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du monde. C'étoit l'amour du genre humain qui le dévoroit, le consumoit. La cour pouvoit disgracier Turgot, mais son pays conservera toujours sa mémoire avec la plus profonde vénération; et tous les peuples qui porteront leurs regards sur son administration et sur son influence, honoreront en lui l'ami du genre humain, et le bienfaiteur du monde.

d'an

Il ne s'est écoulé encore bien que peu nées les parlemens, la noblesse, Maurepas, le monarque et la monarchie ont disparu. Que reste-t-il? Le souvenir consolant des vertus de Turgot, et ce monument immense et imposant dont il jeta les fondemens; les grands, les immortels principes de la révolution française !

LETTRE VII.

A M. de Malesherbes.

Versailles, 7 Mai, 1776.

VOTRE obstination m'afflige singulièrement, mon cher Malesherbes. Sully ne quittoit jamais Henri IV quand ce prince avoit besoin de ses lumières. Vous êtes, si vous me permettez de le dire, un peu égoïste dans votre vertu.

Enfin vous voulez votre retraite, et je vous l'accorde. Voyagez donc, puisque vous avez besoin de voir d'autres contrées que celle qui vous regrette, et que vous pouviez rendre heureuse.

A votre retour, venez me voir comme à l'ordinaire, et m'entretenir avec la même intimité : mon visage, à cette époque, nc sera pas plus changé que mon cœur; et,

n'ayant que de l'estime l'un pour l'autre, nous n'aurons pas besoin de nous récon

cilier.

LOUIS.

OBSERVATIONS

Sur la septième lettre.

Si jamais rien put égaler l'inconstance et la foiblesse de Louis XVI, ce fut la simplicité avec laquelle il supposoit que M. de Malesherbes pouvoit rester dans le ministère, après la déanission de M. Turgot. A la fin de la lettre précédente, le roi en cherchant à colorer ce qu'il appelle « un acte de rigueur »> contre M. Turgot, s'efforce de retenir M. de Malesherbes, en lui observant qu'il possède tous les talens de son ami, sans l'aspérité de son caractère; et qu'il attendoit avec patience le lendemain, pour le bien qu'il n'avoit pu faire la veille. Mais M. de Malesherbes con noissoit trop bien l'instabilité de sa situation;

il savoit, en outre, qu'il ne pouvoit rester en place avec honneur, après l'expulsion de son ami; et non-seulement de son ami, mais encore des principes qui l'avoient guidé jusques alors, et qui étoient la base de leur union.

M. de Malesherbes n'hésita pas; sa démission suivit immédiatement celle de M. Turgot il paroît, par cette lettre, que dans l'intervalle, qui ne fut que de cinq jours, le roi devoit l'avoir beaucoup pressé, puisqu'il traite sa persévérance, dans son refus, d'opiniâtreté. Le roi cherche à le gagner par des allusions flatteuses; il lui parle de Henri IV et de Sully. Mais, quelque ressem→ blance qu'il pût y avoir entre les deux ministres, certainement M. de Malesherbes ne pouvoit s'empêcher de trouver, du moins à certains égards, une distance immense entre Louis XVI et le Grand Henri. Il sentit aussi, que si, comme le roi le lui reprochoit, il étoit un peu égoïste dans sa vertu, il ne méritoit pas un meilleur sort que son ami, que le roi venoit de lui dépeindre comme trop inflexible dans le bien qu'il croyoit faire. M. de Malesherbes,

malgré tout son zèle pour la cause du peuple, et cet attachement personnel pour le roi, dont sa conduite prouve depuis la sincérité, ne vouloit pas se déshonorer aux yeux de son pays, et de la postérité, en restant en place. Il avoit trop de raison de s'estimer lui-même, pour ne pas regarder comme indigne de lui, de servir d'instrument à un ministre intrigant et hypocrite; et il refusa de se rendre aux sollicitations du roi. M. de Maurepas avoit acquis un si grand ascendant sur le monarque, que le vertueux Malesherbes ne pouvoit se flater de lui voir suivre d'autres avis que ceux de ce ministre, sur-tout après la fatale influence qu'il venoit d'exercer au sujet de son ancien collègue,

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