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y être encouragée par l'intérêt personnel. De là la nécessité, non pas de laisser à la police du lieu le pouvoir de rendre à quelques condamnés les droits civils, mais de les laisser indistinctement à tous comme le véhicule le plus puissant de l'amour du travail, et du commencement d'une vie louable et régulière; de là la nécessité encore de laisser tirer aux déportés des moyens pécuniaires de France pour les aider dans le développement de leur industrie coloniale; de là la nécessité, je ne dis pas simplement de leur permettre, mais presque de contraindre à se marier ceux qui ne le sont pas : car c'est ainsi qu'on fonde l'esprit et les mœurs de famille. Et à cet égard le fondateur de Botani-Bay, témoin pendant la traversée, de toutes les tentatives de débauches qui le forçaient à redoubler de surveillance et de sévérité envers ses condamnés, était convaincu que, libres et non mariés dans la colonie, ils offriraient, avec des femmes déjà débauchées, le spectacle le plus dégoûtant que puissent produire la misère, le libertinage, et les mauvaises mœurs quand elles ne sont tempérées par aucun supplément légitime et régulier : aussi ne voulut-il pas que quinze jours se passassent sans que le mariage de tous ne fût formé.

Le projet, sur tous ces points est contraire à ces premières idées morales et de nécessité; il est contraire aux progrès de l'industrie coloniale, puisque les droits civils des colons, c'est-à-dire l'avantage de travailler pour soi, n'y sera pas une règle, mais une exception (a); il Ꭹ est contraire sous cet autre rapport, qu'il prive les condamnés des avantages personnels et pécuniaires qu'ils pourraient employer au développement de leur industrie, puisqu'en les faisant mourir civilement il les dépouille en France de tout ce qu'ils y pos

(a; Il paraît que ces mots, pourra reprendre l'exercice de ses droits civils, au lieu de sa déportafion, qu'on trouve dans l'art. 36, ont leur fondement dans cette observation, écrite à la page 106 de la discussion du Conseil d'État ( 105 de ce volume) : « Il est juste et politique de rendre la vie • civile, et de donner l'état de colon au déporté qui mérite cette faveur par une conduite sage << et laborieuse. »-Evidemment c'est là une exception. On ajoute qu'il serait dangereux de donner en général aux déportés les moyens d'acquérir.

VII.

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sédaient; il Ꭹ est contraire en ce que, dissolvant leur mariage, il les prive du moyen le plus légitime, le plus naturel, de fonder les mœurs et l'esprit de famille sur un premier mariage subsistant; et de plus, si dans la colonie, il ne rend aux condamnés les droits civils que par exception, le plus grand nombre vivra dans la dissolution et dans la débauche (a).

En résumant ce qui précède,

Vous avez remarqué, sur la première section du second titre, deux observations principales.

La première est de savoir si les Français qui veulent recouvrer leur qualité en rentrant en France ne le pourront qu'en obtenant l'autorisation du gouvernement.

La seconde, si cette autorisation, si la déclaration de rentrée ne doivent pas être constatées par des actes invariables et authentiques de l'état civil.

Sur la seconde section,

Par la comparaison des dispositions du projet avec la loi actuelle, le Code pénal, vous avez vu le contraste frappant qui résulte de la complication de l'un et de la simplicité de l'autre.

Vous avez vu que la mort civile était une expression figurée qui, de tout temps, a dit plus qu'elle ne voulait dire; qu'elle est la source et la justification des confiscations judiciaires, comme sa comparaison avec la mort naturelle est la source de toutes les erreurs qui la suivent.

Le projet, au surplus, n'est pas tolérable quant à la disposition qui dissout le mariage pendant la vie du condamné et malgré les deux époux.

Il introduit dans notre Code civil la confiscation, que nos lois criminelles ont abolie.

(a) On trouve à la page 105 de la discussion du Conseil d'État (105 de ce volume) ce fait, que le gouvernement anglais ne rend les droits civils à ses déportés qu'avec beaucoup de circonspection; on ajoute qu'il n'y en a même qu'un seul exemple qu'on cite : comment concilier cette assertion avec ce fait indubitable, que les premiers déportés ont été mariés dans les quinze pre miers jours? Le mariage, selon le projet, est un acte du droit civil.

Il l'introduit précisément dans le cas où notre ancien droit français la repoussait.

Il compromet l'état des enfans légitimes et les droits des familles.

Enfin, la déportation qu'il prémédite appelle toutes les réflexions, toutes les lumières, non seulement avant de l'autoriser, mais encore pour apprécier l'influence qu'auraient les principes du projet sur la déportation, considérée sous les deux rapports de peine publique, et d'établissement politique.

Votre commission, composée des tribuns Boisjolin, Boissy d'Anglas, Caillemer, Chabot (de l'Allier), Siméon, Roujoux, et du rapporteur, vous propose, à la majorité, de voter le rejet du projet.

La discussion s'ouvrit au Tribunat le 29 frimaire an X -- 20 décembre 1801. On entendit, dans cette même séance, l'opinion du tribun Delpierre, pour le projet; celle de Boissy-d'Anglas, contre; et celle de Grenier, sur: dans la séance du 1er nivose-22 décembre, l'opinion de Ganilh, contre; et celle de Roujoux, pour: dans la séance du 2, l'opinion de Gillet (de Seine-et-Oise), contre : dans celle du 3, l'opinion de Ludot, pour; celle du tribun Chazal, contre; et celle de Carion-Nisas, pour; dans la séance du 4, l'opinion de Sedillez, pour: dans celle du 5, l'opinion de Malherbe, contre: dans celle du 8, l'opinion de Curée, pour: dans celle du 9, l'opinion de Faure, contre; celle de Huguet, pour; et celle de Saint-Aubin, contre: et enfin, dans la séance du 11, on entendit l'opinion de Mallarmé, pour; celle de Chénier, contre; celle de Mouricault, pour; et celle de Mathieu, contre.

OPINION DU TRIBUN DELPIERRE,

POUR LE PROJET.

Tribuns, il y a deux manières principales d'envisager une loi. L'une consiste à s'élever jusqu'à la pensée du législateur, à pénétrer l'esprit de son système, à découvrir le but qu'il a voulu atteindre, et à juger ensuite les détails de son ouvrage à la clarté de ces observations premières.

Par l'autre, le critique établit un projet qui lui appartient, à côté du plan qu'on lui présente; et dans les censures auxquelles son imagination préoccupée s'abandonne, il est aisé d'apercevoir que ce sont ses propres idées qu'il encense.

En matière de législation positive, on peut, avec l'apparence de la sagesse, inventer et proposer des systèmes de toute nature. La multitude et la diversité des conceptions qui sont relatives au régime intérieur des États tiennent à la différence des esprits et des lumières; et il faut convenir aussi que les sociétés peuvent marcher et prospérer sur des plans différens. Mais enfin, au milieu des opinions qui se combattent et s'excluent, il faut s'arrêter à un choix; il le faut, surtout, lorsque la voix publique nous conjure de l'entendre et d'avancer. Il me semble que ce que l'intérêt bien entendu de la République demande, ce qu'il est du devoir du Tribunat d'examiner, ce n'est pas s'il y a d'autres projets qu'on puisse opposer à celui que nous discutons; si les jurisconsultes, les publicistes et les philosophes ont des idées qui ne s'y trouvent pas; mais bien si, tel qu'il est, et dans le corps de doctrine qu'il présente, il contient les élémens de l'ordre, de la splendeur, et de la consolidation de la République je le considérerai donc en lui-même, de la hauteur d'où il doit être vu; et si j'y découvre ces principes féconds, je m'empresserai de l'accueillir, sans m'inquiéter de savoir, et sans vous fatiguer en recherchant s'il en est d'autres qui, par d'autres directions, pourraient conduire à des résultats plus ou moins prospères.

Le projet que nous avons à examiner est intitulé: de la tit. er, Jouissance et de la Privation des droits civils. Les premières questions qui naissent de la nature de ce titre sont celles-ci: Quelles sont les personnes qui doivent jouir en France des droits civils ? Dans quels cas les personnes qui auront participé à la jouissance de ces droits en seront-elles privées? Votre commission a trouvé que l'examen de ces deux questions principales, et de leurs accessoires, serait un trop pesant fardeau pour un seul de ses membres; elle a distribué cette tâche entre deux. Vous soutiendrez donc de votre indulgence ceux qui, n'ayant eu que leurs forces individuelles, ont été obligés de la prendre sur eux toute entière.

Les républiques anciennes avaient pour système de ne communiquer que très-rarement les droits de cité aux étrangers. Leur but, en s'isolant du reste du monde, était de préserver leurs institutions de toute influence extérieure, d'enflammer l'orgueil des citoyens, et de porter jusqu'au fanatisme, dans leur âme altière, l'amour de la terre natale et de la patrie. L'exaltation et l'irascibilité de ces affections puissantes, devenaient, entre leurs mains, un ressort irrésistible qui leur servait à étendre leur domination, bien plus qu'à garder leur indépendance, à perpétuer le fléau des guerres injustes, bien plus qu'à l'étouffer. Mais aujourd'hui, que le commerce a changé la face du globe, que la paix est nécessaire à son existence, que les armes sont moins un instrument de conquête qu'un moyen de conservation; que les nations demandent à vivre des fruits de leurs travaux et de leur sol, et non de guerres de pirates et de rapines périodiques, les principes qui tendent à rapprocher les peuples, doivent, en général, obtenir la préférence sur ceux qui tendent à les assujétir les uns aux autres, ou à élever entre eux d'éternelles barrières. Il convient surtout de les adopter, aux nations qui ont besoin d'exporter annuellement la surabondance de leurs productions territoriales et manufacturières, parce qu'ils ouvrent des débouchés à leur commerce, et des alimens à

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