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leur corps, n'y pourroient pourtant faire dominer l'esprit de ce corps; et le sénat, ainsi mi-partie de membres à temps et de membres à vie, seroit aussi bien constitué qu'il est possible pour faire un pouvoir intermédiaire entre la chambre des nonces et le roi, ayant à-la-fois assez de consistance pour régler l'administration, et assez de dépendance pour être soumis aux lois. Cette opération me paroît bonne, parcequ'elle est simple, et cependant d'un grand effet.

On propose, pour modérer les abus du veto, de ne plus compter les voix par tête de nonce, mais de les compter par palatinats. On ne sauroit trop réfléchir sur ce changement avant que de l'adopter, quoiqu'il ait ses avantages et qu'il soit favorable à la forme fédérative. Les voix prises par masse et collectivement vont toujours moins directement à l'intérêt commun que prises ségrégativement par individu. Il arrivera très souvent - que parmi les nonces d'un palatinat un d'entre eux, dans leurs délibérations particulières, prendra l'ascendant sur les autres, et déterminera pour son avis la pluralité, qu'il n'auroit pas si chaque voix demeuroit indépendante. Ainsi les corrupteurs auront moins à faire, et sauront mieux à qui s'adresser. De plus, il vaut mieux que chaque nonce aít à répondre pour lui seul à sa diétine, afin que nul ne s'excuse sur les autres, que l'innocent et le coupable ne soient pas confondus, et que la justice distributive soit mieux observée. Il se présente bien des raisons contre cette forme, qui relâcheroit beaucoup le lien commun, et pourroit, à chaque diète, exposer l'état à se diviser. En rendant les nonces plus dépendants de leurs instructions et de leurs constituants, on gagne à-peu-près le même avantage sans aucun inconvénient. Ceci suppose, il est vrai, que les suffrages ne se donnent point au scrutin, mais à haute voix, afin que la conduite et l'opinion de chaque nonce à la diète soient connues, et qu'il en réponde en son propre et privé nom. Mais cette matière des suffrages étant une de celles que j'ai discutées avec le plus de soin dans le Contrat social', il est superflu de me répéter ici. Liv. IV, chap. II et iv.

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Quant aux élections, on trouvera peut-être d'abord quelque embarras à nommer à-la-fois dans chaque diète tant de sénateurs-députés, et en général aux élections d'un grand nombre sur un plus grand nombre qui reviendront quelquefois dans le projet que j'ai à proposer; mais, en recourant pour cet article au scrutin, l'on ôteroit aisément cet embarras au moyen de cartons imprimés et numérotés qu'on distribueroit aux électeurs la veille de l'élection, et qui contiendroient les noms de tous les candidats entre lesquels cette élection doit être faite. Le lendemain les électeurs viendroient à la file rapporter dans une corbeille tous leurs cartons, après avoir marqué, chacun dans le sien, ceux qu'il élit ou ceux qu'il exclut, selon l'avis qui seroit en tête des cartons. Le déchiffrement de ces mêmes cartons se feroit tout de suite, en présence de l'assemblée, par le secrétaire de la diète, assisté de deux autres secrétaires ad actum, nommés sur-le-champ par le maréchal dans le nombre des nonces présents. Par cette méthode, l'opération deviendroit si courte et si simple, que, sans dispute et sans bruit, tout le sénat se rempliroit aisément dans une séance. Il est vrai qu'il faudroit encore une règle pour déterminer la liste des candidats; mais cet article aura sa place, et ne sera pas oublié.

Reste à parler du roi, qui préside à la diète, et qui doit être, par sa place, le suprême administrateur des lois.

CHAPITRE VIII.

DU ROI.

C'EST un grand mal que le chef d'une nation soit l'ennemi né de la liberté, dont il devroit être le défenseur. Ce mal, à mon avis, n'est pas tellement inhérent à cette place qu'on ne pût l'en détacher, où du moins l'amoindrir considérablement. Il n'y a point de tentation sans espoir. Rendez l'usurpation impossible à vos rois, vous leur en ôterez la fantaisie; et ils mettront,

à vous

bien gouverner et à vous défendre, tous les efforts qu'ils font maintenant pour vous asservir. Les instituteurs de la Pologne, comme l'a remarqué M. le comte de Wielhorski, ont bien songé à ôter aux rois les moyens de nuire, mais non pas celui de corrompre; et les graces dont ils sont les distributeurs leur donnent abondamment ce moyen. La difficulté est qu'en leur ôtant cette distribution l'on paroît leur tout ôter : c'est pourtant ce qu'i' ne faut pas faire; car autant vaudroit n'avoir point de roi; et je crois impossible à un aussi grand état que la Pologne de s'en passer, c'est-à-dire d'un chef suprême qui soit à vie. Or, à moins que le chef d'une nation ne soit tout-à-fait nul, et par conséquent inutile, il faut bien qu'il puisse faire quelque chose; et si peu qu'il fasse, il faut nécessairement que ce soit du bien ou du mal.

Maintenant tout le sénat est à la nomination du roi : c'est trop. S'il n'a aucune part à cette nomination, ce n'est pas assez. Quoique la pairie en Angleterre soit aussi à la nomination du roi, elle en est bien moins dépendante, parceque cette pairie une fois donnée est héréditaire; au lieu que les évêchés, palatinats et castellanies, n'étant qu'à vie, retournent, à la mort de chaque titulaire, à la nomination du roi.

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J'ai dit comment il me paroît que cette nomination devroit se faire, savoir les palatins et grands castellans, à vie et par leurs diétines respectives; les castellans du second rang, à temps et par la diète. A l'égard des évêques, il me paroît difficile, à moins qu'on ne les fasse élire par leurs chapitres, d'en ôter la nomination au roi ; et je crois qu'on peut la lui laisser, excepté celle de l'archevêque de Gnesne', qui appartient naturellement à la diéte; à moins qu'on n'en sépare la primatie, dont elle seule doit disposer. Quant aux ministres, surtout les grands généraux et grands trésoriers, quoique leur puissance, qui fait

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Gnesne étoit autrefois la capitale de la Pologne. Son archevêque, primat du royaume et légat né du saint-siége, étoit chef de la république pendant l'interrègne, et c'étoit en son nom que s'expédioient les universaux pour la diète dite d'élection; il couronnoit les rois et les reines.

contre-poids à celle du roi, doive être diminuée en proportion de la sienne, il ne me paroît pas prudent de laisser au roi le droit de remplir ces places par ses créatures; je voudrois au moins qu'il n'eût que le choix sur un petit nombre de sujets présentés par la diète. Je conviens que, ne pouvant plus ôter ces places après les avoir données, il ne peut plus compter absolument sur ceux qui les remplissent: mais c'est assez du pouvoir qu'elles lui donnent sur les aspirants, sinon pour le mettre en état de changer la face du gouvernement, ou du moins pour lui en laisser l'espérance; et c'est surtout cette espérance qu'il importe de lui ôter à tout prix.

Pour le grand-chancelier, il doit, ce me semble, être de nomination royale. Les rois sont les juges nés de leurs peuples; c'est pour cette fonction, quoiqu'ils l'aient tous abandonnée, qu'ils ont été établis. Elle peut leur être ôtée; et quand ils ne veulent pas la remplir eux-mêmes, la nomination de leurs substituts en cette partie est de leur droit, parceque c'est toujours à eux de répondre des jugements qui se rendent en leur nom. La nation peut, il est vrai, leur donner des assesseurs, et le doit lorsqu'ils ne jugent pas eux-mêmes: ainsi le tribunal de la couronne, où préside, non le roi, mais le grand-chancelier, est sous l'inspection de la nation, et c'est avec raison que les diétines en nomment les autres membres. Si le roi jugeoit en personne, j'estime qu'il auroit le droit de juger seul. En tout état de cause, son intérêt seroit toujours d'être juste, et jamais des jugements iniques ne furent une bonne voie pour parvenir à l'usurpation.

A l'égard des autres dignités, tant de la couronne que des palatinats, qui ne sont que des titres honorifiques et donnent plus d'éclat que de crédit, on ne peut mieux faire que de lui en laisser la pleine disposition: qu'il puisse honorer le mérite et flatter la vanité, mais qu'il ne puisse conférer la puissance.

La majesté du trône doit être entretenue avec splendeur; mais il importe que de toute la dépense nécessaire à cet effet on en laisse faire au roi le moins qu'il est possible. Il seroit à desirer

que tous les officiers du roi fussent aux gages de la république, et non pas aux siens, et qu'on réduisît en même rapport tous les revenus royaux, afin de diminuer, autant qu'il se peut, le maniement des deniers par les mains du roi.

On a proposé de rendre la couronne héréditaire. Assurezvous qu'au moment que cette loi sera portée, la Pologne peut dire adieu pour jamais à sa liberté. On pense y pourvoir suffisamment en bornant la puissance royale. On ne voit pas que ces bornes posées par les lois seront franchies à trait de temps par des usurpations graduelles, et qu'un système adopté et suivi sans interruption par une fàmille royale doit l'emporter à la longue sur une législation qui, par sa nature, tend sans cesse au relâchement. Si le roi ne peut corrompre les grands par des graces, il peut toujours les corrompre par des promesses dont ses successeurs sont garants; et comme les plans formés par la famille royale se perpétuent avec elle, on prendra bien plus de confiance en ses engagements, et l'on comptera bien plus sur leur accomplissement, que quand la couronne élective montre la fin des projets du monarque avec celle de sa vie. La Pologne est libre, parceque chaque règne est précédé d'un intervalle où la nation, rentrée dans tous ses droits et reprenant une vigueur nouvelle, coupe le progrès des abus et des usurpations, où la législation se remonte et reprend son premier ressort. Que deviendront les pacta conventa, l'égide de la Pologne, quand une famille établie sur le trône à perpétuité le remplira sans intervalle, et ne laissera à la nation, entre la mort du père et le couronnement du fils, qu'une vaine ombre de liberté sans effet, qu'anéantira bientôt la simagrée du serment fait par tous les rois à leur sacre, et par tous oublié pour jamais l'instant d'après? Vous avez vu le Danemarck, vous voyez l'Angleterre, et vous allez voir la Suède : profitez de ces exemples pour apprendre une fois pour toutes que, quelques précautions qu'on puisse entasser, hérédité dans le trône et liberté dans la nation seront à jamais des choses incompatibles.

Les Polonois ont toujours eu du penchant à traus.nettre la

CONTRAT SOCIAL.

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