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ment sur le commerce de cette denrée, et des mesures qui ont été prises pour assurer la subsistance des peuples, et prévenir la cherté, sa majesté a reconnu que ces mesures n'ont point eu le succès qu'on s'en étoit promis.

Persuadée que rien ne mérite de sa part une attention plus prompte, elle a ordonné que cette matière fût de nouveau discutée en sa présence, afin de ne se décider qu'après l'examen le plus mûr et le plus réfléchi. Elle a vu avec la plus grande satisfaction que les plans les plus propres à rendre la subsistance de ses peuples moins dépendante des vicissitudes des saisons, se réduisent à observer l'exacte justice, à maintenir les droits de la propriété et la liberté légitime de ses sujets. En conséquence, elle s'est résolue à rendre au commerce des grains, dans l'intérieur de son royaume, la liberté qu'elle regarde comme l'unique moyen de prévenir, autant qu'il est possible, les inégalités excessives dans le prix, et d'empêcher que rien n'altère le prix juste et naturel que doivent avoir les subsistances, suivant la variation des saisons et l'étendue des besoins.

En annonçant les principes qu'elle a cru devoir adopter, et les motifs qui ont fixé sa décision, elle veut développer ces motifs, non seulement par un effet de sa bonté, et pour témoigner à ses sujets qu'elle se propose de les gouverner toujours comme un père conduit ses enfants, en mettant sous leurs yeux leurs véritables intérêts, mais encore pour prévenir et calmer les inquiétudes que le peuple conçoit si aisément sur cette matière, et que la seule instruction peut dissiper; surtout pour assurer davantage la subsistance des peuples, en augmentant la confiance des négociants dans des dispositions auxquelles elle ne donne la sanction de son autorité qu'après avoir vu qu'elles ont pour base la raison et l'utilité reconnues.

Sa majesté s'est donc convaincue que la variété des saisons et la

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claration de 1763, remise en vigueur par arrêt du 13 septembre 1774 ci-dessus. -Liberté pour Paris, par déclaration du 5 février 1776. Liberté maintenue dans le royaume, 23 novembre 1788. - Liberté conservée par décrets du 29 août, 18 septembre et 3 octobre 1789, 2 juin et 15 septembre 1790, et 26 septembre 1791, loi du 28 janvier 1792. Restriction par la loi du 16 septembre 1792. Liberté entière rétablie par la loi du 8 décembre 1792. Restriction nouvelle par la loi du 4 mai 1793; aggravée par août 1793, 10 septembre même année, et 25 brumaire an 2. lois du 4 nivôse an 3, 4 thermidor an 3, et 7 ventôse an 4. du 21 prairial an 5. Dérogation momentanée par décret du 4 mai 1812. → Restriction par décret du 8 du même mois; maintenant liberté entière.

lois des 9 et 17

- Diminuée par - Liberté par loi

diversité des terrains occasionent une très grande inégalité dans la quantité des productions d'un canton à l'autre, et d'une année à l'autre, dans le même canton; la récolte de chaque canton se trouvant par conséquent quelquefois au-dessus, et quelquefois au-dessous du nécessaire pour la subsistance des habitants, le peuple ne peut vivre dans les lieux et dans les années où les moissons ont manqué, qu'avec des grains, ou apportés des lieux favorisés par l'abondance, ou conservés des années antérieures : qu'ainsi le transport et la garde des grains sont, après la production, les seuls moyens de prévenir la disette des subsistances, parceque ce sont les seuls moyens de communication qui fassent du superflu la ressource du besoin.

La liberté de cette communication est nécessaire à ceux qui manquent de denrées, puisque, si elle cessoit un moment, ils seroient réduits à périr. Elle est nécessaire à ceux qui possèdent le superflu, puisque, sans elle, ce superflu n'auroit aucune valeur, et que les propriétaires, ainsi que les laboureurs, avec plus de grains qu'il ne leur en faut pour se nourrir, seroient dans l'impossibilité de subvenir à leurs autres besoins, à leurs dépenses de toute espèce et aux avances de la culture, indispensables pour assurer la production de l'année qui doit suivre. Elle est salutaire pour tous, puisque ceux qui, dans un moment, se refuseroient à partager ce qu'ils ont avec ceux qui n'ont pas, se priveroient du droit d'exiger les mêmes secours, lorsqu'à leur tour ils éprouveroient les mêmes besoins, et que, dans les alternatives de l'abondance et de la disette tous seroient exposés tour à tour au dernier degré de misère, qu'ils seroient assurés d'éviter tous en s'aidant mutuellement. Enfin elle est juste, puisqu'elle est et doit être réciproque, puisque le droit de se procurer, par son travail et par l'usage légitime de ses propriétés, les moyens de subsistance préparés par la Providence à tous les hommes ne peut être, sans injustice, ôté à personne.

Cette communication, qui se fait par le transport de la garde des grains, et sans laquelle toutes les provinces souffriroient alternativement, ou la disette, ou la non-valeur, ne peut être établie que de deux manières, ou par l'entremise du commerce laissé à lui-même, ou par l'intervention du gouvernement.

Les réflexions et l'expérience prouvent également que la voie du commerce libre est, pour fournir au besoin du peuple; la plus sûre, la plus prompte, la moins dispendieuse et la moins sujette à inconvénients.

Les négociants, par la multitude des capitaux dont ils disposent, par l'étendue de leurs correspondances, par la promptitude et l'exactitude des avis qu'ils reçoivent, par l'économie qu'ils savent mettre dans leurs opérations, par l'effet de l'habitude de traiter les affaires de commerce, ont des moyens et des ressources qui manquent aux administrateurs les plus éclairés et les plus actifs. Leur vigilance, excitée par l'intérêt, prévient les déchets et les pertes; leur concurrence rend impossible tout mo nopole, et le besoin continuel où ils sont de faire rentrer leurs fonds promptement, pour entretenir leur commerce, les engage à se contenter de profits médiocres; d'où il arrive que le prix des grains, dans les années de disette, ne reçoit guère que l'augmentation inévitable qui résulte des frais et risques du transport ou de la garde.

Ainsi, plus le commerce est libre, animé, étendu, plus le peuple est promptement, efficacement et abondamment pourvu : les prix sont d'autant plus uniformes, ils s'éloignent d'autant. moins du prix moyen et habituel, sur lequel les salaires se règlent nécessairement. Les approvisionnements faits par les soins du gouvernement ne peuvent avoir les mêmes succès. Son attention, partagée entre trop d'objets, ne peut être aussi active que celle des négociants, occupés de leur seul commerce.

Il connoît plus tard, il connoît moins exactement et les besoins et les ressources. Ses opérations, presque toujours précipitées, se font d'une manière plus dispendieuse.

Les agents qu'il emploie, n'ayant aucun intérêt à l'économie, achètent plus chèrement, transportent à plus grands frais, conservent avec moins de précaution, il se perd, il se gâte beaucoup de grains. Ces agents peuvent, par défaut d'habileté, ou même par infidélité, grossir à l'excès les dépenses de leurs opérations. Ils peuvent se permettre des manœuvres coupables à l'insu du gouvernement.

Lors même qu'ils en sont les plus innocents, ils ne peuvent éviter d'en être soupçonnés, et le soupçon rejaillit toujours sur l'administration qui les emploie, et qui devient odieuse au peuple, par les soins même qu'elle prend pour le secourir. De plus, quand le gouvernement se charge de pourvoir à la subsistance des peuples en faisant le commerce des grains, il fait seul ce commerce, parceque, pouvant vendre à perte, aucun négociant ne peut sans témérité s'exposer à sa concurrence. Dès lors l'administration est seule chargée de remplir le vide des récoltes. Elle

ne le peut qu'en y consacrant des sommes immenses, sur lesquelles elle fait des pertes inévitables. L'intérêt de son avance, le montant de ses pertes, forment une augmentation de charges pour l'état, et par conséquent pour les peuples, et deviennent un obstacle aux secours bien plus justes et efficaces que le roi, dans les temps de disette, pourroit répandre sur la classe indigente de ses sujets. Enfin, si les opérations du gouvernement sont mal combinées et manquent leur effet, si elles sont trop lentes, et que les secours n'arrivent point à temps, si le vide des récoltes est tel que les sommes destinées à cet objet par l'administration soient insuffisantes, le peuple, dénué des ressources que le commerce, réduit à l'inaction, ne peut plus lui apporter, reste abandonné aux horreurs de la famine et à tous les excès du désespoir.

Le seul motif qui ait pu déterminer les administrateurs à préférer ces mesures dangereuses aux ressources naturelles du commerce libre, a sans doute été la persuasion que le gouvernement se rendroit par là maître du prix des subsistances, et pourroit, en tenant les grains à bon marché, soulager le peuple et prévenir ses murmures. L'illusion de ce système est cependant aisée à reconnoître.

Se charger de tenir les grains à bon marché lorsqu'une mauvaise récolte les a rendus rares, c'est promettre au peuple une chose impossible, et se rendre responsable à ses yeux d'un mauvais succès inévitable.

Il est impossible que la récolte d'une année, dans un lieu déterminé, ne soit pas quelquefois au- -dessous du besoin des habitants, puisqu'il n'est que trop notoire qu'il y a des récoltes fort ́inférieures à la production de l'année commune, comme il y en a de fort supérieures. Or l'année commune des productions ne sauroit être au-dessus de la consommation habituelle; car le blé ne vient qu'autant qu'il est semé : le laboureur ne peut semer qu'autant qu'il est assuré de retrouver, par la vente de ses récoltes, le dédommagement de ses peines et de ses frais, et la rentrée de toutes ses avances, avec l'intérêt et le profit qu'elles lui auroient rapportés dans toute autre profession que celle de laboureur. Or si la production des mauvaises années étoit égale à la consommation, que celle des années moyennes fût, par conséquent, au-dessus, et celle des années abondantes incomparablement plus forte, le prix des grains seroit tellement bas, que le laboureur retireroit moins de ses ventes qu'il ne retireroit en

frais. Il est évident qu'il ne pourroit continuer un métier ruineux, et qu'il n'auroit de ressource que de semer moins de grains, en diminuant sa culture d'année en année, jusqu'à ce que la production moyenne, compensation faite des années abondantes et des années stériles, se trouvât correspondre à la consommation habituelle. La production d'une mauvaise année est donc nécessairement au-dessous des besoins.

Dès lors, le besoin étant aussi universel qu'impérieux, chacun s'empresse d'offrir à l'envi un prix plus haut de la denrée, pour s'en assurer la préférence.

Non seulement ce renchérissement est inévitable, mais il est l'unique remède possible de la rareté, en attirant la denrée par l'appât du gain.

Car, puisqu'il y a un vide, et que ce vide ne peut être rempli que par les grains réservés des années précédentes, ou apportés d'ailleurs, il faut bien que le prix ordinaire de la denrée soit augmenté du prix de la garde ou de celui du transport; sans l'assurance de cette augmentation, l'on n'auroit point gardé la denrée, on ne l'apporteroit pas, il faudroit donc qu'une partie du peuple manquât du nécessaire et pérît.

Quelques moyens que le gouvernement emploie, quelques sommes qu'il prodigue, jamais, et l'expérience l'a montré dans toutes les occasions, il ne peut empêcher que le blé ne soit cher quand les récoltes sont mauvaises. Si par des moyens forcés il réussit à retarder cet effet nécessaire, ce ne peut être que dans quelque lieu particulier, pour un temps très court; et en croyant soulager le peuple, il ne fait qu'assurer et aggraver ses malheurs.

Les sacrifices faits par l'administration pour procurer ce bas prix momentané sont une aumône faite aux riches au moins autant qu'aux pauvres, puisque les personnes aisées consomment, soit par elles-mêmes, soit par la dépense de leurs maisons, une très grande quantité de grains.

La cupidité sait s'approprier ce que le gouvernement a voulu perdre, en achetant au-dessous de son véritable prix une denrée sur laquelle le renchérissement, qu'elie prévoit avec une certitude infaillible, lui promet des profits considérables.

Un grand nombre de personnes, par la crainte de manquer, achètent beaucoup au-delà de leurs besoins, et forment ainsi · une multitude d'amas particuliers de grains, qu'elles n'osent consoinmer, qui sont entièrement perdus pour la subsistance

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