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mettant un si bon ordre à ses finances, qu'elles pussent fournir à tout sans fouler ses sujets; de sorte que, tranquille au-dedans et redoutable au-dehors, il se vit en état d'armer et d'entretenir soixante mille hommes et vingt vaisseaux de guerre, de quitter son royaume sans y laisser la moindre source de désordre, et de faire la guerre durant six ans sans toucher à ses revenus ordinaires, ni mettre un sou de nouvelles impositions.

A tant de préparatifs ajoutez, pour la conduite de l'entreprise, le même zèle et la même prudence qui l'avoient formée, tant de la part de son ministre que de la sienne; enfin, à la tête des expéditions militaires, un capitaine tel que lui, tandis que son adversaire n'en avoit plus à lui opposer : et vous jugerez si rien de ce qui peut annoncer un heureux succès manquoit à l'espoir du sien. Sans avoir pénétré ses vues, l'Europe attentive à ses immenses préparatifs en attendoit l'effet avec une sorte de frayeur. Un léger prétexte alloit commencer cette grande révolution; une guerre, qui devoit être la dernière, préparoit une paix immortelle, quand un événement, dont l'horrible mystère doit augmenter l'effroi, vint bannir à jamais le dernier espoir du monde. Le même coup qui trancha les jours de ce bon roi replongea l'Europe dans d'éternelles guerres qu'elle ne doit plus espérer de voir finir. Quoi qu'il en soit, voilà les moyens que Henri IV avoit rassemblés pour former le même établissement que l'abbé de Saint-Pierre prétendoit faire avec un livre.

Qu'on ne dise donc point que si son système n'a pas été adopté, c'est qu'il n'étoit pas bon qu'on dise au contraire qu'il étoit trop bon pour être adopté; car le mal et les abus, dont tant de gens profitent, s'introduisent d'eux-mêmes. Mais ce qui est utile au public ne s'introduit guère que par la force, attendu que les intérêts particuliers y sont presque toujours opposés. Sans doute la paix perpétuelle est à présent un projet bien absurde; mais qu'on nous rende un Henri IV et un Sully, la paix perpétuelle redeviendra un projet raisonnable : ou plutôt admirons un si beau plan, mais consolons-nous de ne pas le

voir exécuter; car cela ne peut se faire que par des moyens violents et redoutables à l'humanité.

On ne voit point de ligues fédératives s'établir autrement que par des révolutions: et, sur ce principe, qui de nous oseroit dire si cette ligue européenne est à desirer ou à craindre? Elle feroit peut-être plus de mal tout d'un coup qu'elle n'en préviendroit pour des siècles'.

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Voyez Hist. de J.J. Rousseau, tom. II, pag. 426 et suiv., un rapprochement entre cette ligue fédérative, celle que nous avons vu conclure, et les conditions nécessaires pour la durée de celle-ci.

POLYSYNODIE

DE

L'ABBÉ DE SAINT-PIERRE.

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