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J'avoue, comme je le disais au commandant de Namur, que les injustices des gouvernements arbitraires me touchent moins que celles du peuple. Il me paraît tout simple d'être vexé et maltraité icr, et si la coalition des puissances étrangères me persécute, j'attribuerai cet acharnement à des souvenirs dont je me fais gloire. Je crois qu'il est impolitique à la cour de Vienne, de violer le droit des gens envers nous qui nous sommes montrés si opposés au jacobinisme dont elle se plaint, et auxquels elle ne peut reprocher que l'amour de la liberté et la fidélité à la constitution dont elle a déclaré qu'elle n'était pas ennemie. Au reste, sans savoir encore si ce sera la politique ou la passion qui décidera de notre sort, je suis plus à ma place sous une persécution méritée par mes sentiments populaires que sous l'injustice du peuple envers son plus fidèle ami.

Si je recouvre ma liberté, je passerai dans un village d'Angleterre, parce que je ne puis m'arracher à l'intérêt que m'inspire ma patrie; mais dans le cas où le despotisme et l'aristocratie d'une part, et de l'autre les factions ou la désorganisation me feraient perdre l'espoir de la voir libre, je redeviendrai uniquement Américain, et retrouvant sur cette heureuse terre un peuple éclairé, ami de la liberté, observateur des lois, reconnaissant pour le bonheur que j'ai eu de lui être utile, je raconterai à mon respectable ami Washington, à tous mes autres compagnons de révolution, comment celle de

France a été, malgré moi, souillée de crimes, traversée par des intrigants et détruite par la corruption et l'ignorance devenues les instruments des plus viles passions.

Ce 26....

Notre situation n'est pas embellie depuis hier au soir. On nous avait demandé notre parole comme à des prisonniers de guerre; j'ai répondu que je ne coopérerais pas à une injustice par mon assentiment, qu'on n'avait pas le droit de nous retenir. Cette nuit le major commandant notre garde a mis des sentinelles à ma porte et à celles de mes compagnons. Quoi qu'il en soit, vous savez que votre ami ne fera rien qui ne soit digne d'un homme libre, incapable de se courber sous aucun joug illégitime. C'est au moins une consolation, que ceux qui me persécutent ici, ne profanent pas le nom de la liberté, et que ce soit tout simplement leur bon plaisir de par lequel ils nous empri

sonnent.

A MADAME DE CHAVANIAC.

Nivelle, le 25 août 1792.

Je suis en bonne santé, ma chère tante, et c'est la seule nouvelle consolante que je puisse vous

donner. Vous avez su par quel enchaînement de fatalités et de proscription, le plus constant ami de la liberté a été forcé d'abandonner sa patrie, qu'il lui était si doux de défendre. Depuis six mois, je voyais les terribles progrès de la désorganisation. La fidélité à notre constitution me paraissait le meilleur moyen de salut. J'ai tenté auprès de l'assemblée, du roi, des bons citoyens, tout ce qui, sans sortir de la ligne constitutionnelle, pouvait nous unir et nous fortifier. Mes efforts ont été vains. Mon nom est devenu le signal de proscription; et la faction d'un côté, la cour de l'autre, ont perdu la chose publique. Enfin il a fallu ou périr sans utilité, ou ployer sous le joug jacobin, ou m'éloigner des machinations infernales qu'on avait accumulées contre moi. S'il y avait eu encore des jurés, et que j'eusse pu espérer un jugement légal, j'aurais été présenter ma tête à la loi, bien sûr qu'il n'y a pas une action de ma vie qui me compromette aux yeux des vrais patriotes; mais depuis que la volonté arbitraire du premier groupe décide de la vie et de la mort, il était défendu à un ami de la liberté de s'abaisser à comparaître devant de tels tribunaux. J'ai donc été forcé au cruel parti de quitter la frontière. Vous sentez que j'aurais pu emmener une portion de l'armée ; j'ai scrupuleusement renvoyé jusqu'à la dernière de mes ordonnances. J'avais pris toutes les précautions pour la sûreté des troupes qui m'étaient confiées; et j'ai pris ma route vers le pays neutre de Liége. Là, j'ai

rencontré un poste autrichien; nous avons déclaré que nous étions des Français attachés à la constitution, diamétralement opposés aux émigrés aristocrates, ne tenant plus au service, et réclamant le droit des gens pour traverser le pays. On nous a arrêtés, et, contre toute justice, nous avons été conduits à Namur et dans cette petite ville, pour y attendre, dit-on, la décision de l'empereur, qui est à Vienne. J'ai dit que j'aimais mieux avoir à me plaindre de l'injustice des gouvernements arbitraires que de celle du peuple, et que la persécution impériale me paraissait plus naturelle que la proscription parisienne à mon égard. Je dois dire cependant qu'on nous traite avec beaucoup de politesse et qu'on a eu l'attention de défendre à tout émigrant à cocarde blanche d'approcher de nous. J'envoie à Bruxelles M. Bureaux de Pusy, pour représenter au gouvernement des Pays-Bas la violation du droit des gens, dont on se rend coupable à notre égard, et j'espère que ces représentations nous obtiendront une justice immédiate. Alors je me rendrai en Angleterre dans une ferme dont on saura l'adresse chez le ministre des ÉtatsUnis à Londres. J'y mènerai la vie la plus retirée, et j'y ferai des vœux ardents pour que ma patrie puisse trouver un défenseur qui la serve avec autant de zèle, de désintéressement et d'amour pour la liberté que moi. Au reste mes infortunes n'ont changé ni més principes, ni mes sentiments, ni mon langage. Je suis ici ce que je fus toute ma vie.

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