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un mot, supposons que l'esprit du gouvernement soit constamment d'asseoir toutes les taxes sur le superflu des richesses, il arrivera de deux choses l'une: ou les riches renonceront à leurs dépenses superflues pour n'en faire que d'utiles, qui retourneront au profit de l'état; alors l'assiette des impôts aura produit l'effet des meilleures lois somptuaires, les dépenses de l'état auront nécessairement diminué avec celles des particuliers, et le fisc ne sauroit moins recevoir de cette manière qu'il n'ait beaucoup moins encore à débourser; ou si les riches ne diminuent rien de leurs profusions, le fisc aura dans le produit des impôts les ressources qu'il cherchoit pour pourvoir aux besoins réels de l'état. Dans le premier cas, le fisc s'enrichit de toute la dépense qu'il a de moins à faire; dans le second, il s'enrichit encore de la dépense inutile des particuliers.

Ajoutons à tout ceci une importante distinction en matière de droit politique, et à laquelle les gouvernements, jaloux de faire tout par eux-mêmes, devroient donner une grande attention. J'ai dit que les taxes personnelles et les impôts sur les choses d'absolue nécessité, attaquant directement le droit de propriété, et par conséquent le vrai fondement de la société politique, sont toujours sujets à des conséquences dangereuses, s'ils ne sont établis avec l'exprès consentement du peuple ou de ses représentants. Il n'en est pas de même des droits sur les choses dont on peut s'interdire l'usage; car alors le particulier n'étant point absolument contraint à payer, sa contribution peut passer pour volontaire, de sorte que le consentement particulier de chacun des contribuants supplée au consentement général, et le suppose même en quelque manière : car pourquoi le peuple s'opposeroit-il à toute imposition qui ne tombe que sur quiconque veut bien la payer! Il me paroît certain que tout ce qui n'est ni proscrit par les lois, ni contraire aux mœurs, et que le gouvernement peut défendre, il peut le permettre moyennant un droit. Si, par exemple, le gouvernement peut interdire l'usage des carrosses, il peut, à plus forte raison, imposer une taxe sur les carrosses moyen sage et utile d'en blâmer l'usage sans le

faire cesser. Alors on peut regarder la taxe comme une espèce d'amende dont le produit dédommage de l'abus qu'elle punit.

Quelqu'un m'objectera peut-être que ceux que Bodin appelle imposteurs, c'est-à-dire ceux qui imposent ou imaginent les taxes, étant dans la classe des riches, n'auront garde d'épargner les autres à leurs propres dépens, et de se charger euxmêmes pour soulager les pauvres; mais il faut rejeter de pareilles idées. Si, dans chaque nation, ceux à qui le souverain commet le gouvernement des peuples en étoient les ennemis par état, ce ne seroit pas la peine de rechercher ce qu'ils doivent faire pour les rendre heureux.

LETTRES

A M. BUTTA-FOCO

SUR

LA LÉGISLATION DE LA CORSE.

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