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LETRRE VIII,

4 M. de Maurepas.

(Sans date.)

ON veut le renvoi de M. de St.-Germain. Vous vous plaignez vous-même, mon cher Maurepas, des innovations et des réformes que son zèle, pour mon service, lui a fait faire. J'étois persuadé que ces réformes et ces innovations étoient utiles. Dans mon conseil d'État j'ai souvent entendu, avec intérêt, la lecture de ses mémoires; ils me paroissoient dictés par la sagesse, l'amour

de l'ordre et de l'économie. St.-Germain me plaisoit, mais on se ligue contre lui; ses ennemis ont juré sa perte. Il a perdu votre confiance, mon cher Maurepas, il ne pourroit plus faire le bien. Je suis forcé de l'éloigner; mais je vous avoue que son mémoire a fait sur moi la plus vive impression. C'est à regret que je lui donne un successeur : je devrois peut-être, en cette circonstance,

résister à mon conseil, mais je dois, quoique roi, faire céder mon opinion à celle de la majorité, et j'ai signé,

LOUIS

OBSERVATIONS

Sur la huitième lettre.

Si nous n'avions pas déjà des preuves suffisantes de l'instabilité des résolutions du roi, et de la foiblesse de son caractère, cette lettre nous en fourniroit un autre exemple 'frappant. M. de Saint-Germain étoit non-seulement personnellement agréable à Louis XVI, il paroît même se plaire à faire son éloge, en le renvoyant. Le monarque étoit persuadé que les réformes que ce ministre avoit faites, ou qu'il avoit dessein de faire, étoient utiles; que les mémoires qu'il lui avoit remis étoient dictés par la sagesse, l'amour de l'ordre et de l'économie; ils avoient fait la plus vive impression sur son esprit; mais, ajoute-t-il

avec une extrême simplicité, « Ses ennemis » ont juré sa ruine. Vous même, mon cher >> Maurepas, vous vous êtes plaint des innova>>tions et des réformes que son zèle pour >> mon service l'a engagé à faire. »

Il étoit infiniment naturel que les ennemis « de la sagesse, de l'amour de l'ordre et de >> l'économie, jurassent la ruine d'un ministre >> réformateur » ; et il étoit aussi très-raisonnable que l'astucieux Mentor désirât de mettre un terme à l'ascendant que ce ministre intègre avoit déjà pris sur l'esprit du jeune monarque. Ils suivoient tous leur instinct. Mais, lorsqu'on réfléchit sur l'histoire de ces renvois, dont cette correspondance nous découvre les causes secrètes, il est impossible de ne pas déplorer le destin du roi; en le voyant placé, comme Médée, entre le bien et le mal; appréciant l'un avec tous les sentimens d'honneur et d'intégrité qui caractérisent la vertu; et quoiqu'armé de toute la force nécessaire pour le faire, cédant malheureusement à l'autre, et le consammant tout-à-fait. Et lorsque l'ame s'élève au-dessus des intrigues des cours, et de la petitesse des individus qui s'y agitent

sans cesse, comment ne gémiroit-on pas sur le sort des nations qui se trouvent livrées à de tels ministres et à de pareils princes? Le roi est convaincu, il le dit à son favori, que les ennemis de M. de Saint-Germain sont les ennemis des plans qu'il a formés pour le bien de l'Etat et, qui chasse-t-il de sa présence? est-ce ces brigands connus par leur gaspillage et leur rapacité, qui forment la majorité de son conseil? Non, c'est l'homme de bien, l'homme intègre, le ministre de son choix, celui qui a, et qui mérite tout son attachement, et toute son estime. Je crois qu'on reconnoît généralement aujourd'hui, que les plans de réforme du ministre disgracié ne méritoient pas tous les éloges que le roi leur donnoit; et qu'en quittant sa place, il ne montra pas cette noblesse de caractère, et cette indépendance, qui distinguèrent ses deux autres collègues. Mais le roi étoit viveinent frappé de leur utilité; et il avoit la plus grande confiance dans son administration cependant comme le ministre avoit perdu celle de son conseil et de ses courtisans, il le met entièrement hors d'état de « faire le bien » plus long-temps,

L'administration de ces trois ministres est certainement l'époque la plus importante du règne de Louis XVI, jusqu'au moment où la révolution en amena une encore plus remarquable. On peut les regarder comme les causes principales de ce grand événement; et si le roi avoit eu de la fermeté, avec les bonnes intentions qu'il manifesta, il n'y a pas de doute que la réforme des abus, et l'introduction graduelle de la liberté civile et politique, auroient garanti la France de la plupart des calamités qui l'ont si cruellement affligée, et lui-même de la terrible catastrophe qui a terminé sa vie.

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