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superflu de dire que ce donjon était devenu sans usage. On voit, par une des pièces trouvées dans l'armoire de fer, que Lafayette avait conseillé au roi de diriger de ce côté une de ses promenades à cheval, et d'en ordonner lui-même la démolition *; mais il ne pouvait souffrir, sous l'ordre constitutionnel, qu'elle fût faite par une émeute. En conséquence, apprenant qu'un nombre assez considérable de peuple s'y était porté, que Santerre, avec son bataillon, y était allé sous prétexte de rétablir l'ordre, il se rendit avec son état-major à Vincennes, mais non sans avoir pris la précaution d'envoyer au Carrousel un bataillon pour veiller à l'ordre public. Il trouva qu'on était en train de démolir le donjon, fit rentrer dans la discipline une portion de garde nationale que Santerre et quelques autres factieux cherchaient à égarer, leur commanda de saisir les démolisseurs, qu'il conduisit dans les prisons de la conciergerie, après avoir menacé d'ouvrir à coups de canon les portes du faubourg qu'on avait fermées contre lui. Quelques coups de fusils avaient été tirés contre des officiers de son état-major, et lorsqu'il rentrait la nuit par la rue Saint-Antoine, on fit une tentative pour faire tomber son cheval et le tuer lui-même. Un coup de baïonnette d'un grenadier national déjoua cet attentat; mais le bruit s'était répandu que

* Voyez dans le t. IV, p. 267, une lettre adressée au roi et trouvée dans l'armoire de fer (26 mai 1790).

Lafayette avait été tué, et voici ce qui se passait aux Tuileries:

Dès le matin, sous prétexte de donner à déjeuner aux gardes nationaux de service, on avait cherché à les faire boire. Unefoule de royalistes, dont plusieurs appelés des départements pour ce coup médité, profitant de la facilité donnée aux premiers gentilshommes de la chambre de distribuer des billets

d'admission pour les personnes de service et autres gens connus d'eux, s'étaient glissés dans les appartements qui séparaient la salle de service des gardes nationaux de la chambre du roi. Il étaient armés d'épées, de sabres, de cannes à épées, de pistolets et de poignards. Le roi sortit de sa chambre pour visiter ses appartements et ceux qui les remplissaient. Tout cela se passait à petit bruit à l'insu de la garde nationale. On voit dans les papiers du temps, qu'on avait profité de passages dont les gens de la cour disposaient, pour moins exciter l'attention des gardes nationaux réunis dans la salle. Le premier éveil fut donné par une mauvaise tête, le chevalier de Saint-Elme, qui, entr'ouvrant la porte de l'appartement, montra un pistolet aux gardes nationaux. Cette découverte produisit un grand émoi. Le roi en fut effrayé; il pria le rassemblement chevaleresque de se dissoudre en posant les armes. Il était temps, car les gardes nationaux, parmi lesquels on faisait déjà circuler le bruit de la mort de leur chef, allaient faire irruption dans les appartements. Les chevaliers en fu

rent quittes, en sortant, pour quelques injures et quelques coups.

Lafayette arriva sur ces entrefaites; il traita durement quelques gens de la cour, et fit surtout une semonce au duc de Villequier, premier gentilhomme de la chambre, dont il avait le plus à se plaindre. Il vit le roi qui lui témoigna des regrets de cette échauffourée commencée, à ce qu'il paraît, à son insu. Le roi lui dit que le faux zèle ou l'extravagance des gens qui se disaient ses amis, finiraient par le perdre... prédiction qui ne s'est que trop accomplie. Cependant, à son retour dans la salle de service, le commandant général apprit, par la rumeur publique, qu'un amas d'armes avait été déposé dans les armoires de l'appartement, mesure qui ne pouvait être soufferte par ceux qui étaient chargés de la garde du roi et de sa sûreté; en conséquence, il fit prier le roi d'ordonner la remise de ces armes. On les apporta dans une grande manne, et tout le monde put voir que, parmi ces armes, il y avait des poignards. Elles furent livrées aux gardes nationaux et brisées dans la cour des Tuileries avec des témoignages de gaieté peu respectueux peut-être pour le palais du roi, et surtout assez offensants pour les chevaliers qui avaient déjà été chassés fort brusquement, et qu'on appela depuis les chevaliers du poignard; mais il faut convenir que la provocation avait été forte et qu'une leçon devenait nécessaire. On ne fut pas moins choqué d'un ordre du jour du lendemain,

dans lequel le commandant général traitait sévèrement les chefs de la domesticité, expression qui déplut beaucoup aux gens de la cour.

SUR

LA CONSTITUTION CIVILE DU clergé.

L'affaire de la constitution civile du clergé * fut un des grands événements de la révolution. Ses adversaires profitèrent avec habileté de cette circonstance pour semer en France la division et le trouble.

Parmi les tribulations et les regrets dont l'esprit de faction et d'intrigue, l'ignorance et l'égarement, ont semé la carrière de Lafayette, il n'en est point qui lui aient été plus pénibles que les excès produits par la haine des cultes insermentés: non qu'il eût été convaincu par les opposants à la constitution civile du clergé, tels que MM. de Boisgelin, Maury, etc.; la majeure partie de leurs arguments a été ensuite réfutée par ces opposants euxmêmes dans l'affaire des concordats et dans les discussions subséquentes avec le saint - siége. « Nous nous sommes conduits, à l'époque de 1791,

* Votée le 27 novembre 1790, acceptée par le roi le 22 décembre.

en vrais gentilshommes, a dit depuis un de nos premiers archevêques *; car de la plupart de nous on ne peut pas dire que ce fut par religion; » voulant sans doute exprimer ainsi que la résistance leur avait paru indiquée par des considérations politiques plutôt que par des devoirs religieux. En effet, parmi ceux sur qui ce dernier motif avait le plus de poids, on en a vu dans le temps qui, effrayés des effets d'un schisme sur le salut des générations présentes et futures, oppressés par cette observation qu'il ne fallait pour prévenir un tel malheur que leur assentiment, se séparaient de la majorité avec des intentions conciliatrices, que le parti purement politique ne tardait pas à écarter. Mais enfin, de part et d'autre, d'un côté par une imprudence due à la piété austère autant qu'à l'indifférente philosophie, de l'autre, par le zèle hostile avec lequel on exploita cette faute, le mal était fait **. Le remède proposé de laisser, à l'exemple des États-Unis, chaque société entretenir son temple et ses ministres fut repoussé de tous côtés. Cependant le peuple, tout en voulant la liberté des religions, s'obstinait à ne pas regarder comme une différence de ce genre le nouveau dissentiment dans le culte catholique; il croyait en trouver toute

* L'archevêque de Narbonne.

** Voyez à la page 145 de ce volume les efforts du général Lafayette pour faire retrancher de l'acte constitutionnel les décrets relatifs à la constitution civile du clergé.

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