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ment le tribunal de première instance d'une action en dommages-intérêts à raison de dommages faits aux champs par des lapins sortant d'un bois situé dans le voisinage.

Ce tribunal est dès lors incompétent ratione materiæ, et le moyen tiré de l'incompétence peut être présenté pour la première fois devant la cour de cassation (1).

3o En cas d'annulation du jugement rendu par ce tribunal de première instance, les parties doivent être renvoyées à se pourvoir devant le juge compétent sans désignation attributive de juridiction (2).

(1) Voir les autorités citées dans l'analyse des moyens, et consulter cependant cour de cass. de Belgique, 23 janvier 1852 (Bull. et Pasic., 1855, p. 7 et 21); 27 avril 1849 (Bull. et Pasic., 1850, p. 108), et cour sup. de justice de Bruxelles, 16 juin 1820 (Jur. de B., 1820, 2, 163; Pasic., à sa date).

(2) Cette décision sur le renvoi paraît en opposition avec ce qui se pratique à la cour de cassation de France. Il est à regretter que les arrêtistes, dans le but d'abréger, omettent de rapporter la partie de l'arrêt relative au renvoi. Cette lacune existe même dans le Bulletin officiel des arrêts de cette cour. On voit cependant (Bull. civil, 1806, p. 410, arrêt du 2 décembre 1806) que cette cour, annulant du chef d'incompétence un arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon comme rendu en contravention au principe sur la séparation des pouvoirs judiciaire et administratif, renvoie les parties à se pourvoir, NON DEVANT UNE AUTRE COUR D'APPEL, mais devant telle autorité administrative qu'il appartiendra.

Au mot Contrariété de jugements, Quest. de droit, § 2, p. 256, de l'édition belge, Merlin s'exprime comme suit :

Lorsqu'une cour s'est mal à propos déclarée, soit compétente, soit incompétente, et que la cour de cassation casse son arrêt, elle ne renvoie pas à une autre cour la question d'incompétence qui a été erronément décidée; elle décide ellemême cette question définitivement, el elle renvoie le fond, mais seulement le fond, devant le tribunal qui doit en connaitre. TEL A TOUJOURS ÉTÉ L'USAGE DE LA COUR DE CASSATION, et il est à remarquer que cet usage est expressément confirmé par l'article 429 du code d'instruction criminelle de 1808. « Si l'arrêt et la procédure, y « est-il dit, sont annulés | our cause d'incompé tence, la cour de cassation renverra le procès devant les juges qui doivent en connaître, et les « désignera. »

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Ainsi, lorsque sur l'appel d'un jugement rendu en dernier ressort par un tribunal de commerce, il intervient un arrêt qui reçoit cet appel, et que la cour de cassation casse cet arrêt, elle ne doit pas renvoyer le fond devant une

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autre cour, elle doit simplement ordonner que le jugement du tribunal de commerce sera exécuté; et c'est précisément ce que lui prescrit le règlement de 1738, part. 2, tit. IV, art. 19. »

Cette opinion de Merlin est consacrée par la jurisprudence de la cour de cassation de France, témoins ses arrêts des 19 juillet 1821 et 2 septembre 1830, rapportés dans la Pasicrisie française, à leur date, et l'arrêt du 4 août 1852. On peut voir ce que dit à ce sujet Dalloz, Nouv. Rép., vo Cassation, no 2555. Il y cite de nombreux exemples d'annulation sans renvoi. Or, si la cour de cassation ne renvoie pas toutes les fois qu'elle reconnaît qu'il n'existe pas de tribunal compétent pour statuer sur le fait ou sur le débat, on ne peut exiger d'elle qu'elle prononce le renvoi devant un juge qu'elle-même proclame incompétent, ce qui, dans l'espèce jugée par la cour de cassation de Belgique, serait arrivé, s'il y avait eu renvoi devant un autre tribunal de première instance.

Mais si, d'après l'article 429, dans sa cinquième disposition, dans le cas d'annulation du chef d'incompétence, y a lieu à renvoi devant le tribunal qui doit connaitre de la difficulté avec obligation de DESIGNER Ce tribunal, cela veut dire clairement que le renvoi se fait devant le juge qui a compétence d'après la loi ; car l'article 429, dans cette disposition, n'est que l'application des principes déjà consacrés par l'article 19 du titre IV du règlement de 1738, par l'article 13 du titre V de ce même règlement. L'article 429, au surplus, ne fait là que reproduire les propres termes des lois diverses qui ont organisé la cour de cassation, et qui toutes répètent qu'en cas d'annulation le renvoi se fait devant le juge qui doit connaître de la contestation, ce qui, évidemment, ne peut s'entendre que d'un juge compétent et proclamé tel par la cour.

Dans l'espèce, il fallait, nous semble-t-il, renvoyer la cause devant un juge de paix d'un canton situé en dehors de l'arrondissement de Hasselt, puisque le tribunal de Hasselt, ayant connu du différend, n'en pouvait plus connaitre en qualité de juge d'appel. A. D.

francs ou telle autre somme à arbitrer ou à dire d'experts, à titre de dommages-intérêts, aux termes de l'article 1383 du code civil, pour les dégâts occasionnés, dans le courant de l'année 1850 au froment croissant sur les deux pièces de terre ci-dessus indiquées, par les lapins qui se trouvent dans le bois de l'assigné, dégâts dont ce dernier a été cause par sa négligence à faire détruire lesdits lapins.

Pour satisfaire à la loi sur la compétence, l'objet de la demande a été évalué à 500 fr. Après un jugement interlocutoire, du 24 mars 1852, et des enquêtes. tant directe que contraire, le tribunal de Hasselt a statué comme suit par jugement du 28 juillet 1852 :

« En ce qui touche le fond:

« Attendu que de tout temps les lapins ont été considérés comme des animaux nuisibles;

« Attendu que l'article 3, § 4, de la loi du 26 février 1846, sur la chasse, conforme à la jurisprudence, dont il n'est que l'appli cation, sauf pour ce qui regarde le montant de l'indemnité, qu'il porte jusqu'au double, rend les propriétaires des terrains sur lesquels les lapins se sont multipliés et ont des abris permanents responsables des dommages qu'ils causent aux terres voisines si ces propriétaires ont négligé de les détruire ou faire détruire;

« Attendu, dans l'espèce, qu'il est établi par la contre-enquête que le défendeur a fait annuellement traquer les lapins et chasser au furet dans son bois de raspe de la contenance de 7 à 8 hectares, sis sous les communes de Kerkom et de Saint-Trond, il en est résulté aussi que par ces traques et chasses il n'a été pris qu'un nombre relativement restreint de lapins; d'où suit que les moyens employés ne peuvent être envisagés comme opérant la destruction de ces animaux nuisibles, et ce d'autant moins que plusieurs témoins des enquêtes affirment que dans le courant des dernières années le nombre des lapins, au lieu de diminuer, s'est augmenté, et notamment depuis que le défendeur a un garde particulier, cirConstance qui, en présence des dégâts dont il sera parlé ci-après, de ceux dont ont déposé les témoins Egide et Arnold Scheers, ainsi que des plaintes générales sur les ravages causés par les lapins, dont a déposé le témoin Demeulen, suffisent pour constituer le défendeur en faute ou négligence pour avoir laissé se multiplier ces quadru pèdes dans son bois où ils ont leurs terriers,

et dont par suite il est réputé le maître, au préjudice de ses voisins; car s'il est vrai que la loi permet à chacun d'user de sa chose comme il lui plaît, ce n'est qu'à condition de n'être nuisible à autrui en aucune manière ;

« Attendu, quant à l'indemnité, qu'il résulte des enquêtes que les deux pièces de terre dont il s'agit, appartenant aux demandeurs, ont été réellement endommagées par les lapins qui, comme il a été remarqué et comme l'indiquaient les passages pratiqués, venaient du bois du défendeur;

« Attendu que ce dommage que les témoins Houbaux, Renson et Strauven ont évalué de 150 à 200 fr., alors que le froment était croissant, n'a pas atteint un chiffre aussi élevé à l'époque de la moisson;

« Attendu que des sept héritiers de feu Gertrude Boden, veuve Pierre Clerinckx, demanderesse originaire, tous intéressés pour des parts égales, six seulement ont repris l'instance et conclu à une indemnité;

«Par ces motifs, le tribunal donne acte aux demandeurs que pour satisfaire à la loi sur la compétence en matière civile, ils évaluent l'objet de la demande à la somme de 500 fr.; déclare fondé le reproche articulé contre le sieur Jean Clerinckx, dix-huitième témoin de la contre-enquête; dit que sa déposition ne sera pas lue, et, statuant au fond, évalue ex æquo et bono le dommage causé à la somme de 50 fr., laquelle, portée au double en vertu du § 4 de l'article 3 de la loi sur la chasse, fait 100 fr.; condamne le défendeur à payer aux demandeurs la somme de 85 fr. 71 cent. et trois septièmes faisant les six septièmes parts réclamées par les demandeurs à titre de réparation leur revenant du dommage causé au froment croissant en 1850, sur 1o une pièce de terre arable de la contenance de 60 ares 4 centiares, sise à Kerkom, joignant Thomas Berwaerts, la cathédrale de Liège et le baron de Chestret; 2o une pièce de terre arable de la contenance d'un hectare 30 ares 80 centiares, sise sous les communes de Kerkom et de Saint-Trond, joignant le chevalier de Menten de Horne, Guillaume Bogaerts et Strauven, appartenant aux demandeurs, par la négligence du défendeur à détruire ou faire détruire les lapins qui se trouvent et ont leur retraite dans sondit bois de raspe, avec intérêts légaux et dépens liquidés à la somme de 156 fr. 86 c., non compris ceux du présent jugement et de sa signification. »

Le baron de Brouckmans faisait valoir

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de l'article 7, § 1er, de la loi du 25 mars 1841, sur la compétence en matière civile, ainsi que des articles 3, § 1er, et 170 du code de procédure civile.

D'après l'article 7, § 1er, de la loi du 25 mars 1841, qui n'est que la reproduction de l'article 10, titre III, de la loi des 16-24 août 1790, c'est le juge de paix qui est compétent pour connaître des actions pour dommages faits, soit par les hommes, soit par les animaux, aux champs, fruits et récolles.

Le sens de cette disposition, interprétée par l'article 3, § 1er, du code de procédure et par la jurisprudence, est celui-ci : si le dommage provient d'animaux dont l'homme est complétement propriétaire, le cas rentre dans l'expression de la loi, dommages faits par les animaux; si le dommage provient d'animaux dont l'homme cesse d'être propriétaire aussitôt qu'ils sont hors de son immeuble, il ne répond que du fait nuisible qu'il a commis par leur moyen ou par sa négligence,et le cas rentre dans l'expression de la même loi, dommages faits par les hommes. La loi de 1841 est donc évidemment applicable à l'espèce. Dès lors la compétence attribuée au juge de paix ratione materic entraînait nécessairement l'incompetence absolue et d'ordre public de tout autre tribunal (cass. de France, 16 mars 1841; S., 1841, 1, 190; Pothier, Proc. civ., 1re part., ch. 2, sect. IV. § 2; Boncenne, introd., ch. 13; Rodière, l. 1er, p. 139; Boitard, sur l'article 170 du code de procédure), et par conséquent le tribunal de Hasselt devait d'office prononcer son incompétence, aux termes de l'article 170 du code de procédure; Pigeau, t. Jer, p. 559; cass. de France, 9 pluviose an x ( Journal du Palais, à sa date).

Le demandeur invoquait la jurisprudence établie sur l'article 10 de la loi des 16-24 août 1790, et citait cour de cass. de France, 18 novembre 1807, 28 janvier et 15 décem bre 1824, 11 et 19 juillet 1826, el 2 janvier 1833. Quant à la doctrine, voir Henrion de Pansey, Aul. jud.. édit. française, p. 226, Comp. des juges de paix, ch. 21; Carré, Lois de la proc., édit. franç., t. 2. p. 291; Vaudoré, t. 2, p. 175; Broche et Goujet, vo Juges de paix. no 89.

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l'homme ou par les animaux dont il est propriétaire, par exemple, les lapins de garenne, et dont il répond, aux termes de l'article 1585 du code civil, indépendamment de toute faute de sa part. Or, il s'agit ici de toute autre chose, il s'agit de dom. mages causés par la faute, par la négligence de l'homme, et l'action est uniquement basée sur l'article 1583 du code civil. Le tribunal de Hasselt n'était donc pas incompétent;

2 En supposant l'incompétence du tribunal de Hasselt, cette incompétence n'était pas absolue ou d'ordre public, et ne devait pas être suppléée d'office par le juge.

Il faut distinguer entre les tribunaux ordinaires et les tribunaux extraordinaires ou d'exception. Les tribunaux ordinaires ont la plénitude de la juridiction si les parties renoncent à demander leur renvoi devant le juge exceptionnel qui est censé établi en leur faveur, ce renvoi ne doit pas être prononcé d'office, parce que l'intérêt privé est seul en jeu, et que partant l'incompétence n'est que relative. Il en est autrement des tribunaux exceptionnels, lesquels doivent d'office déclarer leur incompétence, parce que cette incompétence est radicale et intéresse l'ordre public.

Ces principes étaient admis avant 1790 (voy. Henrion de Pansey, Comp. des juges de paix, ch. 4, Autorité judiciaire, ch. 20 et 21 ). Ont-ils été modifiés par l'article 4, tit. IV, de la loi des 16-24 août 1790, ainsi conçu: « Les juges de district connaîtront

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de toutes les affaires... en toutes matières, excepté seulement celles qui ont été décla«rées ci-dessus être de la compétence des «juges de paix, les affaires de com« merce, etc.? » Henrion de Pansey paraît le croire; mais la loi d'août 1790 n'a pas eu en vue de renverser des principes généralement admis, autrement elle l'aurait dit en termes exprès, elle n'a eu d'autre but que d'établir la ligne de démarcation entre les juridictions ordinaires et extraordinaires. Comprendrait-on que la loi qui permet aux parties (article 7 du code de procédure) de proroger indéfiniment la juridiction des juges de paix en matière personnelle ou mobilière, et même de renoncer au droit d'appel de sa décision, n'eut pas entendu permettre aux parties de déférer aux juges de première instance, qui offrent bien plus de garanties, la connaissance d'une contestation soumise de sa nature au juge de paix? A un autre point de vue encore, le tribunal de Hasselt était tout au moins compétent

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pour connaître de la contestation comme juge d'appel; or, comme l'enseigne Thomine Desmazures, sur l'article 170 du code de procédure, « l'incompétence est encore « relative, et non absolue, quand le tribunal « n'est point compétent de connaître comme juge de première instance, mais qu'il est « compétent de juger sur appel. » Et puisque la loi a voulu qu'en ces matières les parties pussent se contenter d'un seul degré de juridiction (article 7 du code de procédure), serait-il rationnel d'admettre qu'elles pussent se passer du second et non pas du premier? Les mots, incompétent à raison de la matière, de l'article 170 du code de procédure ne doivent pas être pris à la lettre; car toute incompétence n'est pas absolue par cela seul qu'elle procède de la matière ou de l'objet de la contestation; comme le dit un arrêt de Nancy, du 5 juillet 1857 (S., 1838, 2, 466), l'incapacité peut être relative quoique réelle.

Les principes qui attribuent aux tribunaux ordinaires la plénitude de la juridiction se trouvent consacrés par la doctrine et par la jurisprudence (voy. Dalloz, Favard, Bioche et Goujet, Cloes, Benech, Curasson; cass. de Brux., 51 décembre 1816; Jur. de B., 1816, 1, 81; cour sup. de Br., 16 juin 1820; ibid., 1820, 2, 163, et une foule d'arrêts de France; voy. Nouv. Dalloz, vo Comp. civ., Trib. d'arrond., ch. 1er, art. 4, no 215).

Et c'est par application des mêmes principes qu'il a été maintes fois décidé que l'incompétence des tribunaux civils en matière commerciale n'est pas absolue, et que c'est aux parties à demander leur renvoi de ce chef devant le tribunal compétent (voy. Brux., ch. réunies, 28 novembre 1808 et 8 juin 1822; cass. de Belgique, 21 janvier 1835; Jur. de B., 1835, 1, 272).

L'avocat général, dans son avis, a commencé par rappeler que le no 1o de l'article 7 de la loi du 25 mars 1841 reproduit textuellement le n° 1° de l'article 10 du tit. III de la loi des 16-24 août 1790, et pour établir que, sous la généralité des termes dommages faits par les animaux, on a compris les animaux sauvages de leur nature qui n'ont pu causer du dommage que par la négligence de celui qui pouvait les détruire, il

(1) Voy. arrêt de cass. de Belgique du 20 janvier 1835 (Jur. de B., 1835, 1, 272); Dalloz, Comp., no 219. Contrà: Brux., 14 juin 1843; Benech, des Justices de paix, p. 23 et suiv.; ubi

PASIC., 1854. Ire PARTIE.

a fait appel à l'autorité de Benech, Justice de paix, p. 167, de Curasson, t. 1, p. 388; voir Bonjean, Code de la chasse, p. 144, no 134, suppl., p. 102, no 81 et suiv.; cour de cass. de France, 14 novembre 1816 et 22 mars 1837 (S. V., 1837, 1, 298); 2 janvier 1839 (S. V., 1839, 1, 26). Il ajoutait :

L'action, telle qu'elle était intentée, était donc attribuée par la loi à la juridiction du juge de paix; par la somme de 500 francs réclamée à titre de dommages-intérêts, le juge ne pouvait statuer qu'en premier res

sort. Le tribunal civil de l'arrondissement devenait ainsi juge d'appel pour statuer sur cette même action après la décision du juge de paix.

Lorsque d'emblée on portait la contestation devant le tribunal de Hasselt, on saisissait de la contestation pour y statuer en premier et dernier ressort le juge que la loi n'appelait à en connaitre qu'en degré d'appel. Y avait-il pour ce juge incompétence absolue et d'ordre public?

C'est déjà une question fort grave que celle de savoir si l'absence de réclamation par les parties donne aux tribunaux ordinaires le droit de statuer sur une contestation qui appartiendrait à la juridiction exceptionnelle.

Votre jurisprudence est fixée dans le sens de la compétence que vous reconnaissiez au juge ordinaire. Ainsi le juge civil peut connaître d'une affaire commerciale de sa nature (1).

Dans ce système les tribunaux civils de première instance ne seraient pas compétents ratione materiæ pour connaitre d'un litige dévolu à la justice de paix.

La question ne tenant pas alors à l'ordre public, le premier moyen proposé serait non recevable comme n'ayant pas été soumis au juge du fond.

Si la question se présentait avec ces seuls éléments, nous ne ferions aucun effort pour combattre une jurisprudence qui paraît fixée à certains égards; mais la difficulté ne s'offre pas à nous sous ce seul aspect.

Le tribunal civil n'avait pas une incompétence matérielle absolue pour connaître de la nature de l'affaire, cela est vrai, mais

Boncenne, Foucher, Laferrière; Paris, 16 août 1833 (S., 1834, 2, 135). Junge Rodière, t. 1, p. 139; Carou, t. 1, p. 41. Sur la controverse : Dalloz, Nouv, Rép., vo Comp. civ., nes 212 et s.

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il ne pouvait en connaitre que comme juge d'appel.

Or, d'emblée et omisso medio on lui défère un litige dont il juge souverainement en premier et en dernier ressort, cela est-il compatible avec les principes de notre organisation judiciaire?

Et pour vous faire sentir tout d'abord les inconvénients du système qui admet la possibilité de choisir ainsi d'emblée le juge du deuxième degré, que serait-il avenu, dans l'espèce, si, au lieu d'un dommage évalué et apprécié à 500 fr., il se fut agi d'un dommage dépassant 2,000 fr.?

Aurait-on dit alors que le jugement, n'étant rendu qu'en premier ressort, la voie d'appel était ouverte devant la cour d'appel?

Est-il libre aux parties de fouler ainsi aux pieds les règles posées en matière d'organisation judiciaire, et le juge doit-il, parce qu'il aura la plénitude de juridiction, recevoir et subir l'obligation de décider une contestation qui n'entre pas dans ses attributions?

Sans doute le juge ne sera pas dans l'obligation de déférer à la demande des parties, il pourra se refuser à empiéter sur les attributions d'un autre juge, à dépasser la limite de ses propres attributions (cour de cass. de France, 11 mars 1807) (1).

Mais s'il y consent, pourra-t-il dépasser cette limite?

Nous n'admettons pas, nous, que des magistrats puissent, suivant leur libre arbitre, juger ou ne pas juger une contestation qu'on leur soumet. Ils sont liés par la loi, par le but de leur institution. Si l'on dit à un tribunal de première instance, soyez notre juge d'appel contre une décision rendue par un autre tribunal, ce tribunal doit s'abstenir, et n'a pas à user en pareil cas d'une pure faculté; de même si l'on veut saisir un tribunal d'appel d'une question qui n'a pas été vidée en première instance, il doit se refuser à connaitre du litige (voir ici Dalloz, Comp. civ., p. 71, no 227 ). Ce n'est plus là une pure incompétence relative ratione loci vel persona, c'est une incompétence qui dérive de la nature même du tribunal, et nous en dirons bientôt les motifs.

() Voy. Dalloz, Nouv. Rép., vo Degrés de jurid., no 494; ubi cass. de France, 11 février 1819, no 509; ubi Rouen, 9 août 1859; Chauveau sur Carré, quest. 1676, in fine.

Ce n'est plus d'ailleurs le cas de la prorogation de juridiction.

«La seule prorogation possible en matière réelle, dit Curasson, t. 1, p. 75, c'est la renonciation à l'appel du jugement à rendre au possessoire, au moyen de quoi le juge de paix statue souverainement; le même pouvoir ne pourrait être accordé au tribunal supérieur. La juridiction des tribunaux d'appel n'est pas susceptible d'ètre convertie par la prorogation en jugement de premier et de dernier ressort; il n'y a que celle des premiers juges que la loi autorise de proroger de cette manière. »

C'est la théorie qu'appuyait Merlin (2), et sur laquelle nous allons voir bientôt com

bien il insiste.

On ne pourrait conférer à un tribunal de première instance le pouvoir de statuer en degré d'appel sur une matière qui ne lui appartiendrait pas à ce titre (3); on ne peut, par identité de raison, conférer à un juge d'appel la mission de statuer d'emblée en premier et dernier ressort.

Pour nous la question n'est pas nouvelle; nous l'avons discutée théoriquement en 1848, et nous ne pouvons que persister dans notre manière de voir. (Ici l'avocat général donnait lecture de l'article inséré Revue des revues, t. 11, p. 284, et dans lequel, rappelant la controverse entre la section civile et la section des requêtes, il se fondait sur l'autorité de Merlin.)

Depuis, ajoutait-il, la section des requêtes a persisté dans sa jurisprudence. Dalloz, Nouv. Rép., v° Degrés de jurid., p. 235, nos 494 et suiv., cite de nombreux arrêts rendus par cette section de la cour de cassation de France.

Cependant cet auteur, qui ne cite pas l'opinion d'un auteur aussi grave que Merlin, présente, p. 258, nos 509 et 510, des observations dignes d'une attention sérieuse.

Cette supposition que le juge d'appel pourra, suivant son bon plaisir, juger ou refuser de juger, nous paraît une énormité et une déviation à toutes les règles de l'organisation judiciaire. Dans ce système on rencontre l'arbitraire de l'homme au lieu d'une règle précise et immuable tracée par la loi, et les justiciables n'ont plus de guide en qui se fier. Nous pensons, quant à nous,

(2) Voy. Merlin, Rép., vo Prorogation de juridiction, no 2.

(3) Voy. Dalloz, Nouv. Rép., yo Comp. civ., no 224.

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