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vait plus être question d'Etats-généraux; pour remplir sa mission et résister à la cour, le tiers-état s'était constitué en Assemblée nationale, et ses membres avaient juré de ne point se séparer avant d'avoir donné une constitution à la France. L'opinion publique s'agitait vivement; de Paris et de Versailles, l'agitation avait gagné la province, car, malgré la défense royale de publier les séances de l'Assemblée, la presse les répandait avec une prodigieuse rapidité. Des clubs se formaient partout, et, le 5 juillet, le tiers-état de la ville de Montpellier fit une adresse aux Etats-généraux pour exprimer sa joie de la réunion des trois ordres, ajoutant que « c'était la pureté, la constance indé»fectible des principes de l'Assemblée nationale >>qui avaient opéré cette précieuse réunion, qu'il >>regardait comme l'heureux présage de la restau»ration du royaume 1».

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1 Le 6 juillet mourut Maurice de Claris, premier président de la Cour des comptes, et qui, par son arrogance et ses prétentions, n'était arrivé, pendant vingt-sept années de présidence, qu'à faire naître des conflits entre la Cour et lui et à diviser la population. Ce fut lui qui, en 1773, poursuivit le président Bonnier d'Alco d'une haine si injuste et si odieuse que l'autorité royale dut intervenir (M. S., I, pag. 28 et suiv.). Non présenté par la Cour, mais à elle imposé « par une » faveur dont nous n'avons pas la raison secrète », il avait de plus su obtenir du roi, en octobre 1779, des lettres de survivance pour son fils, qui en effet lui succéda. Telle était, en ce moment, la préoccupation politique à Montpellier, qu'à peine on y remarqua et cette délivrance et cette grande iniquité.

Le nom de Necker était populaire à Montpellier; quatre ans auparavant (1785), il y était venu avec Mme Necker, que l'état de sa santé y avait conduite et qui y avait fondé un hôpital protestant2; une compagnie de notre garde nationale s'appela plus tard Compagnie Necker. Sous son ministère, l'espoir était grand dans une ville de négociants et de gens d'affaires; aussi quand on vit en juin la résistance du roi et les sourdes menaces de la Cour, on commença à craindre; mais quand en juillet on apprit que le roi faisait entourer Paris par ses trente régiments étrangers placés sous le commandement du maréchal de Broglie, que Necker était renvoyé du ministère (11 juillet) et exilé pour avoir conseillé de ne pas employer la force mais de se mettre à la tête du parti libéral, la crainte se changea en consternation. On se réunit à l'Hôtel de Ville pour délibérer une adresse au roi, une autre à l'Assemblée nationale, et demander le rappel des ministres. (Voir Pièces justificatives, no 5.)

Heureusement cette douloureuse agitation dura peu; deux jours s'étaient à peine écoulés et les signatures n'étaient pas encore toutes sur les adresses, que Montpellier apprenait que, dans la mémorable journée du 14, le peuple de Paris avait pris la Bastille, la Bastille : réputée imprenable; la Bas

1 Pendant son séjour, il avait habité le mas d'Estorc, sur la route de Lavérune.

2 A cet effet, elle avait loué pour sept ans une maison de la rue Barthez (no 1 actuel de la rue du Carré-du-Roi) ; le bail, à son expiration, en 1792, ne fut pas renouvelé.

tille, ce symbole du despotisme1; et que le 16, le roi avait reconnu l'Assemblée nationale, ordonné d'éloigner les troupes de Paris et enfin rappelé Necker. Alors des transports d'enthousiasme éclatèrent de toutes parts: on fit des feux de joie; on chanta dans chaque église un Te Deum solennel; le dimanche suivant (26 juillet), la compagnie des Pénitents blancs fit chanter un autre Te Deum et porta sur un brancard deux statues représentant le roi appuyant sa main sur l'épaule de Necker, avec l'inscription : Alter per alterum mirabilis. Le courant révolu

'Les travaux de démolition de la Bastille furent exécutés par un architecte-entrepreneur nommé N. Palloy. Patriote ardent, il fit faire à ses frais 83 modèles en petit de cette forteresse et en offrit un à chaque département, « afin de perpétuer l'hor» reur du despotisme ». Il les faisait porter par une société d'employés qu'il appelait les apôtres de la Liberté. Le modèle destiné au département de l'Hérault et conservé encore aux Archives départementales, arriva à Montpellier le 23 novembre 1790, comme le constate la lettre de remerciments que Duffours, président de l'administration départementale, adressa à Palloy et dont l'original se trouve dans les manuscrits de la bibliothèque du Musée. Plus tard, Palloy envoya encore à Montpellier des cubes de pierres de la Bastille pour servir de support aux bustes des héros de la Révolution. Voir Aug. Challamel, Histoire-Musée de la Rép. fr., pag. 45-48.

2 Le Journal de la gén. de Montpellier contient tous les détails de la fête (no du 29 juillet 1789, pag. 49 et 55), ainsi que les nombreux couplets faits à Montpellier en l'honneur de Necker (pag. 15, 43, 55, 56, 68, 72), et la mention de deux pièces de théâtre, l'une l'Impromptu patriotique, jouée le 29 août, l'autre le Retour désiré, jouée le 9 septembre (pag. 71 et 79).

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tionnaire, parti de Paris, envahissait jusqu'aux extrémités; mais pendant qu'à Lyon, à Bordeaux, à Caen, dans le Dauphiné, en Auvergne, il produisait différents résultats, des troubles même, le calme régnait à Montpellier et la liberté y était l'objet d'un culte pour lequel chaque citoyen semblait prêt à donner sa vie.

Aussi y fut-on indigné d'apprendre que les frères du roi, voyant l'inutilité de leurs manœuvres de cour, étaient, le 16 juillet, partis pour l'étranger, afin de former une coalition européenne contre la France, et que les deux premiers partis avec eux étaient le maréchal de Castries et le maréchal de Broglie. Deux noms bien connus à Montpellier; deux noms ennemis de la liberté; deux noms qu'on retrouvera plus tard toujours associés dans leur haine contre elle !

Dès le 21 juillet, la Commune assemblée délibéra l'établissement d'un Conseil permanent; le chanoine Gigot en était le chef. Ce Conseil devait s'occuper des mesures à prendre selon les circonstances et « établir des confédérations avec les >>>villes de Cette, Nimes, Aigues-Mortes, Ganges, » Aimargues, Lansargues et Marsillargues, pour »mettre Montpellier à l'abri de toute surprise.» (Pr. v. g., pag. 34.)

L'Assemblée nationale continuait l'œuvre de la Constitution, et, pendant qu'elle discutait sur la Déclaration des droits du peuple, le peuple les conquérait à main armée sur presque tout le territoire. Plus de vassaux soumis aux seigneurs; plus

de redevances féodales payées; et même, sur plusieurs points, la population des campagnes se livrait contre ses anciens oppresseurs, les seigneurs et les prêtres, à des excès blâmables mais faciles à comprendre. Les troupes refusaient de prêter main-forte à l'autorité; les caisses publiques étaient vides; le déficit croissait; la stagnation du commerce et de l'industrie laissait les ouvriers inoccupés, et la disette, s'ajoutant à ce désordre, augmentait la crise et rendait indispensables de promptes mesures pour achever de faire disparaître les anciens abus et reconstituer un nouvel ordre légal, en harmonie avec les besoins. Elles furent adoptées pour la plupart dans la mémorable nuit du 4 août, où l'Assemblée nationale, dans un moment d'enthousiasme indescriptible, décida l'égalité des impôts, l'admissibilité de tous les citoyens aux emplois civils et militaires, l'abolition de tous droits féodaux, de colombier, de chasse1 et de justices seigneuriales, de la dîme, des jurandes, de tout privilége accordé aux provinces, aux villes, aux communautés, aux individus, de la vénalité des offices, des pensions obtenues sans titres, et « proclama solennellement le roi Louis XVI res» taurateur de la liberté française ! »

Jac, député de la sénéchaussée, se hâta d'envoyer à Cambon père une note sommaire des décisions du 4 août2; et on chanta de nouveau des Te Deum.

1 Voir Pièces justificatives, no 15.

2 Les dispositions votées n'arrivaient que tardivement à la publicité officielle. Le Moniteur ne fut journal officiel qu'en 1800, et la municipalité ne connaissait les lois que par

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