement à desirer l'exécution la plus prompte de la mesure déclarée par M. Dumouriez, nom du conseil du roi, de me remplacer ici par M. Luckner. Ce général a toujours voté pour la guerre offensive; il y est très-propre, il a encore toute l'activité et toute la vigueur qu'il a conservées depuis trente ans qu'a été terminée la guerre d'Hanovre, où il a servi avec disinction.

Pour moi, je n'ai cessé de voter pour me donner le temps, dans les camps retranchés ou de défensive, de former les troupes, tant de ligne que nationales, à un métier que la grande majorité d'elles ne connoît point encore, et d'attendre là une occasion sûre ou au moins bien vraisem

blable, de porter des coups offensifs à l'ennemi. Cette opinion ne me paroît pas être celle du conseil. Rien ne peut donc être mieux vu que de donner à M. Luckner le coinmandement de la guerre offensive qu'il a dessein d'entreprendre.

Quant à moi, avec un corps usé par cinquante ans d'ac tivité sans relâche dans les deux Mondes, accablé d'infirmités, je remets entre les mains du roi mon commandement, dont je ne suis plus en état de supporter la responsabilité.

Je ne cesserai de faire chaque jour de ma vie, lès vœux les plus ardens pour l'état et le roi, qui sont inséparables, et le maintien de la constitution du royaume.

Le commandant-général de l'armée du Nord,

Le maréchal ROCHAM BEAU.

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