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en me permettant de la choisir à Chavaniac sur ma parole et la responsabilité de la municipalité de mon village. Si vous voulez me servir, vous aurez la satisfaction d'avoir fait une bonne action en adoucissant le sort d'une personne injustement persécutée et qui, vous le savez, n'a pas plus de moyens que d'envie de nuire.

Je consens à vous devoir ce service.

DE MADAME DE LAFAYETTE

A M. BRISSOT.

Au Puy, 4 octobre 1792, veille de mon départ pour Chavaniac.

Je ne devrais plus vous écrire, Monsieur, après l'usage que vous faites de mes lettres *; mais les sentiments de révolte qu'avaient fait naître dans mon âme, et mon injuste captivité, et surtout la

* La lettre précédente avait été communiquée par M. Brissot à M. Roland, qui écrivit lui-même la réponse en termes fort injurieux, tout en accordant à madame de Lafayette la permission de retourner à Chavaniac, prisonnière sur sa parole. Il est juste d'ajouter que M. Roland, revenu de son premier entraînement d'esprit de parti, eut occasion de contribuer à une sorte de liberté provisoire qu'obtint madame de Lafayette, jusqu'au moment où on l'arrêta pour la seconde fois au mois d'octobre 1793.

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dure obligation de m'adresser aux ennemis de ce que j'aime, ceux mêmes que les calomnies rebattues que M. Roland m'a adressées n'ont pu manquer d'exciter dans mon cœur, sont surpassés depuis les nouvelles d'hier par le sentiment de mes alarmes et de ma vive douleur de la captivité bien plus affreuse de celui qui mérite bien plus que moi d'être libre. Ne vous attendez donc plus à trouver dans mes expressions ni amertume, ni même la fierté de l'innocence opprimée. Je plaiderai ma cause avec l'unique désir de la gagner; j'ai déjà écrit à M. Roland par le dernier courrier. Je venais de lire dans votre gazette, la seule où je trouve des nouvelles de mon mari, qu'on le séparait de MM. de Maubourg et de Pusy, et qu'on le transférait à Spandau. Son malheur, les risques de sa santé, tout ce que je crains encore... Ce que j'ignore, tous ces maux à la fois ne sont pas réellement supportables pour moi, fixée loin de lui. Et lorsque je pense quels services peuvent rendre à la patrie toutes les tortures de mon cœur, je ne puis croire qu'on persévère à me lier par les chaînes les plus pesantes sur une parole que j'ai offerte peut-être trop légèrement, mais qui est le prix de l'adoucissement que l'on accorde à ma prison, et la crainte d'exposer les administrations responsables, lien non moins sacré pour moi. En vérité, Monsieur, c'est mettre beaucoup trop d'importance à ma personne, et beaucoup trop peu à une vexation, que de continuer à me retenir.

Après tout ce que votre crédit a fait, après tout ce que vous osez depuis quelque temps avec courage contre une faction meurtrière, je ne puis croire que vous ne puissiez et ne vouliez obtenir du comité la révocation entière de son arrêté. Il fut pris à une époque où il craignait que l'opinion de M. Lafayette pût soutenir encore quelques citoyens dans la fidélité à la constitution. Je ne puis croire que vous n'obteniez pas que l'ordre de M. Roland, qui ne s'appuie que sur cet arrêté, soit aussi révoqué, et que ma liberté me soit rendue tout entière. Il est impossible qu'un certificat de résidence dans les fers des ennemis pour s'être dévoué à la cause de la liberté, ne vaille pas à la femme de M. Lafayette les mêmes avantages que vaudrait à celle d'un artiste le certificat qui répondrait qu'il voyage pour s'instruire de son art. Je ne parlerai pas de la barbarie qu'il y a en général à garder les femmes comme ôtages; mais je dirai qu'il est dans l'impuissance absolue de nuire ou de servir aucune cause. Souffrez que je le répète : il a fallu l'y réduire, pour qu'il ne servit plus la cause de la liberté !

J'avoue, Monsieur, que je ne pourrai jamais croire que celui qui poursuit, depuis tant d'années, l'abolition de l'esclavage des noirs, puisse refuser d'employer son éloquence pour délivrer d'esclavage une femme qui ne demande d'autre liberté que celle d'aller s'enfermer dans les murs ou au moins autour des murs de la citadelle de

dure obligation de m'adresser aux ennemis de ce que j'aime, ceux mêmes que les calomnies rebattues que M. Roland m'a adressées n'ont pu manquer d'exciter dans mon cœur, sont surpassés depuis les nouvelles d'hier par le sentiment de mes alarmes et de ma vive douleur de la captivité bien plus affreuse de celui qui mérite bien plus que moi d'être libre. Ne vous attendez donc plus à trouver dans mes expressions ni amertume, ni même la fierté de l'innocence opprimée. Je plaiderai ma cause avec l'unique désir de la gagner; j'ai déjà écrit à M. Roland par le dernier courrier. Je venais de lire dans votre gazette, la seule où je trouve des nouvelles de mon mari, qu'on le séparait de MM. de Maubourg et de Pusy, et qu'on le transférait à Spandau. Son malheur, les risques de sa santé, tout ce que je crains encore... Ce que j'ignore, tous ces maux à la fois ne sont pas réellement supportables pour moi, fixée loin de lui. Et lorsque je pense quels services peuvent rendre à la patrie toutes les tortures de mon cœur, je ne puis croire qu'on persévère à me lier par les chaînes les plus pesantes sur une parole que j'ai offerte peut-être trop légèrement, mais qui est le prix de l'adoucissement que l'on accorde à ma prison, et la crainte d'exposer les administrations responsables, lien non moins sacré pour moi. En vérité, Monsieur, c'est mettre beaucoup trop d'importance à ma personne, et beaucoup trop peu à une vexation, que de continuer à me retenir.

I*.

EXTRAIT D'UN RAPPORT DE M. DELESSART AU ROI.

Vendredi à 5 heures du matin. (Mars 1792.)

Je me suis rendu ce soir entre dix et onze heures chez le ministre de la justice, comme j'avais eu l'honneur d'en prévenir le roi. J'y ai trouvé non-seulement M. de Bertrand et M. Tarbé, mais aussi M. Cahier. Presque aussitôt est arrivé M. de Lafayette. Il nous a dit qu'il aurait souhaité pouvoir concilier les ministres; que cela lui avait toujours paru très-difficile, attendu l'opposition subsistante entre M. de Narbonne et M. de Bertrand; mais qu'aujourd'hui, au point où les choses étaient portées, il ne pouvait plus s'en mêler. Il s'est fondé sur la publicité donnée aux lettres des généraux, et surtout la réponse que lui avait faite M. de Narbonne, et il a déclaré qu'il n'avait aucune part à cette publicité, qu'il n'y avait point donné son consentement, et qu'il n'en avait été instruit que par la lecture même du journal. Après cette explication, qui a été froide et courte, il s'est retiré...

* Voy. la pag. 45 de ce vol.

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