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en conservant une place qu'il n'avoit jamais ambitionnée, qu'il n'avoit acceptée qu'avec la plus grande répugnance et à la sollicitation du gardedes-sceaux, son intime ami. Je ne rendrois pas à M. de Gerville toute la justice qu'il mérite, si je n'ajoutois pas, que, quelque prix qu'il attachât à sa popularité, le soin de la conserver, ne le porta jamais à flagorner l'assemblée, ni à dissimuler ou affoiblir aucune des vérités qu'il étoit de son devoir de lui dire: peu de ministres lui parlèrent avec plus de franchise et de fermeté que lui.

Notre principal tort vis-à-vis du corps législatif, étoit de ne pas toujours lui parler dans le sens de la révolution, et de confirmer souvent, par les comptes que nous lui rendions, des faits qui ne pouvoient que la rendre odieuse. On ne manquoit jamais alors de nous accuser d'ingratitude, d'infidélité; et ce fut sur ce prétexte, aussi injuste qu'impudent, que l'assemblée se permit l'entreprise la plus grave sur les fonctions exclusivement attribuées par la constitution, au pouvoir exécutif. « Nous éprouvons souvent, dit un des » motionnaires les plus méprisables du côté gau» che (Bazire), que les éclaircissemens que nous » donnent les ministres sont démentis quelques » jours après par les lettres que nous recevons » des départemens. Il faut donc adopter un moyen » légal de contrôler les comptes qui nous sont >> rendus les ministres, de prendre des infor

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par

»mations et de rechercher la vérité; car il seroit » absurde de supposer que la constitution, qui » nous a ordonné de surveiller les ministres, nous » ait refusé les moyens d'exercer cette surveil„lance.......... Il est donc important, pour que » l'assemblée nationale ne soit plus trompée à » l'avenir, qu'elle autorise ses comités à corres» pondre directement avec les directoires et avec > tous les agens civils ou militaires, et à prendre » par eux-mêmes les renseignemens qu'ils juge»ront nécessaires, sur les faits qui nous sont dé» noncés. »

Cette motion, vivement applaudie et appuyée par les tribunes et par tout le parti jacobin, fut vainement combattue par les argumens les plus solides, fondés sur le texte de la constitution et sur l'intérêt du corps législatif, qui, en investissant ses comités d'un pouvoir aussi monstrueux, devoit s'attendre à les voir bientôt maîtriser impérieusement toutes les autorités constituées et l'assemblée nationale elle-même. Ces objections ne furent réfutées que par les clameurs et par les huées des tribunes; mais elles indiquoient davance les motifs qui devoient déterminer le roi à refuser sa sanction au décret proposé, s'il étoit rendu. Les chefs des factieux sentirent cet inconvénient; mais ils ne savoient comment s'y prendre pour l'éviter. Le plus perfide d'entr'eux (Condoreet) les tira de cet embarras. « Je dois observer,

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คร » dit-il mielleusement, qu'il existe un décret de » l'assemblée constituante, qui autorise les co>mités à correspondre, sous une certaine forme, » avec les corps administratifs. » C'est vrai! c'est vrai! s'écrièrent à-la-fois plusieurs députés, dont probablement aucun ne connoissoit le décret dont il attestoit l'existence; car je n'ai pas la moindre idée qu'un tel décret ait jamais été rendu ; mais eût-il réellement existé, il auroit été incontesta blement anéanti par la constitution, avec laquelle il ne pouvoit se concilier. Néanmoins, ce fut sur l'existence supposée de ce décret, dont personne n'indiquoit la date, et sur l'inutilité d'en rendre un pareil, que fut prise la délibération de passer à l'ordre du jour, qui étant ainsi motivé, atteignit le but que les factieux s'étoient proposé, aussi complètement qu'auroit pu le faire un décret sanctionné par le roi.

A peine cette délibération étoit-elle terminée, que la discussion s'ouvrit sur une prétention impertinente, que les commissaires à la sanction avoient élevée depuis deux jours vis-à-vis du roi, relativement aux égards et aux honneurs avec lesquels sa majesté devoit les recevoir, lorsqu'ils venoient lui présenter les décrets de l'assemblée. Ce cérémonial n'avoit été réglé par aucun décret; mais suivant l'usage que le corps législatif avoit trouvé établi par la première assemblée, et auquel il s'étoit conformé jusqu'alors, les députations de

soixante ou de vingt-quatre membres étoient introduites chez le roi lorsqu'elles se présentoient, et les deux battans de la porte de la salle du conseil étoient ouverts pour les recevoir. Les commissaires à la sanction, dont le nombre étoit ordinairement de quatre, fesoient demander à sa majesté l'heure à laquelle elle pourroit les recevoir, et étoient également reçus dans la salle du conseil, mais sans ouverture des deux battans. Le 3 février, le roi tenant son conseil, fut averti par l'huissier, que les commissaires à la sanction étoient arrivés, et demandoient hautement à être admis sur-le-champ. Nous fûmes tous d'avis que le roi devoit s'en tenir à l'usage établi, et ne pas interrompre son conseil pour recevoir ces commissaires, à moins qu'ils ne fussent chargés de présenter à sa majesté quelque réclamation importante et extraordinaire qui exigeât une prompte décision. M. Duport-Dutertre fut chargé en conséquence d'aller demander à ces messieurs quel étoit l'objet de leur mission. L'Alsacien Rulh, jacobin enragé, lui répondit avec sa brutalité ordinaire, qu'ils venoient présenter à sa majesté les décrets de l'assemblée; que les représentans du souverain n'étoient pas faits pour attendre; qu'il étoit bien étonnant, qu'au lieu de les faire entrer sur-le-champ chez le roi, on se permît de se moquer d'eux, et de les placer dans une espèce d'office ou d'anti-chambre, en leur annonçant qu'on

alloit les conduire dans la salle des ambassadeurs. M. Duport-Dutertre lui représenta, avec toute la modération possible, que le roi ne fesoit jamais attendre les commissaires à la sanction, lorsqu'ils avoient l'attention de lui faire demander, suivant l'usage, l'heure à laquelle ils pouvoient se présenter; que sa majesté étoit au conseil, qui probablement finiroit bientôt, mais qu'elle ne pouvoit pas l'interrompre pour les recevoir. Il leur assura en même-temps que la salle dans laquelle on les avoit placés, en attendant, étoit réellement la salle des ambassadeurs. Rulh n'en persista pas moins dans ses réclamations, et annonça insolemment que si elles n'étoient pas accueillies, il en porteroit ses plaintes le lendemain à l'assemblée. Cette menace ne nous fit pas changer d'avis, et les commissaires à la sanction ne furent appelés qu'après le conseil. Ils firent une nouvelle scène à la porte -de l'appartement du roi, et voulurent contraindre l'huissier à leur ouvrir les deux battans, lui répétant, assez haut pour que nous l'entendissions de la salle du conseil, qu'ils étoient envoyés par l'assemblée nationale, représentant du souverain. L'huissier eut beau leur dire que ses ordres étoient de n'ouvrir les deux battans que pour les députa tions de soixante membres, ils insistèrent avec tant d'obstination, qu'il fut obligé d'en venir rendre compte au roi. M. Duport-Dutertre fut encore envoyé vers eux, pour essayer de leur

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