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bien singulier qu'avant le Contrat social, où je le donne. personne ne s'en fût avisé.

Un des plus grands inconvénients des grands états, celui de tous qui y rend la liberté le plus difficile à conserver, est que la puissance législative ne peut s'y montrer elle-même, et ne peut agir que par députation. Cela a son mal et son bien, mais le mal l'emporte. Le législateur en corps est impossible à corrompre, mais facile à tromper. Ses représentants sont difficilement trompés, mais aisément corrompus, et il arrive rarement qu'ils ne le soient pas. Vous avez sous les yeux l'exemple du parlement d'Angleterre, et par le liberum veto celui de votre propre nation. Or, on peut éclairer celui qui s'abuse; mais comment retenir celui qui se vend? Sans être instruit des affaires de Pologne, je parierois tout au monde qu'il y a plus de lumières dans la diète et plus de vertu dans les diétines.

Je vois deux moyens de prévenir ce mal terrible de la corruption, qui de l'organe de la liberté fait l'instrument de la servitude.

Le premier est, comme j'ai déjà dit, la fréquence des diètes, qui, changeant souvent les représentants, rend leur séduction plus coûteuse et plus difficile. Sur ce point votre constitution vaut mieux que celle de la Grande-Bretagne; et quand on aura ôté ou modifié le liberum veto, je n'y vois aucun autre changement à faire, si ce n'est d'ajouter quelques difficultés à l'envoi des mêmes nonces aux diètes consécutives, et d'empêcher qu'ils ne soient élus un grand nombre de fois. Je reviendrai ci-après sur cet article.

Le second moyen est d'assujétir les représentants à suivre exactement leurs instructions, et à rendre un compte sévère à leurs constituants de leur conduite à la diète. Là-dessus je ne puis qu'admirer la négligence, l'incurie, et j'ose dire la stupidité de la nation angloise, qui, après avoir armé ses députés de la suprême puissance, n'y ajoute aucun frein pour régler l'usage

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qu'ils en pourront faire pendant sept ans entiers que dure leur commission.

Je vois que les Polonois ne sentent pas assez l'importance de leurs diétines, ni tout ce qu'ils leur doivent, ni tout ce qu'ils peuvent en obtenir en étendant leur autorité et en leur donnant une forme plus régulière. Pour moi, je suis convaincu que si les confédérations ont sauvé la patrie, ce sont les diétines qui l'ont conservée, et que c'est là qu'est le vrai palladium de la liberté.

Les instructions des nonces doivent être dressées avec grand soin, tant sur les articles annoncés dans les universaux', que sur les autres besoins présents de l'état ou de la province, et cela par une commission présidée, si l'on veut, par le maréchal de la diétine, mais composée au reste de membres choisis à la pluralité des voix; et la noblesse ne doit point se séparer que ces instructions n'aient été lues, discutées et consenties en pleine assemblée. Outre l'original de ces instructions, remis aux nonces avec leurs pouvoirs, il en doit rester un double signé d'eux dans les registres de la diétine. C'est sur ces instructions qu'ils doiyent, à leur retour, rendre compte de leur conduite aux diétines de relation qu'il faut absolument rétablir, et c'est sur ce compte rendu qu'ils doivent être ou exclus de toute autre nonciature subséquente, ou déclarés derechef admissibles, quand ils auront suivi leurs instructions à la satisfaction de leurs constituants. Cet examen est de la dernière importance; on n'y sauroit donner trop d'attention ni en marquer l'effet avec trop de soin. Il faut qu'à chaque mot que le nonce dit à la diète, à chaque démarche qu'il fait, il se voie d'avance sous les yeux de ses constituants, et qu'il sente l'influence qu'aura leur jugement, tant sur ses projets d'avancement que sur l'estime de ses compatriotes, indispensable pour leur exécution; car enfin ce n'est pas pour y dire leur sentiment particulier, mais pour y déclarer les

'On appeloit universaux les lettres de convocation pour la diète générale expédiées au nom du roi dans tous les palatinats; elles faisoient toujours connoître l'objet de la convocation, et ce qui devoit être mis en délibération dans la diète.

volontés de la nation, qu'elle envoie des nonces à la diète. Ce frein est absolument nécessaire pour les contenir dans leur devoir et prévenir toute corruption, de quelque part qu'elle vienne. Quoi qu'on en puisse dire, je ne vois aucun inconvénient à cette gêne, puisque la chambre des nonces, n'ayant ou ne devant avoir aucune part au détail de l'administration, ne peut jamais avoir à traiter aucune matière imprévue d'ailleurs, pourvu qu'un nonce ne fasse rien de contraire à l'expresse volonté de ses constituants, ils ne lui feroient pas un crime d'avoir opiné en bon citoyen sur une matière qu'ils n'auroient pas prévue, et sur laquelle ils n'auroient rien déterminé. J'ajoute enfin que, quand il y auroit en effet quelque inconvénient à tenir ainsi les nonces asservis à leurs instructions, il n'y auroit point encore à balancer vis-à-vis l'avantage immense que la loi ne soit jamais que l'expression réelle des volontés de la nation.

Mais aussi, ces précautions prises, il ne doit jamais y avoir conflit de juridiction entre la diète et les diétines; et quand une loi a été portée en pleine diète, je n'accorde pas même à cellesci droit de protestation. Qu'elles punissent leurs nonces, que, s'il le faut, elles leur fassent même couper la tête quand ils ont prévariqué : mais qu'elles obéissent pleinement, toujours, sans exception, sans protestation; qu'elles portent, comme il est juste, la peine de leur mauvais choix; sauf à faire à la prochaine diète, si elles le jugent à propos, des représentations aussi vives qu'il leur plaira.

Les diètes étant fréquentes ont moins besoin d'être longues, et six semaines de durée me paroissent bien suffisantes pour les besoins ordinaires de l'état. Mais il est contradictoire que l'autorité souveraine se donne des entraves à elle-même, surtout quand elle est immédiatement entre les mains de la nation. Que cette durée des diètes ordinaires continue d'être fixée à six semaines, à la bonne heure; mais il dépendra toujours de l'assemblée de prolonger ce terme par une délibération expresse lorsque les affaires le demanderont. Car enfin, si la diète, qui, par sa nature, est au-dessus de la loi, dit: Je veux rester, qui est

ce qui lui dira: Je ne veux pas que tu restes? Il n'y a que le seul cas qu'une diète voulût durer plus de deux ans, qu'elle ne le pourroit pas; ses pouvoirs alors finiroient et ceux d'une autre diète commenceroient avec la troisième année. La diète, qui peut tout, peut sans contredit prescrire un plus long intervalle entre les diètes; mais cette nouvelle loi ne pourroit regarder que les diètes subséquentes, et celle qui la porte n'en peut profiter. Les principes dont ces règles se déduisent sont établis dans le Contrat social.

A l'égard des diètes extraordinaires, le bon ordre exige en effet qu'elles soient rares, et convoquées uniquement pour d'urgentes nécessités. Quand le roi les juge telles, il doit, je l'avoue, en être cru: mais ces nécessités pourroient exister et qu'il n'en convînt pas; faut-il alors que le sénat en juge? Dans un état libre on doit prévoir tout ce qui peut attaquer la liberté. Si les confédérations restent, elles peuvent en certains cas suppléer les diètes extraordinaires, mais si vous abolissez les confédérations, il faut un réglement pour ces diètes nécessairement.

Il me paroît impossible que la loi puisse fixer raisonnablement la durée des diètes extraordinaires, puisqu'elle dépend absolument de la nature des affaires qui les font convoquer. Pour l'or⚫dinaire la célérité y est nécessaire; mais cette célérité étant relative aux matières à traiter qui ne sont pas dans l'ordre des affaires courantes, on ne peut rien statuer là-dessus d'avance, et l'on pourroit se trouver en tel état qu'il importeroit que la diète restât assemblée jusqu'à ce que cet état eût changé, ou que le temps des diètes ordinaires fit tomber les pouvoirs de celle-là.

Pour ménager le temps, si précieux dans les diètes, il faudroit tâcher d'ôter de ces assemblées les vaines discussions qui ne servent qu'à le faire perdre. Sans doute il y faut non-seulement de la règle et de l'ordre, mais du cérémonial et de la majesté. Je voudrois même qu'on donnât un soin particulier à cet article, et qu'on sentît, par exemple, la barbarie et l'horrible ndécence de voir l'appareil des armes profaner le sanctuaire des

lois. Polonois, êtes-vous plus guerriers que n'étoient les Romains? et jamais, dans les plus grands troubles de leur république, l'aspect d'un glaive ne souilla les comices ni le sénat. Mais je voudrois aussi qu'en s'attachant aux choses importantes et nécessaires on évitât tout ce qui peut se faire ailleurs également bien. Le rugi, par exemple, c'est-à-dire l'examen de la légitimité des nonces, est un temps perdu dans la diète, non que cet examen ne soit en lui-même une chose importante, mais parcequ'il peut se faire aussi bien et mieux dans le lieu même où ils ont été élus, où ils sont le plus connus, et où ils ont tous leurs concurrents. C'est dans leur palatinat même, c'est dans la diétine qui les députe, que la validité de leur élection peut être mieux constatée et en moins de temps, comme cela se pratique pour les commissaires de Radom et les députés au tribunal. Cela fait, la diète doit les admettre sans discussion sur le laudum dont ils sont porteurs, et cela non seulement pour prévenir les obstacles qui peuvent retarder l'élection du maréchal', mais surtout les intrigues par lesquelles le sénat ou le roi pourroient gêner les élections et chicaner les sujets qui leur seroient désagréables. Ce qui vient de se passer à Londres est une leçon pour les Polonois. Je sais bien que ce Wilkes n'est qu'un brouillon; mais par l'exemple de sa réjection la planche est faite, et désormais on n'admettra plus dans la chambre des communes que des sujets qui conviennent à la cour.

Il faudroit commencer par donner plus d'attention au choix des membres qui ont voix dans les diétines. On discerneroit par là plus aisément ceux qui sont éligibles pour la nonciature. Le livre d'or de Venise est un modèle à suivre à cause des facilités qu'il donne. Il seroit commode et très aisé de tenir dans chaque grod un registre exact de tous les nobles qui auroient, aux con

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Quoique le roi eût le droit de convoquer les diètes générales et en fùt le président né, le premier acte de la diète étoit l'élection d'un fonctionnaire qui, sous le titre de Maréchal des nonces, exerçoit réellement cette présidence avec les attributions les plus étendues. Il étoit choisi alternativement entre les seigneurs les plus considérés de la grande Pologne, de la petite Pologne, et de la Lithuanie.

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