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l'explication dans l'aristocratie publique des principaux non-conformistes, et dans la tactique secrète qui trop souvent troublait la paix des ménages. Habitué par le vice de son éducation à regarder l'administration des sacrements comme une fonction publique, il en concluait que ces fonctionnaires devaient être assermentés *. Au milieu de ces intrigues et de ces erreurs, il existait une masse considérable de personnes vraiment pieuses, attachées de bonne foi au culte non assermenté. Lafayette avait près de lui un irrécusable exemple que cette opinion pouvait s'allier aux sentiments de la vertu la plus libérale et du patriotisme le plus accompli.

L'animadversion contre le culte non assermenté ne fut nulle part plus générale qu'à Paris. L'opinion publique et le zèle individuel répugnaient à la protection dont les défenseurs de la liberté cher

* Sans remonter aux serments de la Ligue qui étaient approuvés par la Sorbonne et la Faculté de théologie, qu'on se rappelle celui du sacre consacré par l'Église, d'exterminer les hérétiques, serment que M. Turgot essaya en vain de faire changer au sacre de Louis XVI, ce à quoi le clergé ne voulut pas consentir. L'observation rigoureuse d'un autre serment, celui de la croix de Saint-Louis, par lequel on promettait de révéler tout ce qu'on apprendrait de contraire à l'autorité du roi, eût fait un espion dans chaque famille de ceux qui recevaient cette croix. Lafayette en changea la formule deux jours après le 14 juillet, pour l'admission du premier chevalier de Saint-Louis qu'il ait reçu. (Note trouvée dans les papiers du général Lafayette.)

chaient à l'environner. Il a toujours été, à cette époque, exercé dans beaucoup de chapelles, et nommément dans toutes les églises des maisons où les religieuses étaient restées. C'est ainsi qu'il n'a jamais cessé d'être publiquement pratiqué par la famille Lafayette. Mais une grande impopularité était attachée à ce culte.

On doit en même temps avouer avec honte et douleur, qu'avant que la force publique eût pu dissiper un infâme complot contre les filles respectables connues sous le nom de sœurs de charité, plusieurs d'entre elles furent un jour, au sortir de la messe, insultées avec impudeur.

On voit par une lettre du ministre de l'intérieur au directoire des départements, 31 mai 1791, que ces attentats, de quelque côté et dans quelque vue qu'ils aient été commis, eurent lieu simultanément dans plusieurs parties du royaume.

En 1791, le département avait autorisé la location de l'église des Théatins à une société du culte non assermenté. Cette décision, à laquelle Lafayette n'était pas étranger, n'eut point le succès espéré. Le 2 juin, un attroupement se forma sur le quai; on pénétra dans l'église *; les personnes réunies furent effrayées et prirent la fuite; de coupables émissaires renversèrent l'autel et se préparaient à oser davantage encore, lorsqu'un détachement nombreux de garde nationale arriva.

Voyez le Moniteur du 4 juin.

« On a rendu compte, dit un journal du temps, dans la plupart des journaux, du désordre arrivé dans l'église des ci-devant Théatins, destinée à un culte religieux; mais on n'a pas dit que cette scène scandaleuse, à laquelle on ne devait pas s'attendre d'après la tranquillité qui avait régné dans cette église jusqu'à midi, a été presque aussitôt réprimée par la garde nationale, que l'autel a été rétabli, et que les prêtres non-conformistes ont chanté vêpres le même jour dans cette église, sans que la tranquillité y ait été troublée de nouveau. »

Il eût fallu ajouter que ces vêpres, auxquelles assistèrent le maire et le commandant général, furent chantées sous la protection des baïonnettes de la garde nationale.

En vain Lafayette pria et fit conjurer les chefs de la société des Théatins de l'aider à pousser à bout cette entreprise; ils crurent, peut-être avec raison, devoir attendre une disposition plus calme.

Mais on ne pouvait rien dire de mieux, pour ramener les opinions égarées et pour déjouer les intrigues désorganisatrices, que ce qui avait déjà été publié du haut de la tribune nationale dans les excellents discours de M. de Talleyrand et de M. Sièyes, l'un au nom du comité de constitution, l'autre en apologie de la conduite du directoire de département. Ces deux discours, qu'on trouve dans le Moniteur du 9 mai 1791, et dont l'assemblée adopta les principes dans son décret,

font un des titres de gloire de l'assemblée constituante".

Quant à Lafayette, si l'on a pu dans d'autres occasions lui attribuer des négligences, des erreurs ou des faiblesses, ce n'est pas dans la cause de la liberté des cultes qu'un tel reproche lui serait applicable, car il s'est toujours persuadé qu'aucune puissance au monde ne peut se placer entre le cœur de l'homme et la divinité; il détestait toutes les intolérances, celles de l'incrédulité comme

* M. de Talleyrand est le seul évêque nommé par le choix et sur la recommandation spéciale du clergé de France. Il était alors abbé de Périgord et agent du clergé; mais, contre l'usage ordinaire, surtout pour un homme de si grande naissance, Louis XVI avait tardé à le nommer. L'assemblée générale du clergé vota expressément pour qu'on représentât au roi, au nom du clergé de France, qu'il lui paraissait étonnant que l'abbé de Périgord ne fut pas nommé évêque, et ce fut sur cette désignation que le roi le nomma enfin à l'évêché d'Autun. Quoique l'évêque d'Autun eût pris part à l'ordination des évêques de la constitution civile et qu'il eût prêté lui-même le serment des prêtres salariés, il ne garda point son évêché, et réclama toujours pour la liberté religieuse en faveur des prêtres non assermentés. Ceux de son diocèse furent secourus par lui dans les pays étrangers. C'est entre M. de Talleyrand, Sièyes et la Rochefoucauld pour le département, Bailly pour la municipalité, et Lafayette pour la garde nationale, qu'avaient été arrangées les mesures relatives à l'église des Théatins, qui, par les menées des jacobins, réussirent si mal. Sièyes fut obligé de justifier le département à la tribune, dans un excellent discours. (Note trouvée dans les papiers du général Lafayette.)

celles de quelque opinion religieuse que ce soit. La pureté de son zèle a été reconnue dans ces temps de trouble, et même avec une confiance touchante pour lui, par toutes les personnes dont la dévotion n'était pas dominée par l'esprit de parti. On peut même en appeler à la conscience de celles-ci et les défier de citer une circonstance où aucune considération personnelle ait été un instant mise en balance avec le dévouement absolu de Lafayette pour les moindres intérêts de la liberté religieuse.

Tels furent ses principes et sa conduite toutes les fois qu'il eut occasion de parler et d'agir dans celte question. On voit dans les Mémoires de Bourienne (t. V, p. 62) et dans l'Histoire de France depuis le 18 brumaire, par M. Bignon (t. II, p. 188), qu'avant le consulat à vie, Lafayette avait fait une démarche auprès du premier consul Bonaparte, pour le dissuader de rétablir une religion de l'État, et lui conseiller d'adopter dans son intégrité le principe américain d'égalité parfaite entre tous les cultes, chacun d'eux restant isolé du gouvernement, et les sociétés religieuses se formant à leur gré sous la direction de prêtres de leur choix et payés par elles. Le vœu de liberté, d'égalité complète et indépendante de la politique, a été reproduit par lui, depuis la restauration, dans ses discours à la tribune, et dans ses réponses aux adresses communes des ministres des différents cultes aux États-Unis.

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