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transmettre à des hommes qui n'appartenaient pas à son nouveau maître ce qu'il aurait pu acquérir sous son autorité.

Alors l'homme et la terre étaient une seule et même chose,

et l'un se confondait dans la nature de l'autre.

Alors il n'y avait de rapports qu'entre l'esclave et le maître: l'un protégeait, l'autre obéissait, et tout le droit était renfermé dans cette double obligation.

Il n'y avait point de droit des gens.

Cette puissance indépendante de toutes les autres, dont l'effet est de ne former qu'un seul peuple de tous les peuples, de rattacher les hommes entre eux par les liens de l'intérêt particulier, pour les réunir ensuite ensemble dans ceux d'un intérêt général, le commerce n'existait pas; et la politique, formée du nouvel ordre de choses amené par son influence, ne pouvait être consultée. L'existence du droit d'aubaine était conséquente à ce qui était....

Bientôt les communes s'établirent, et leur affranchissement créa de nouveaux rapports entre elles et entre leurs divers habitans: ces rapports furent réglés par les lois; de là l'extension de la législation civile et la création de celle du droit des gens. Mais ces actes législatifs se sentirent longtemps de la barbarie de ceux qui les avaient précédés; les mêmes principes s'y retrouvèrent, et l'autorité royale, fortifiée par les progrès de la raison et de la liberté, se conduisit envers les nations étrangères comme s'étaient conduits envers leurs sujets respectifs les divers seigneurs qui avaient trop long-temps régné au lieu d'elle; les confiscations et les déshérences furent consacrées par leur droit des gens; on maintint et on fortifia les barrières élevées entre les peuples; on ne s'attacha qu'à repousser loin de soi ceux qui voulaient apporter de l'industrie, de la richesse ou des lumières. Le roi de France établit le droit d'aubaine par rapport aux sujets du roi d'Angleterre, c'est-à-dire la confiscation des héritages qu'ils pouvaient laisser; et, par une réciprocité digne de ce temps, Édouard III défendit aux Français, sous peine de

mort, de venir habiter l'Angleterre. Enfin, les progrès de la raison et de la connaissance des véritables intérêts des peuples amenèrent l'adoucissement de ces impolitiques rigueurs.

On avait aboli presque partout le droit de naufrage, longtemps consacré par la législation de l'Europe, et qui confisquait les hommes et les choses jetés par la tempête sur le rivage; on modifia celui d'aubaine, qui avait une origine et des principes communs, et que frappe du même anathème notre immortel Montesquieu.

En continuant à défendre aux étrangers de tester et d'hériter en France, on leur permit d'y acquérir et d'y posséder ; ensuite on traita avec quelques puissances, et on arrêta res— pectivement sur le pied de dix pour cent la retenue qu'on ferait sur les héritages qui seraient recueillis par leurs sujets : ce droit s'appela détraction. On convint de l'abolition de ce droit par rapport à quelques autres Etats; on l'abolit même tout-à-fait, mais par des actes législatifs et alors sans réciprocité, pour tous les étrangers, de quelque nation qu'ils fussent, qui viendraient fréquenter nos foires, travailler à quelques-unes de nos manufactures privilégiées, telles que celles de Beauvais et des Gobelins, ou s'établir dans celles de nos villes, telles Marseille et Dunkerque, que dont on voulait plus particulièrement favoriser le commerce, où enfin former des établissemens utiles, tels que des desséchemens de marais ou des creusemens de canaux.

Ainsi, d'une part, on sentait que le progrès de quelques manufactures, que le succès de quelques foires, que la création et la splendeur du commerce de quelques villes, que l'amélioration de l'agriculture, pouvaient exiger non seulement la modification du droit d'aubaine, mais encore son abolition absolue; et cependant, par une contradiction étrange, on le laissait subsister en principe et généralement, pour ne le supprimer que par exception.

On convenait que Marseille et Dunkerque deviendraient plus florissantes par l'abolition du droit d'aubaine on y ap

pelait tous les étrangers, leurs capitaux et leur industrie; et cependant par la conservation du droit d'aubaine on repoussait ces mêmes étrangers de Bordeaux, de Nantes, de Lyon, de Nimes, de la Rochelle, et généralement de tout le reste de la France, sans reconnaître, comme l'a dit un célèbre écrivain politique, que si l'affranchissement du droit d'aubaine est utile pour faire fleurir tel ou tel objet, il l'est généralement et en toutes circonstances pour tout le royaume.

Enfin, l'Assemblée constituante, pénétrée de cette dernière vérité, adopta des principes uniformes; et, sans attendre l'effet des traités qu'elle aurait pu charger le pouvoir exécutif de négocier à ce sujet, elle abolit à l'unanimité tout droit d'aubaine envers tous les peuples, et sans qu'aucune réciprocité fût nécessaire.

C'est à cette loi solennelle, avouée par la justice et par la politique, dictée par la connaissance véritable de l'intérêt national, qu'on vous propose d'en substituer une qui doit en détruire tout l'effet, ou le faire dépendre du sort des négociations et du résultat des traités. Mais, si l'abolition du droit d'aubaine est avantageuse, s'il importe à la France d'appeler dans son sein de nouveaux habitans, des hommes riches et industrieux, et conséquemment de lever les obstacles qui s'opposent à leur admission, faut-il attendre, pour prononcer cette abolition, pour lever ces obstacles, que les autres puissances aient senti que leur intérêt leur commande la même mesure? Faut-il surtout faire dépendre cette mesure de l'intérêt des autres puissances?

Le projet de loi porte que les étrangers jouiront en France des mémes droits dont les Français jouiront chez les autres peuples.

Je sais bien qu'au premier coup-d'œil cette réciprocité paraît politique et juste; mais que l'on veuille bien réfléchir sur ses effets, et l'on cessera de le

penser.....

D'abord, ce n'est pas l'admission des Français chez l'étranger pour s'y établir, pour y acquérir des propriétés, pour

Vil.

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y porter leur industrie et leur commerce, qu'il est de notre intérêt de favoriser; il suffit à la justice et à la raison de ne pas leur défendre d'user du droit qu'a tout homme de se transporter où il veut, sans qu'il faille s'attacher beaucoup à leur faciliter les moyens d'en user; il suffit à l'intérêt et à l'honneur national que les Français puissent voyager librement chez les autres peuples, y négocier, y former des correspondances, s'y éclairer par la société des hommes habiles qui en font partie, y recueillir quelques-uns des secrets de l'industrie nationale, y posséder, si l'on veut, des richesses mobilières; et la conservation du droit d'aubaine, par rapport à nous, ne les en empêche point; mais il n'est pas à désirer qu'ils y soient assez bien traités, assez favorisés par les lois du pays pour qu'il puisse leur être agréable de s'y domicilier tout-à-fait, pour qu'y trouvant une nouvellę patrie plus précieuse pour eux que l'ancienne, ils s'y établissent sans esprit de retour; et il ne faut pas sacrifier les avantages que peut nous procurer l'abolition de tout droit d'aubaine envers les étrangers, à une réciprocité qui, peut-être, dans plusieurs circonstances, nous serait plus nuisible qu'utile.

Ce qui importe essentiellement à la prospérité de la France, c'est d'appeler dans son sein beaucoup d'étrangers riches; mais le même motif qui nous engage à le faire, doit engager aussi les gouvernemens auxquels ils appartiennent à s'efforcer de les retenir; et ne leur en donne-t-on pas les moyens, en faisant dépendre l'accueil qu'on leur fera, de celui que nos concitoyens recevront d'eux?

Des exemples rendront cette proposition plus frappante. Voyez l'Angleterre, qui est peut-être celle de toutes les nations dont il nous importe le plus et dont il nous est le plus facile d'attirer chez nous les sujets; or, croit-on que cette puissance ne soit pas plus lésée par l'établissement des Anglais chez nous, que favorisée par celui des Français sur son territoire? Et alors peut-on concevoir qu'elle consente à donner à ceux-ci des avantages qui, rendus par nous à ceux-là,

ne tendraient qu'à les appeler en plus grand nombre parmi nous?

L'Angleterre n'a pas besoin d'accroître sa population aux dépens de la nôtre; la découverte ou l'application d'une nouvelle machine vaut mieux pour elle que l'arrivée de mille Français; elle n'a pas besoin de nos capitaux ; son crédit, qui est aussi une machine industrielle, lui en fournit tant qu'elle en veut, et vous voyez que, pour qu'ils arrivent plus vite, elle abolit tous droits d'aubaine pour les intérêts de sa dette, sans s'embarrasser de la réciprocité; elle ne désire point que les étrangers viennent acheter ses terres, elle n'en a pas de reste; enfin, elle ne nous appelle pas pour perfectionner son industrie et améliorer son commerce; ses vœux sont remplis à cet égard.

Mais ce qu'elle craint, ce qu'elle doit craindre, c'est que ses riches capitalistes ne viennent acheter nos nombreuses et si agréables propriétés territoriales, ne nous apportent quelques-unes de ses belles inventions, ne nous enrichissent de ses trésors; qu'ils ne sortent de son climat ténébreux et humide, pour s'établir sous le ciel si pur de notre midi; qu'ils ne viennent consommer nos excellentes productions, et dépenser, au milieu de nos fêtes et de nos plaisirs, les revenus de leurs capitaux... Et pour que cela n'arrive point, fera-t-elle un bill contre l'émigration? il ne serait peut-être pas exécuté. Mais si la loi qui nous est proposée est admise, elle rendra plus dures encore ses lois contre les étrangers, pour qu'à son exemple, et par réciprocité, nous nous hâtions de repousser ses sujets et de remplir ses intentions (a).

(a) La réciprocité qu'on veut stipuler ne peut amener aucun changement dans les lois de l'Angleterre par rapport aux étrangers; car, outre qu'elles sont, ainsi que je l'ai dit, commandées par l'intérêt national, elles sont constitutionnelles. Il faut donc considérer, avant d'adopter une mesure politique à cet égard, non ce que les Anglais devraient faire par rapport à nous, mais ee qu'il est de notre intérêt de faire par rapport à eux. Voici, au surplus, l'état actuel de leur législation sur ce point.

Le simple étranger (Alien), quoique susceptible de posséder, d'hériter et de léguer des biensmeubles, ne peut ni hériter ni acheter des biens-fonds. Le régnicole (Denizen), naturalisé par le roi, peut acheter des bicus-fonds et les transmettre à des héritiers capables d'y succéder. Mais il n'y a que celui qui a été naturalisé par un acte du parlement, qui puisse être héritier de terres.

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