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quent discours de Barnave à l'appui de l'avis des comités réunis, le 15 juillet, Lafayette marqua son assentiment par ces mots :

« J'appuie l'opinion de M. Barnave, et je demande que la discussion soit fermée. »

L'assemblée ferma la discussion; le décret qui fut rendu par tous ses membres à l'exception de Robespierre, de Pétion, de trois ou quatre autres, déjoua beaucoup de calculs intérieurs ou étrangers.

On a dit que le roi avait eu des confidents de son départ dans son ministère et dans le côté droit de l'assemblée, ce qu'aucune révélation jusqu'à présent n'a fait connaître; la malveillance ou l'esprit de parti ont aussi cherché à lui en supposer dans le côté gauche; on a prétendu que MM. de Lameth, Duport et Barnave, qui depuis quelque temps avaient des rapports secrets avec la cour, étaient dans la confidence de cette évasion; on en a accusé M. d'André, membre influent de l'assemblée; mais aucune preuve, aucun aveu ne sont venus corroborer ces vagues assertions. Celles qui ont inculpé à cet égard Bailly et Lafayette, sont d'une absurdité encore plus évidente; car ils étaient naturellement les deux hommes de France à qui la cour devait le moins confier un projet de ce genre dont l'objet était de la soustraire à leur influence et à leur garde, pour la mettre sous la protection de M. de Bouillé et de la maison d'Autriche, et dont le premier effet, prévu par les fugitifs, devait être

le massacre du maire et du commandant général, de celui-ci surtout qui eut besoin de toute sa fermeté pour redevenir, en un instant, plus puissant que jamais dans la capitale. Une semblable inculpation, faite à la fois par les royalistes et par les jacobins, se détruisait par la contradiction même des motifs qu'on supposait à Lafayette : c'était, suivant ceux-ci, pour donner au roi le moyen de combattre, sous la protection de M. de Bouillé, les principes que Lafayette avait toute sa vie professés et défendus; c'était, suivant les royalistes, pour achever de perdre le roi en le faisant arrêter à temps, et cependant il est démontré que si le roi avait mis dans son voyage la moindre célérité et la moindre conduite, s'il n'avait pas été reconnu par un maître de poste, si M. de Choiseul n'avait pas donné contre-ordre aux détachements, si M. de Bouillé avait eu quelque prévoyance, l'arrestation n'aurait pas eu lieu. On s'est plu longtemps à répandre ces étranges suppositions, jusqu'à ce que la connaissance plus intime des faits, la déposition des mourants, le témoignage de divers adversaires, et nommément de M. de Bouillé, aient ajouté toutes les preuves morales et matérielles à la conviction qu'auraient dû produire, avec la moindre réflexion, la situation où était alors Lafayette et son caractère personnel. Ce départ pour Varennes enleva pour toujours au roi la confiance et la bienveillance des citoyens. On s'en aperçut, dès l'instant de son retour, par les précautions relatives

à sa captivité, l'inquiétude des citoyens, des troupes, des comités eux-mêmes de l'assemblée. Cette méfiance se propagea jusqu'à l'époque du 10 août. La fausse démarche de Louis XVI lui fut d'autant plus universellement reprochée que, n'ayant mis personne dans son secret, personne ne se sentait intéressé à le défendre. Le côté droit de l'assemblée lui-même, doublement blessé de n'avoir pas été averti et d'avoir été laissé exposé à des dangers, se plaignit ouvertement.

Pour peu qu'on ait pensé à tout ce qui précède, on ne s'étonnera pas que la journée du 21 juin ait fait naître dans les uns, renaître dans quelques autres les idées purement républicaines. Lafayette devait naturellement se trouver parmi ces derniers. Le pacte de la nation avec le roi avait été violé par lui-même; il avait emmené toute sa famille. Les Orléans seuls restaient en France. II fallait négocier avec le roi, en faire un autre ou détruire la royauté. Ce dernier parti avait des chances pour les cœurs républicains; et ce serait être injuste que de taxer d'inconséquence le mouvement que, dans les premiers instants, Lafayette et quelques-uns de ses amis se laissèrent surprendre. Il est très-vrai que, chez la Rochefoucauld, Dupont de Nemours avait proposé de faire la république, et l'on savait bien que cette idée ne déplaisait ni au maître de la maison, ni son ami. Mais cette pensée fugitive ne les avait pas empêchés de faire leur devoir en prenant les mesures qui dépendaient

d'eux pour arrêter le départ du roi, signal de la guerre civile. Après avoir reconnu que la majorité de la nation et de ses représentants voulait rétablir le trône constitutionnel, et prévoyant sans doute les malheurs et les crimes que la chute de ce trône ne manquerait pas d'entraîner, ils soutinrent avec vigueur le parti que prit l'assemblée constituante.

On a blâmé les constitutionnels de n'avoir pas, à cette époque, complété la république. On pouvait douter alors, car la chose était susceptible d'arguments séduisants pour et contre; mais il semble que la détermination de l'assemblée a été justifiée par la preuve subséquente que la nation a donnée, qu'elle n'était pas en état de faire ce pas de plus; et que d'après ses habitudes, son ignorance et son caractère non encore corrigé par le nouveau régime, le reproche plus plausible que les hommes d'État pourraient faire aux constitutionnels, c'est d'avoir dès lors plus républicanisé la France qu'elle n'était encore en état de l'être. Au reste, ceux-ci ne regardaient tout ce qui n'est pas la déclaration des droits que comme des combinaisons secondaires, et n'ayant aucune objection à ce que la force des choses détruisît la royauté si elle était incompatible avec les institutions démocratiques, puisqu'ils aimaient mieux la démocratie sans royauté que la royauté sans démocratie, il faut aussi reconnaître qu'ils avaient voulu établir une présidence héréditaire du pouvoir exécutif et en investir la branche alors régnante; qu'ils avaient

préféré Louis XVI à tout autre roi, qu'ils avaient sincèrement souhaité qu'il ne trahît pas et qu'il fût aimé, de manière qu'on ne peut pas les accuser de mauvaise foi envers leurs concitoyens. La nation aussi voulait une royauté héréditaire, mais ne voulait pas qu'elle pût nuire au système de la déclaration des droits, de l'égalité entre les citoyens, et des principales bases de la constitution de 1791.

Ainsi, le système vraiment monarchique finissait à la constitution anglaise inclusivement: dans cette constitution, en effet, il semble que le roi est plus qu'un premier magistrat et a une existence indépendante, dans l'opinion de la majorité des constitutionnels anglais, du pouvoir et de la souveraineté de la nation, au lieu que dans les principes français la royauté, subordonnée dans son origine à la souveraineté du peuple dont elle tirait toute sa puissance, n'était dans son exercice qu'une présidence héréditaire du pouvoir exécutif. C'était là ce que la France voulait, puisqu'elle réclamait des droits et des institutions incompatibles avec une royauté plus relevée. Cette royauté, les constitutionnels l'avaient établie de la sorte avec loyauté, et défendue de même. Après qu'on eut donné à celui qui en était dépositaire les moyens d'une grande et puissante existence, le pouvoir exécutif qu'il présidait, sans être parfaitement organisé, sans même avoir toute l'énergie dont il avait besoin, pouvait néanmoins aller bien et longtemps,

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