Page images
PDF
EPUB

d'éviter la guerre civile et de faire le bien, est de partir de nos circonstances actuelles, d'agir avec et par l'assemblée nationale et le roi réunis dans la capitale. Je crois ce grand œuvre possible, je le crois sûr, si les grands citoyens et les grands talents ne désertent pas la chose publique. J'ose vous en répondre, mon cher Mounier, si les provinces cherchent à se mettre à l'unisson avec nous, à opérer des rapprochements, à nous éclairer mutuellement sur nos intérêts et sur nos vues plutôt qu'à faire éclater une guerre civile. Elle nous mènerait à la séparation des provinces, au démembrement de la monarchie, peut-être au changement de la dynastie, et ce qui est encore bien plus intéressant, à l'esclavage et au malheur des générations présentes et futures.

Je vous conjure donc, au nom de la patrie, de la vertu, de vos principes de morale et de politique, je vous conjure de ne pas produire le mal que vous craignez et qui serait la suite infaillible d'une dissolution que nous pouvons prévenir, mais que le moindre mouvement peut opérer. Vous me connaissez homme d'honneur ; vous connaîtrez un jour que je ne suis ni ambitieux ni même exagéré dans mes projets, et si votre amitié et votre confiance pour moi n'obtiennent pas votre prompt retour, si vous m'abandonnez au milieu des difficultés, des dangers et des partis que je combats, du moins épargnez la chose publique; épargnez-vous des regrets, je dis

plus, des remords, et que vos amis et vous attendiez du moins, pour savoir si nos professions sont perfides ou nos espérances trompeuses. Dites-nous ce que nous devons faire, plutôt que de détruire d'avance ce que nous ferons, et songez que, s'il est un moyen de faire triompher la cause du peuple, de donner la liberté à la nation, de rendre à son chef ce qu'il doit avoir de puissance pour faire le bien, ce moyen doit être sans aucun doute dans la réunion de tous les bons citoyens et dans l'harmonie entre toutes les parties de l'empire. Ne vous laissez pas aller au découragement et à l'humeur, et si je péris dans mes efforts pour sauver la patrie, que je ne puisse pas du moins porter mes derniers reproches sur l'abandon de ceux dont la réunion nous sauverait et dont l'opposition pourra tout perdre.

Adieu, mon cher Mounier.

Ce mardi......

M. de Saint-Priest m'accuse de faiblesse, il est vrai que j'en ai pour lui. J'ai oublié de l'avoir entendu prêcher la banqueroute plutôt que de céder à l'esprit révolutionnaire, chez les ministres Brienne et Lamoignon; j'ai oublié le tour qu'il m'a joué de se servir d'un billet confidentiel de moi pour l'arrivée du régiment de Flandre, qui était déjà en

route *; j'ai oublié qu'à peine ces deux bataillons ont été arrivés, son style envers moi a changé du tout au tout; j'ai oublié que le 5 il a été peu aimable pour moi, et pour me donner ma revanche en oublis, il oublie que je l'ai sauvé à son arrivée à Paris, comme vous pourriez le voir par une lettre de sa femme. Depuis ce temps, il opine en homme d'esprit qui a le despotisme dans le cœur, mais sent qu'il faut céder, et sur plusieurs points il est plus dans le sens de la révolution que les autres; mais ses propos, ceux qu'il souffre chez lui, enfin tout ce qui marque une opinion, est contre nous. Aux comédiens il dit : « Cela ne durera pas ; » chez les ambassadeurs, il dénigre l'assemblée; à l'Opéra même, il se plaît à répandre les actes d'indiscipline des gardes nationales. Comment voulez-vous que j'aie confiance en lui?

M. Necker a pu voir que le côté gauche du président, que le club des jacobins ne voulaient pas perdre l'État. Tous ont été pour le plan des finances, tous ont adopté les nouveaux changements qu'il lui a plu d'y faire; les obstacles ne sont venus que de l'autre côté **.

[ocr errors]

Voyez la page 111 de ce volume.

** Ceci se rapporte probablement aux discussions de finauces du mois de novembre.

A M. DE BOUILLÉ *.

Paris, ce 14 novembre 1789.

J'ai tardé à vous répondre, mon cher cousin, parce que je mettais le plus grand prix à trouver l'homme dont vous me parlez; nous l'avons cherché avec soin sans pouvoir le reconnaître; il est possible que, dans tous les mouvements qui ont eu lieu, cet homme ait quitté le corps. Je voudrais que l'on envoyât à Paris un bas-officier, qui pût le désigner, et pour nous mettre en règle avec le pouvoir civil, il faudrait qu'il fût porteur d'un procès-verbal, avec signalement certifié par quelques officiers, et nommément le commandant du corps. Je ne puis mieux vous prouver mon zèle à cet égard, qu'en vous disant que M. Desmottes était chargé de la recherche.

C'est une fâcheuse affaire que celle des déserteurs, et l'armée serait bien injuste envers moi si

* M. de Bouillé a imprimé mes lettres et les siennes dans ses Mémoires, où les gens impartiaux trouveront la justification de ma conduite envers lui, sans que j'aie besoin d'appeler un autre témoignage que ses propres aveux et le texte de ses lettres. Bouillé a été un ennemi plus loyal que les Bertrand, les Dumouriez, les Rivarol, et l'auteur de la Notice sur Sieyes. (Note du général Lafayette.)

elle me croyait capable de négligence. Sans doute, j'ai souhaité que les soldats destinés contre nous passassent sous nos drapeaux; mais heureusement cette situation a duré peu de jours, après lesquels je n'ai vu la désertion que comme un embarras pour nous, et à présent, elle me parait un des fléaux les plus dangereux dont le royaume soit affligé. Mais lorsque, dans une garnison, il est difficile de résister aux influences secrètes, ou à la force des circonstances qui ont tant dérangé la discipline, croyez qu'il est difficile, au milieu d'une ville et d'une population immense, de repousser cette inondation de déserteurs qui ne viennent plus épouser notre cause, mais bien pour se soustraire à leur service, et qu'on doit avoir quelque justice pour la commune de Paris, dont les efforts ont été aussi sincères que continuels.

C'est après avoir bien pesé notre situation et nos difficultés, que le roi s'est déterminé à prolonger la permission jusqu'au 5 octobre, de manière que tout soldat engagé avant l'arrivée du roi, nous reste, et que les autres, même ceux du jour de l'arrivée, sont renvoyés à leur régiment où le roi ordonne qu'on leur fasse grâce, mais sans que, sous aucun prétexte, il puisse y avoir d'indulgence pour les nouveaux déserteurs.

Toutes les compagnies de la garde nationale seront épluchées avec le plus rigoureux scrupule, lundi et mardi. Les chefs et majors de division, commandants et majors de bataillon, et deux de

« PreviousContinue »