Page images
PDF
EPUB

en état de lui résister, étant unis en un corps, que quand il faudra terminer tout d'un coup de longs différends et se réunir à la hâte.

Nous venons de voir que tous les prétendus inconvénients de l'état de confédération bien pesés se réduisent à rien. Nous demandons maintenant si quelqu'un dans le monde en oseroit dire autant de ceux qui résultent de la manière actuelle de vider les différends entre prince et prince par le droit du plus fort, c'est-à-dire de l'état d'impolice et de guerre qu'engendre nécessairement l'indépendance absolue et mutuelle de tous les souverains dans la société imparfaite qui règne entre eux dans l'Europe. Pour qu'on soit mieux en état de peser ces inconvénients, j'en vais résumer en peu de mots le sommaire que je laisse examiner au lecteur.

1. Nul droit assuré que celui du plus fort. 2. Changements continuels et inévitables de relations entre les peuples, qui empêchent aucun d'eux de pouvoir fixer en ses mains la force dont il jouit. 3. Point de sûreté parfaite, aussi longtemps que les voisins ne sont pas soumis ou anéantis. 4. Impossibilité générale de les anéantir, attendu qu'en subjugant les premiers on en trouve d'autres. 5. Précautions et frais immenses pour se tenir sur ses gardes. 6. Défaut de force et de défenses dans les minorités et dans les révoltes; car quand l'état se partage, qui peut soutenir un des partis contre l'autre? 7. Défaut de sûreté dans les engagements mutuels. 8. Jamais de justice à espérer d'autrui sans des frais et des pertes immenses, qui ne l'obtiennent pas toujours, et dont l'objet disputé ne dédommage que rarement. 9. Risque inévitable de ses états et quelquefois de sa vie dans la poursuite de ses droits. 10. Nécessité de prendre part malgré soi aux querelles de ses voisins, et d'avoir la guerre quand on la voudroit le moins. 11. Interruption du commerce et des ressources publiques au moment qu'elles sont plus nécessaires. 12. Danger continuel de la part d'un voisin puissant si l'on est foible, et d'une ligue si l'on est fort. 13. Enfin, inutilité de la sagesse où préside la fortune; désolation

continuelle des peuples; affoiblissement de l'état dans les succès et dans les revers; impossibilité totale d'établir jamais un bon gouvernement, de compter sur son propre bien, et de rendre heureux ni soi ni les autres.

Récapitulons de même les avantages de l'arbitrage européen pour les princes confédérés.

1. Sûreté entière que leurs différends présens et futurs seront toujours terminés sans aucune guerre; sûreté incomparablement plus utile pour eux que ne seroit, pour les particuliers, celle de n'avoir jamais de procès.

2. Sujets de contestations ôtés ou réduits à très peu de chose par l'anéantissement de toutes prétentions antérieures, qui compensera les renonciations et affermira les possessions.

3. Sûreté entière et perpétuelle, et de la personne du prince, et de sa famille, et de ses états, et de l'ordre de succession fixé par les lois de chaque pays, tant contre l'ambition des prétendants injustes et ambitieux, que contre les révoltes des sujets rebelles.

4. Sûreté parfaite de l'exécution de tous les engagements réciproques entre prince et prince, par la garantie de la république européenne.

5. Liberté et sûreté parfaite et perpétuelle à l'égard du commerce, tant d'état à état, que de chaque état dans les régions éloignées.

6. Suppression totale et perpétuelle de leur dépense militaire extraordinaire par terre et par mer en temps de guerre, et considérable diminution de leur dépense ordinaire en temps de paix.

7. Progrès sensibles de l'agriculture et de la population, des richesses de l'état, et des revenus du prince.

8. Facilité de tous les établissements qui peuvent augmenter la gloire et l'autorité du souverain, les ressources publiques, et le bonheur des peuples.

Je laisse, comme je l'ai déja dit, au jugement des lecteurs l'examen de tous ces articles, et la comparaison de l'état de paix

qui résulte de la confédération avec l'état de guerre qui résulte de l'impolice européenne.

Si nous avons bien raisonné dans l'exposition de ce projet, il est démontré premièrement que l'établissement de la paix perpétuelle dépend uniquement du consentement des souverains, et n'offre point à lever d'autre difficulté que leur résistance; secondement, que cet établissement leur seroit utile de toute manière, et qu'il n'y a nulle comparaison à faire, même pour eux, entre les inconvénients et les avantages; en troisième lieu, qu'il est raisonnable de supposer que leur volonté s'accorde avec leur intérêt; enfin que cet établissement, une fois formé sur le plan proposé, seroit solide et durable, et rempliroit parfaitement son objet. Sans doute ce n'est pas à dire que les souverains adopteront ce projet (qui peut répondre de la raison d'autrui?), mais seulement qu'ils l'adopteroient s'ils consultoient leurs vrais intérêts: car on doit bien remarquer que nous n'avons point supposé les hommes tels qu'ils devroient être, bons, généreux, désintéressés, et aimant le bien public par humanité; mais tels qu'ils sont, injustes, avides, et préférant leur intérêt à tout. La seule chose qu'on leur suppose, c'est assez de raison pour voir ce qui leur est utile, et assez de courage pour faire leur propre bonheur. Si, malgré tout cela, ce projet demeure sans exécution, ce n'est donc pas qu'il soit chimérique; c'est que les hommes sont insensés, et que c'est une sorte de folie d'être sage au milieu des fous.

JUGEMENT

SUR LA PAIX PERPÉTUELLE.

« PreviousContinue »