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caution; et de décider que si le contumax ne se représente pas dans les cinq ans, les effets pécuniaires qu'aura produits sa condamnation seront irrévocables.

M. ROEDERER dit qu'en effet les biens du contumax seront mieux conservés par sa famille que par le fisc; et que d'ailleurs, en accordant la provision à ses parens, on les met en état de lui faire passer des secours.

LE PREMIER CONSUL demande si la femme du contumax pourra se remarier dans les cinq ans.

M. TRONCHET répond que le mariage du condamné n'est pas dissous pendant le délai de cinq ans, parce que l'importance de ce contrat exclut toute provision, et que le nouveau mariage de la femme ne peut être conditionnel : mais ce n'est là qu'une exception commandée par la nature des choses.

M. DEFERMON observe que, puisqu'il y a des exceptions nécessaires, les principes sur la mort civile sont donc susceptibles de modification; que la peine sera modifiée si le condamné se représente dans les cinq ans; qu'ainsi toute la question est de savoir si l'on appellera mort civile l'effet d'une peine qui peut être modifiée.

M. THIBAUDEAU dit que l'idée de faire remonter les effets de la mort civile au jour de l'exécution était une combinaison de fiscalité dans l'ordonnance de 1670. Aujourd'hui que le fisc est sans intérêt, il ne s'agit plus que de décider si les successions qui, pendant les cinq ans, s'ouvriront au profit du condamné, appartiendront à ses enfans ou à des collatéraux.

M. TRONCHET dit que les enfans nés avant la mort civile de leur père les recueilleront de leur chef; que ceux nés depuis n'y peuvent rien prétendre, puisque la loi ne les reconnaît

pas.

M. REGNIER observe qu'il est cependant un cas où la mort civile du père nuit aux enfans s'ils ne viennent plus par représentation; c'est lorsque l'héritier collateral appelé se

trouve au même degré que le condamné. Il est évident qu'il emportera la succession seul et sans le concours des enfans, puisque ceux-ci ne peuvent plus, par représentation, se placer dans le même degré que lui.

M. BOULAY dit que tout se réduit à décider à qui il convient d'accorder la jouissance provisoire pendant les cinq ans. Si on la donne à des héritiers, quelquefois éloignés, qui craindraient de se voir dépouillés par l'absolution du contumax, on lui suscite des adversaires dans sa propre famille, d'autant que l'ancien préjugé ne balancera pas l'intérêt des héritiers. On échappe à cet inconvénient en laissant la jouissance provisoire au fisc.

LE CONSUL CAMBACÉRÈS dit que, pour décider entre les deux systèmes, il faut d'abord les comparer.

On convient, des deux côtés, 1o que la mort civile encourue par un contumax est conditionnelle pendant les cinq ans que la loi lui donne pour purger la contumace; 2° qu'après l'expiration de ce délai, il doit, à la vérité, être encore admis à se constituer en jugement, mais que l'absolution qu'il obtient ne fait plus cesser rétroactivement les effets que sa condamnation a opérés par rapport à ses biens.

On se divise en ce que la section ne regarde le contumax que comme frappé d'interdiction pendant le délai de cinq ans, et ne fait commencer sa mort civile qu'après ce délai, tandis que M. Tronchet, sans s'occuper de l'avenir, et de l'absolution possible du condamné, veut que le jugement produise d'abord tous ses effets par rapport aux biens, sauf la condition résolutoire. Et en effet, il est reconnu en droit que la condamnation à la peine forme l'essence du jugement; que les condamnations pécuniaires ne sont que des accessoires : aussi n'a-t-on jamais anéanti ces accessoires tant que le principal a existé.

Le système de M. Tronchet est le plus naturel; car tout jugement doit recevoir son exécution, à moins qu'elle ne soit différée par des obstacles de droit.

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On objecte que le jugement pouvant être anéanti pendant les cinq ans par la représentation du condamné, il paraît naturel de ne lui donner tous ses effets qu'après l'expiration du délai pendant lequel ils demeurent incertains.

Ce raisonnement est fondé sur la supposition que le contumax se représentera, et prouvera son innocence; mais la présomption est pour le jugement, et l'intérêt de la société réclame un prompt exemple. Il faudrait même, pour être conséquent, surseoir à toute condamnation, rassembler les preuves et attendre jusqu'à l'expiration du délai pendant lequel le contumax peut se représenter, afin de ne pas rendre un jugement dont le sort soit incertain : ce système serait préjudiciable à la société. Le coupable doit donc être jugé par contumace; et s'il est jugé, le jugement doit être exécuté aussitôt.

Le système de M. Tronchet ne rend pas, comme on l'a dit, la propriété incertaine. Les biens du condamné passent à l'instant même à ses héritiers: ses enfans les prennent de leur chef; ils prennent par représentation les successions collatérales qui s'ouvrent au profit de leur père; et l'on ne sait encore si la représentation sera restreinte de manière qu'en aucun cas elle puisse s'arrêter au condamné. S'il se représente et se justifie, il reprend son patrimoine, et ne le trouve pas détérioré par un séquestre, qui est, de toutes les possessions précaires, celle qui dégrade le plus les biens. Mais du moins l'exemple de son exécution par effigie aura produit son effet moral: on doit donc exécuter le jugement, sans s'embarrasser si le condamné se représentera : et cependant le jugement ne serait pas exécuté dans son entier s'il ne l'était sur les biens. La personne est absente; le jugement ne peut l'atteindre, il la frappe par effigie : les biens sont là; on peut les saisir, il faut donc en dépouiller le condamné.

M. PORTALIS observe qu'autrefois, quoiqu'un jugement par contumace eût été exécuté par effigie, le fisc néanmoins ne pouvait se mettre en possession des biens avant les cinq ans.

L'inconséquence qu'on reproche à la section, ajoute-t-il, se rencontre dans tous les systèmes; il n'en est aucun où le jugement par contumace ait exactement les mêmes effets qu'un jugement contradictoire. Indépendamment de la différence qu'on vient d'indiquer par rapport à la confiscation, il y en a encore par rapport au mariage : si le condamné se marie pendant les cinq ans, qu'il se représente dans et soit absous, son mariage est valable. Il y en a par rapport à la réhabilitation: si le condamné meurt dans les cinq ans, il meurt integri statús. L'exécution par effigie n'a donc pas des effets nécessaires sur les biens. Elle est établie pour donner un exemple à la société; mais la société n'a pas d'intérêt à la manière dont la loi dispose du patrimoine du condamné; peu lui importe qu'on intervertisse l'ordre de succéder, ou qu'on lui laisse son cours pendant cinq ans; il n'y a là qu'un intérêt de famille. Or, la condamnation du coupable ne doit pas réfléchir sur ses parens. Puisqu'on est forcé de s'écarter en tant de choses de l'exécution complète du jugement par contumace, pourquoi l'établirait-t-on dans le seul point où la société est sans intérêt? pourquoi plus favoriser l'âpreté des héritiers qu'on ne favoriserait celle du fisc? Il y aurait encore moins de pudeur de leur part à s'emparer avec précipitation des dépouilles de leur parent.

Tout se réduit donc à savoir si on laissera subsister pendant cinq ans l'ordre naturel des successions.

On doute si le condamné se représentera : la présomption est en sa faveur. C'est par la faveur de cette présomption que l'ordonnance de Moulins a porté à cinq ans le délai qui, avant, n'était que d'une année.

LE PREMIER CONSUL met aux voix les deux systèmes.

LE CONSEIL adopte celui de M. Tronchet.

(Procès-verbal de la séance du 24 thermidor an IX. -12 août 1801.)

M. ROEDERER fait lecture du rapport (a) que, dans la séance du 6 thermidor, le Premier Consul l'avait chargé de rédiger

(a) Texte de ce Rapport.

NOTIONS ET FAITS PRÉLIMINAIRES.

L'origine du droit d'aubaine, et autres droits de même nature, est, dans cet esprit jaloux, inquiet et farouche, qui gouverne tous les peuples dont la civilisation u'a ni éclairé l'administra tion, ni adouci les mœurs.

Les Scythes mangeaient les étrangers. Les Barbares qui fondèrent Rome confondirent l'etranger avec l'ennemi Peregrinus, dit Ciceron, antea dictus hostis. La plupart des républiques de la Grece, ne manquèrent pas de traiter en ennemi l'habitant de la république voisine.

La feodalité ayant divisé la France en une multitude de souverainetés ennemies, l'homme qui, du temps de saint Louis, passait du diocèse où il était dans un autre, était réputé aubain ( alibi natus, condamné à l'amende s'il ne reconnaissait le seigneur dans l'an et jour; ses neubles étaient confisqués s'il mourait, et l'étranger était exclu de la succession de tout sujet du seigneur. Vers le temps de Philippe-le-Bel, le droit d'aubaine entre divers seigneurs tomba; et ils n'en conserverent que le droit de succéder au sujet à l'exclusion de l'étranger. Vers le milieu du douzième siecle, le droit d'aubaine fut établi par la Frauce contre l'Angleterre : par représailies, Edouard 11f se hâta de défendre aux Français d'habiter l'Angleterre, sous peine de la vie. L'aubaine fut ensuite établie entre la France et d'autres nations. Vers le quatorzième siècle, ces rigueurs s'adoucireut; les étrangers furent déclarés capables en France des actes du droit des gens, tels qu'acquérir et posséder, mais nou des actes du droit civil, tels qu'hériter, tester. On mit en principe que l'étran ger vivait libre en France, et mourait serf.

Au quinzième siècle, la France abolit le droit d'aubaine pour les étrangers qui fréquenteraient certaines foires. Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, en accordérent l'exemption aux entrepreneurs et ouvriers de diverses manufactures, à des entrepreneurs de desséchemens de marais, à des marins, etc. Enfin, sous les régues de Louis XV et Louis XVI, la plupart des puissances de l'Europe couvinrent avec la France, les unes de l'abolition totale et réciproque de l'aubaine, les autres avec réserve réciproque d'un droit de dix pour cent sur les successions, sous le titre de droit de détrac tion. Une multitude de traités furent conclus à cet effet.

Le droit d'aubaiue ne subsistait plus qu'à l'égard d'un petit nombre d'États, lorsque l'Assemblée constituante, par un décret du 6 août 1790, abolit, et POUR TOUJOURS, le droit d'aubaine et celui de detraction, sans aucune condition de réciproci.é.

Mais les droits d'aubaine we regardaient que la succession des étrangers morts en France, et les trailés et les décrets du 6 août 1790 n'abolissaient que ce droit. Or, l'usage existait toujours en France de succéder aux Français qui ne laissaient que des héritiers étrangers, comme, chez les étrangers, de succéder aux sujets de l'Etat qui ne laissaient que des héritiers français. L'art. 3 du décret du 8 avril 1791 a aboli cet autre droit en faveur des héritiers étrangers, sans condition de réciprocité. « Les étrangers, porte la loi, quoique établis hors du royaume, seront capables de re⚫cueillir en France les successions de leurs parens, même Français. ■

Pour bien saisir la question qui s'élève aujourd'hui, il faut fixer son attention sur les effets de la double abolition prononcée par l'Assemblée constituante.

ÉTAT DE LA QUESTION.

1o. En vertu du décret du 6 août 1790, qui abolit sans réciprocité le droit d'aubaine, la Suède, la Prusse, et d'autres Etats qui, comme ceux là, u'ont pas fait de traité pour son abolition, pour raient hériter de tous les biens immeubles d'un Français situés en Suède; et la France laisserait la Suède recueillir en France les immeubles laissés par un Suédois décédé en France.

3°. En vertu de l'abolition gratuite du droit de détraction, les Français qui auraient à recueillir à Hambourg la succession d'un Français en laisseraient dix pour cent au trésor public de Hambourg, tandis que des héritiers hambourgeois viendraient recueillir en entier la succession de leur compatriote mort en France.

3o. En vertu du décret du 8 avril 1791, qui abolit sans réciprocité le droit qu'avait la France de succeder au Français mort saus héritier républicole, des Français ne pourraient aller recueillir la succession de leur parent sujet d'aucun Etat étranger, même de ceux qui ont aboli le droit d'aubaine; tandis que tout étranger appelé par les droits du sang à hériter dun Français peut ou recueillir en entier sa succession, ou la partager avec des co-héritiers français.

En deux mots, depuis le mois d'août 1790, et le mois d'avril 1791,

Tout étranger, sans habiter la France, peut recueillir en France la totalité d'une succession à lui laissée en France, soit par un étranger, soit par un Français, soit que l'Etat auquel cet étranger appartient fasse jouir, ou non, les Français de la réciprocité.

Maintenant les rédacteurs du projet de Code civil proposent de changer cet ordre de choses ; ils proposent d'insérer dans le Code civil l'une ou l'autre de ces deux dispositions:

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