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» ne mérita jamais de perdre ; leurs >> ouvrages ont été lus avec avidité, et >> des larmes touchantes en ont baigné >> les pages; mais il n'étoit entré encore >> dans l'esprit de personne, de peindre >> l'infortuné monarque par ses pen>>sées les plus secrètes, par les extraits » de ses manuscrits, par ses analyses, » par sa correspondance publique et » particulière; c'est cependant le » moyen le plus sûr de l'apprécier, » que de le voir, non dans sa cour >> au milieu de ses courtisans, avec » l'espèce d'ame d'emprunt que lui » prêtoit l'habitude de commander, >> mais én présence de ses amis intimes, » de la nature, et de soi-même; c'est » à cette épreuve qu'on reconnoît >> l'homme sans tache, et que quelque>> fois on se dégoûte du grand homme. » Le but de cet ouvrage est de devancer » le jugement de la postérité, en jetant » quelques fleurs sur la tombe d'un

>> prince ami des hommes, dont cer»tainement les générations à naître » feront un jour l'apothéose. »

Le moyen le plus sûr de juger des hommes, comme le dit, avec raison, l'éditeur, c'est de les voir dépouillés, pour ainsi dire, de cette ame d'emprunt qu'ils doivent aux circonstances. Combien de fois, en lisant l'histoire, n'éprouvons-nous pas le désir inquiet dé connoître la vie privée et les sentimens réels des personnages qui ont joué un grand rôle. Nous les considérons comme des astres éloignés qui brillent dans la nuit des temps; et nous voudrions avoir un télescope rationel qui put nous aider à percer cette obscurité ténébreuse des siècles qui nous dérobe leur éclat.

Quoiqu'on puisse penser des motifs qui ont engagé les éditeurs français à

publier cette correspondance, il est très-douteux qu'elle réponde au but qu'ils se sont proposés. Nous vivons, on le sait, et on l'a déjà dit, dans un siècle examinateur, où les premières impressions que produit un objet, cèdent souvent à celles qui résultent d'une discussion plus approfondie.

Au commencement de la révolution de France, les amis de la liberté considérérent Louis XVI comme une puissance hostile. Dans ses divers progrès, on lui vit faire plusieurs fois une profession solennelle d'un attachement sincère aux principes sur lesquels elle étoit fondée, et aux réformes qu'ils avoient introduites. Il accepta le titre de Restaurateur de la liberté française; et il s'obligea, par les sermens les plus sacrés, à maintenir et à faire exécuter les lois constitutionnelles. En lisant ces lettres, qui, suivant les expressions de

ceux qui avoient formé le dessein de les publier, nous le montrent, dans son intérieur, en présence de ses amis les plus intimes, de la nature et de luimême, on est porté à croire, ou qu'on s'est mépris jusqu'alors sur le vrai sens de ces mots, ou que la conscience des princes de la terre est d'une nature plus accommodante que celle des autres hommes: et, quelque disposition qu'on puisse avoir à jeter quelques fleurs sur la tombe d'un infortuné, il est permis de douter que la postérité, même la plus reculée, décerne jamais à Louis XVI les honneurs de l'apothéose.

Et qu'on ne pense pas qu'une pareille opinion soit hasardée ou trop rigoureuse ; si l'on peut mesurer le temps par la succession des idées, il s'est écoulé plusieurs siècles depuis le règne de Louis XVI. Nous pouvons donc nous considérer, à son égard, comme une

postérité anticipée, et comme en état de le juger, avec cette tranquille impartialité qui, dans le cours ordinaire du monde, appartient essentiellement aux générations futures. Mais, indépendamment de cette considération, quels que puissent être les sentimens ou les opinions particulières d'un écrivain, sur les hommes ou sur les événemens lorsqu'il se hasarde à manier le pinceau de l'histoire, il ne doit jamais perdre de vue la dignité du caractère qu'il va remplir, ni oublier, selon la belle expression de Johnson, qu'il est un des ministres de la vérité.

En jetant les yeux sur l'immense tableau de la révolution française, on aperçoit d'abord Louis XVI. En le voyant revêtu d'un pouvoir absolu, et consentant avec peine à en céder une petite portion, lorsqu'il lui en restoit encore une si grande, une ame

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