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la réforme de Rheims, qui devoit éviter tant de dépenses inutiles à l'Etat, le ministre pourroit s'amuser peut-être à calculer aussi les avantages qui résulteroient pour le peuple, de quelques expériences économiques sur les riches propriétés de l'église. Comme gardien naturel de ces propriétés, le clergé étoit fondé, sans doute, dans les remontrances qu'il fit à cette époque, et dont nous aurons peut-être occasion de parler plus amplement dans la suite.

Il y avoit certainement plusieurs des membres de ce corps qui pensoient du pigeon de Rheims et du baptême de Clovis, comme M. Turgot: M. de Malesherbes, et Louis XVI lui-même en avoient pensé dans le temps; mais c'étoit des incrédules, des infidèles, des apostats qui s'étoient rangés sous les bannières de la philosophie. Si les autres n'étoient pas aussi scru→ puleux, ils étoient du moins plus sages; ils raisonnoient comme le sénateur Crassus, dont parle Tite-Live, qui reprochoit à ceux de sa caste leur indifférence pour les béquétemens importans des poulets sacrés; dont l'utile observation appartenoit exclusivement aux pa

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triciens, et avoit élevé la République au plus haut degré de grandeur.

Il seroit superflu de s'arrêter plus longtemps sur les réformes de M. Turgot, puisqu'elles ont été mises en évidence de tant de manières, et entièrement réalisées par la révolution. La lettre du roi est d'autant plus intéressante, qu'elle nous fait connoître les véritables sentimens du roi, à cette époque et sur M. Turgot, et sur ses opérations. Nous ignorons de quel mémoire veut parler le roi. Il semble seulement qu'il avoit rapport à quel que grand projet de réforme proposé par le ministre. Aussi long-temps que le roi persista dans la même façon de penser, il mérita sans doute le surnom de Titus que Voltaire lui avoit donné; mais la lettre suivante nous montre quel fut le sort du moderne Sully.

LETTRE VI.

A M. de Malesherbes.

Versailles, 7 Mai, 1776.

TURGOT, mon cher Malesherbes, ne convient plus à la place qu'il occupe; il est trop entier, même dans le bien qu'il croit faire. Le despotisme, à ce que je vois, n'est bon à rien, dût-il forcer un grand peuple à être heureux. Le parlement, la noblesse, Maurepas sur-tout, qui m'aime véritablement, demandent sa retraite, et je viens de la signer; je ne vois pas pourquoi cet acte de rigueur, nécessaire à la tranquillité publique, entraîneroit votre démission: vous avez les talens de Turgot, mais non l'aspérité de son caractère ; vous êtes tolérant sans être foible, et le bien que vous désespérez de faire aujourd'hui, vous avez la sagesse de le renvoyer au lendemain.

Restez au ministère, mon cher Malesherbes; votre franchise m'est nécessaire encore, et vous la devez à votre ami, si vous ne la devez pas à votre roi.

LOUIS.

OBSERVATIONS

Sur la sixième lettre.

M. Turgot étoit parvenu, en ce moment, à la fin de sa carrière ministérielle. Il avoit réussi à se faire des ennemis dans toutes les réformes qu'il avoit proposées; et comme, à l'exception de sa conscience et de la rectitude de ses vues, il n'avoit d'autre soutien que l'approbation du roi, il devoit tomber naturellement, aussitôt que cet appui viendroit à lui manquer.

Deux ou trois jours avant que le roi prononçât son renvoi, M. Turgot observa au

monarque que cet événement ne pouvoit pas être éloigné. Il lui avoit fait connoître sa façon de penser à cet égard, dans quelques lettres antérieures; et, convaincu de l'incertitude d'un emploi qui dépendoit entièrement de la faveur du roi et de sa persévérance, il lui avoit observé, avec une sorte de sévérité prophétique, que le sort des princes foibles devoit ressembler à celui de Charles I. d'Angleterre, ou Charles IX de France.

C'est à M. de Malesherbes que le roi fait part de sa détermination. C'est à l'ami et au collègue du ministre qu'il veut disgracier, qu'il s'adresse pour l'accuser. « Turgot, lui dit-il, mon cher Malesherbes, est..... » Quoi? Un ministreambitieux, négligent, prodigue?... Non. «Il est trop entier dans le bien qu'il veut faire. >> Trop juste, trop inflexible....... Quel ministre ! Quelle accusation !.... « Le despotisme, dit le roi, n'est bon à rien; dût-il même forcer le peuple à être heureux. » Cette idée, prise abstractivement, est juste; elle est sublime même, sortant de la bouche d'un puissant monarque; mais la phrase qui suit en présente le commentaire, et l'excuse du

ministre.

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