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14 JUILLET 1790.

XIII

La fédération de 1790 fut un des plus grands événements de la révolution. Quatorze mille députés régulièrement élus par plus de trois millions de gardes nationales, des députations de tous les corps de terre et de mer, vinrent au nom de la France armée abjurer l'ancien régime, et prêter serment à la liberté et à l'égalité constitutionnelles. La proposition qui avait été faite à cet égard, le 5 juin, par M. Bailly, à la tête d'une députation de la ville de Paris, fut appuyée par le vertueux duc de la Rochefoucauld, assassiné à Gisors après le 10 août, un des premiers martyrs de la constitution et des lois nationales.

Le procès-verbal de la fédération des Français, imprimé en 1790, donne la relation suivante :

« Le 10 juillet, les représentants se réunissent, sur l'invitation de l'état-major de la garde nationale parisienne, dans la maison commune de Paris.

* Suite du recueil intitulé: Collection de plusieurs discours, depuis l'année 1784 jusqu'à l'année 1829. (Voy. la note de la p. 113 du 3 vol.)

» M. de Lafayette est unanimement proclamé président de l'assemblée des fédérés et n'accepte qu'après les instances les plus réitérées.

>> Plusieurs propositions relatives à M. de Lafayette ont été faites par différents membres de l'assemblée, et ont été vivement accueillies, mais M. le président, ayant refusé de les mettre aux voix, a levé la séance, et l'a indiquée à demain six heures du soir.

» Le 11 juillet, M. le président rend compte que l'assemblée nationale et le roi recevront, le 13, la députation des gardes fédérés. La rédaction de l'adresse est confiée à M. de Lafayette et au bu

reau.

» Le 15 juillet, M. de Lafayette, major général de la fédération, dont le roi est le chef, marche à la tête des fédérés et prononce à la barre de l'assemblée nationale ce discours :

« MESSIEURS,

Les gardes nationales de Paris viennent vous offrir l'hommage de leur respect et de leur reconnaissance. La nation, voulant enfin être libre, vous a chargés de lui donner une constitution. Mais en vain elle l'aurait attendue, si la volonté éclairée, dont vous êtes les organes, n'avait suscité cette force obéissante qui repose en nos mains, et si l'heureux concert de l'une et de l'autre, remplaçant tout à coup cet ordre ancien que les premiers mouvements de la liberté faisaient disparaître, n'avait été la première des lois qui succédaient à celles qui n'étaient plus.

» C'était, nous osons le dire, un prix dû à notre zèle, que cette fête qui va rassembler tant de frères épars, mais qui, régis, à la fois, par votre influence et par le besoin impérieux, si cher aux bons Français, de conserver l'unité de l'État, n'ont cessé de diriger vers un point commun leurs communs efforts. C'était aussi, sans doute, un prix dû à vos travaux, que cet accord unanime avec lequel ils portent aujourd'hui, à l'Assemblée constituante de France, leur adhésion à des principes que demain ils vont jurer de maintenir et de défendre.

>> Oui, Messieurs, vous avez connu et les besoins de la France et le vœu des Français, lorsque vous avez détruit le gothique édifice de notre gouvernement et de nos lois, et n'avez respecté que le principe monarchique; lorsque l'Europe attentive a appris qu'un bon roi pouvait être l'appui d'un peuple libre, comme il avait été la consolation d'un peuple opprimé.

» Achevez votre ouvrage, Messieurs, en déterminant dans le nombre de vos décrets ceux qui doivent former essentiellement la Constitution française; hâtez-vous d'offrir à notre juste impatience ce code dont la première législature doit bientôt recevoir le dépôt sacré, et dont votre prévoyance assurera d'autant plus la stabilité, que les moyens constitutionnels de le revoir nous seront plus exactement désignés.

» Les droits de l'homme sont déclarés; la souveraineté du peuple est reconnue; les pouvoirs sont délégués, les bases de l'ordre public sont établies. Hâtezvous de rendre à la force de l'État toute son énergie. Le peuple vous doit la gloire d'une constitution libre; mais il vous demande, il attend enfin ce repos qui ne peut exister sans une organisation ferme et complète du gouvernement.

» Pour nous, voués à la révolution, réunis au nom

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de la liberté, garants des propriétés individuelles, comme des propriétés communes, de la sûreté de tous et de la sûreté de chacun, nous qui brûlons de trouver notre place dans vos décrets constitutionnels, d'y lire, d'y méditer nos devoirs, et de connaître comment les citoyens seront armés pour les remplir; nous, appelés de toutes les parties de la France, par le plus pressant de tous, mesurant notre confiance à votre sagesse, et nos espérances à vos bienfaits, nous portons, sans hésiter, à l'autel de la patrie, le serment que vous dictez à ses soldats.

» Oui, Messieurs, nos mains vont s'élever ensemble, à la même heure, au même instant; nos frères, de toutes les parties du royaume, proféreront le serment qui va les unir. Avec quels transports nous déploierons à leurs yeux ces bannières, gages de notre union et de l'inviolabilité de nos serments! avec quels transports ils les recevront!

>> Puisse la solennité de ce grand jour être le signal de la conciliation des partis, de l'oubli des ressentiments, de la paix et de la félicité publique !

» Et ne craignez point que ce saint enthousiasme nous entraîne au delà des bornes que prescrit l'ordre public. Sous les auspices de la loi, l'étendard de la liberté ne deviendra jamais celui de la licence; nous vous le jurons, Messieurs, ce respect pour la loi, dont nous sommes les défenseurs; nous vous le jurons sur l'honneur; et des hommes libres, des Français, ne promettent point en vain. »

» Au sortir de l'assemblée nationale, cette députation s'est présentée chez le roi, à qui M. de Lafayette a dit :

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