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l'exception de la présidence héréditaire du pouvoir exécutif, ce qui, je le crois, convenait à nos circonstances. Mais je hais tout ce qui ressemble au despotisme et à l'aristocratie, et je ne puis m'empêcher de désirer que les principes américains et français soient dans le cœur et sur les lèvres de l'ambassadeur des États-Unis en France. Je fais ces réflexions pour le cas seulement où quelques arrangements conformes aux vœux de Gouverneur pourraient dans la suite être faits.

Permettez-moi d'ajouter ici le tribut d'éloges que je dois à M. Short pour les sentiments qu'il a professés et pour toute l'estime qu'il a inspirée dans ce pays. Je désirerais que vous le connussiez personnellement.

Il s'est opéré des changements dans le ministère*. Le roi a choisi son conseil dans la portion la plus violente du parti populaire, c'est-à-dire dans le club des jacobins, espèce d'institution jésuitique, plus propre à faire déserter notre cause qu'à nous attirer des prosélytes. Ces nouveaux ministres cependant, n'étant point suspects, auraient peut-être, une chance de rétablir l'ordre. Ils disent qu'ils s'y appliqueront. L'assemblée est peu éclairée; elle met trop de prix aux applaudissements populaires; le roi est en arrière des circonstances dans sa conduite journalière, quoique de temps en temps il agisse tout à fait bien. Après tout, la chose ira, et le

* Voyez la note de la page 45 de ce vol.

succès de la révolution ne peut être mis en doute.

Mon commandement s'étend sur la frontière depuis Givet jusqu'à Bitche. J'ai soixante mille hommes, et ce nombre s'accroîtra par les jeunes gens qui, de toutes les parties de l'empire, accourent compléter les régiments. Ces recrues volontaires sont animées de l'esprit le plus patriotique. Je vais faire un camp retranché de trente mille hommes, avec un corps détaché de quatre à cinq mille; le reste des troupes occupera les places fortes. Les armées des maréchaux Luckner et Rochambeau sont inférieures à la mienne, parce que nous avons envoyé plusieurs régiments dans le midi; mais en cas de guerre, nous pouvons réunir des forces respectables.

Si nous avons encore quelques sujets de mécontentement, nous pouvons cependant espérer atteindre notre juste but. La licence sous un masque de patriotisme est notre plus grand mal, car elle menace la propriété, la tranquillité, la liberté ellemême.

Adieu, mon cher général; pensez quelquefois à votre respectueux, tendre et filial ami.

SUR LA LETTRE (DU 18 AVRIL 1792)

A MADAME DE LAFAYETTE *.

Lorsqu'on arrêta madame de Lafayette dans son habitation du département de Haute-Loire, le 11 septembre 1792, on saisit sur elle la lettre suivante. Les négligences du style prouvent qu'elle fut écrite avec précipitation, dans l'épanchement de la confiance la plus intime, à quelqu'un qui, étant déjà au fait, n'avait besoin que d'un mot pour se mettre au courant de chaque idée. Il y avait cent mille à parier contre un, que cette lettre ne verrait jamais le jour. Elle démontre que la Rochefoucauld, Lafayette et leurs amis dans l'assemblée législative, quoiqu'ils fussent personnellement mal avec Condorcet comme avec plusieurs membres de son parti, et quoiqu'ils eussent été fâchés de voir arriver un ministère jacobin, étaient pourtant décidés à soutenir ce ministère, à ne point s'opposer au parti girondin, si ceux-ci, ayant une fois obtenu le pouvoir, avaient voulu s'en servir pour le bien public. On voit qu'au 18 avril, Lafayette se flattait encore que les girondins prendraient ce bon parti;

* Cette note sur la lettre adressée à madame de Lafayette est du général Lafayette.

et cependant, les hauts jacobins continuaient, comme les autres, à désorganiser. Après tous les détestables procédés du ministère à son égard, il était plus tard à Givet lorsqu'il témoigna à Roederer les mêmes dispositions, en présence des généraux Latour-Maubourg, Narbonne et Tracy *. Roederer, dont Lafayette fut toujours personnellement content, paraissait souhaiter sincèrement que ses amis concourussent au but patriotique du général constitutionnel; il regardait déjà Dumouriez comme un aristocrate déguisé sous le manteau jacobin, et s'affligeait de la confiance que les chefs de ce parti prenaient en lui. Quant à Lafayette, il ne s'opposa aux ministres jacobins que lorsqu'il fut bien constaté que leur dernière résolution était de tout désorganiser, comme ils en donnaient la preuve au moment même où cette lettre était écrite. Il y est parlé, en effet, de la fête de Châteauvieux, célébrée alors par tous les journalistes de la faction **. Cette époque est assez rapprochée de celle où les meneurs intriguèrent le plus avec la cour. Il est vrai qu'il y a dans leur conduite des contradictions apparentes; mais c'est la faute de l'histoire et non de l'historien.

* Voyez à l'Appendice, no 5, quelques documents sur la mission de M. Roederer auprès du général Lafayette, au mois de juin 1792.

** Voyez la note 2 de la p. 74 de ce vol.

A MADAME DE LAFAYETTE.

Metz, 18 avril 1792.

Je ne puis dissimuler que la guerre devient probable. Il y a de l'espérance encore, mais je parierais beaucoup plus pour la guerre. Nous camperons vers le 10 mai *. Les partis sont divisés à présent de cette manière : Robespierre, Danton, Desmoulins, etc., etc., forment la tourbe jacobine. Ces marionnettes sont conduites des coulisses, et servent la cour, en désorganisant tout, criant que nous sommes battus sans ressources, en attaquant Lafayette qui a trompé, disent-ils, le peuple et la cour, qui a conduit M. de Bouillé bien moins coupable, et qui est plus dangereux que l'aristocratie.» Duport m'a mandé naïvement « que le parti m’accusait de républicanisme et que si je voulais bien m'entendre avec eux, il se trouverait près de moi sans le savoir. » Je me suis moqué de la franchise et de la confiante bonhomie de Duport qui sera, je crois, bien grondé pour cette phrase. On me

Lafayette, qui était venu passer plusieurs semaines à Paris, était convenu de ne commencer à camper que vers le 10 mai, pour mettre les troupes ensemble pendant quelques jours, avant de commencer les opérations. (Note du général Lafayette.)

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