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sacrées et de la déclaration des droits, marchons à l'ennemi! >>

Nous avons parlé du plan qui avait été arrêté dans le conseil du roi et dans les conférences entre Narbonne et les trois généraux. Le lieutenant général Montesquiou fut chargé d'organiser un rassemblement de troupes dans le midi. Luckner, Rochambeau et Lafayette, après s'être assurés que le nouveau ministre ne les mettrait en mouvement que lorsqu'on serait convenu mutuellement qu'on était prêt à marcher, ne s'occupèrent qu'à accélérer ce moment. On doit avoir, au ministère de la guerre, une lettre du général Lafayette, écrite dans les premiers jours de son commandement, où il exprime l'opinion que la principale invasion de l'ennemi se fera par la trouée de Carignan, Montmédy ou Longwy, de manière que Verdun, jusqu'alors regardé comme une place de troisième ligne assez insignifiante, lui paraît risquer d'être une des premières attaquées *. Il demande en conséquence qu'on s'occupe de fortifier cette ville, ce qui fut exécuté. Le maréchal de Rochambeau, retenu seul à Paris par sa santé, quitta le ministre, sans se douter de la surprise qu'il lui préparait, dès le surlendemain de son arrivée à l'armée. En effet, le gou

* Voy. dans la correspondance deux lettres du général Lafayette, la première du 6 mai 1792, datée de Givet et adressée à M. de Grave; la seconde datée de Maubeuge le 25 juin et adressée à M. Lajard. Voy. aussi la lettre du général

Lafayette à M. d'Abancourt ( 29 juillet 1'792).

vernement, ou plutôt Dumouriez (qui, n'ayant qu'un département à diriger, en dirigeait deux par son influence), imagina de jouer aux généraux français le tour qu'on s'applaudit de faire aux ennemis lorsqu'une combinaison militaire est dérobée à leur connaissance; mais en même temps le nouveau plan d'attaque fut annoncé dans Paris avec tant d'imprudence que les généraux en chef n'avaient pas eu le temps de lire leurs instructions avant qu'elles leurs fussent annoncées par des officiers qui, les apprenant par le public, arrivèrent au quartier général aussitôt que les courriers du ministre.

Ce plan était, suivant ce qu'en dit Dumouriez lui-même à l'assemblée dans la séance du 4 mai, de faire prendre Porentruy par le maréchal Luckner; de porter Lafayette de Metz à Givet, et de là sur Namur, pour couper la communication entre cette ville et Luxembourg; de faire prendre Furnes par un petit corps aux ordres de M. Delbeck, et inquiéter Tournay par un corps parti de Lille aux ordres du général Théobald Dillon; tandis que M. de Biron, partant de Valenciennes, quartier général du maréchal de Rochambeau, avec dix mille hommes, s'emparerait de Mons, ensuite de Bruxelles. Les autres mouvements n'avaient pour objet que de favoriser celui de Biron. Ces divers corps, à l'exception de celui de Lafayette, éprouvèrent des échecs.

Laissons parler les deux généraux en chef :

JOURNAL

DE M. LE MARÉCHAL DE ROCHAMBEAU.

« J'ai reçu les ordres du roi en date du 15 avril pour rassembler du 1er au 10 mai trois camps, l'un de dixhuit mille hommes à Valenciennes, l'autre de quatre à cinq mille hommes à Maubeuge et l'autre de trois à quatre mille hommes à Dunkerque.

» La guerre a été déclarée le 20. Les ministres ont retardé mon départ jusqu'au 21, et je suis arrivé le 22 à Valenciennes, porteur de ces ordres à l'exécution desquels je n'ai pas perdu une minute en arrivant.... Le surlendemain de mon arrivée, le 24, j'ai reçu un courrier avec une instruction du conseil prise unanimement et les ordres du roi contenus dans les dépêches de MM. de Grave et Dumouriez. Cette instruction m'ordonnait de mettre sous le commandement de M. de Biron un corps de troupes composé de dix bataillons et de dix escadrons pour se présenter avant le 30 devant Mons. Un pareil corps de dix escadrons, aux ordres d'un maréchal de camp, doit se présenter devant Tournay à la même époque, et un détachement de douze cents hommes doit partir du cantonnement de Dunkerque pour se présenter à Furnes. On m'ordonne de rassembler le plus tôt possible à Valenciennes le reste des troupes que je pourrai tirer des garnisons et de me tenir prêt à marcher avec cette seconde ligne pour aller à l'appui de M. de Biron, des succès duquel, par les intelligences que le conseil a dans la place et dans le pays, on est presque assuré. »

Le maréchal explique ici comment, arrivé seul sans aucun chef d'administration, il a eu de grands obstacles à vaincre..

« Le 28, Biron s'est emparé de Quievrain. Il est parti le 29 pour se présenter devant Mons, les ordres et les instructions des ministres lui ayant été adressés directement par M. Alexandre Berthier, témoin oculaire de ce qui s'est passé sur Mons, et porteur sans doute de ses dépêches. Il m'a dit verbalement que M. de Biron se retirerait peut-être cette nuit derrière Quievrain, ayant trouvé une force imposante sur la hauteur en deçà de Mons.

» M. D'Aumont, M. Théobald Dillon, parti de Lille, M. Carles, maréchal de camp, partant de Dunkerque, avaient tous aussi des ordres directs. Les troupes ont manqué de beaucoup d'objets par la précipitation d'un pareil mouvement devancé de plus de dix jours sur les préparatifs qu'on avait pu faire. Les princes français, Louis-Philippe et Antoine-Philippe d'Orléans se sont conduits avec beaucoup de bravoure. »

En addition à cette dépêche, on apprit que le maréchal de Rochambeau, après avoir vu les postes avancés, avait remis le commandement à Biron; qu'à Boussu les avant-gardes s'étaient choquées; que, les Autrichiens ayant occupé les hauteurs, Biron s'était retiré en désordre sur Valenciennes. En effet le duc de Biron, homme d'esprit, d'un ca ractère aimable et facile, très-brave de sa personne, était dépourvu de ce tact militaire si indispensable

à la guerre, et son esprit lui en faisant plus vivement sentir le défaut, il tomba dans une irrésolution qui ne lui permit pas de prendre un parti. Il se retira en désordre, perdit ses tentes, ses effets de campement, des prisonniers, des canons et des munitions. Les suites de cette honteuse déroute auraient été plus grandes si le maréchal n'était sorti de Valenciennes avec quelques troupes de réserve pour garnir les hauteurs au-dessus de la ville. Dès que l'ennemi vit une disposition militaire, il se retira.

M. Théobald Dillon s'étant porté de Lille à Bézieux, limite du territoire français, avec douze escadrons et quelques bataillons, la garnison de Tournay vint à sa rencontre. La cavalerie fut chargée et culbutée, les troupes françaises furent poursuivies jusqu'à un quart de lieue du glacis de Lille. Pendant la déroute on excitait les soldats contre leurs chefs. Le général, accablé d'injures et de menaces, fut forcé de se réfugier dans une ferme où il fut joint par des soldats qui le coupèrent par morceaux et le jetèrent au feu. Dans Lille, l'insurrection militaire se réunit à celle des malintentionnés de la ville; un officier du génie, six prisonniers autrichiens, un curé non assermenté, furent pendus; M. de Chaumont, aide de camp de M. de Dillon, courut de grands risques.

Le maréchal de Rochambeau, indigné du changement de plan fait à son insu, de l'insulte qu'on lui avait fait subir et des horreurs que l'indiscipline

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