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nion, que comme le résultat du dépit de se voir prévenu dans les plans de réforme qu'il avoit conçu lui-même. « Il pleura», c'est le frère de M. Turgot qui parle, « comme fit Alexandre en apprenant les conquêtes de son père; conquêtes qu'il auroit voulu avoir faites lui-même. » Guidé par le même sentiment, M. Necker attaqua ces plans, qui avoient pour but la régénération de la France, et ses intérêts les plus chers, son commerce et ses finances. Son pamphlet parut au moment même où l'on vit naître cette fameuse révolte que les ennemis du ministre avoient excitée.

La grande base des opérations de M. Turgot, étoit ce système plus généralement connu sous le nom de système des économistes, qui consiste dans l'amélioration des terres, et l'augmentation de leur produit, sur lequel il se proposoit d'asseoir les principaux revenus de l'Etat. Cet impôt, sous le nom de contribution foncière, forme aujourd'hui à-peuprès la moitié du revenu de la République Française. Pour établir ce système, il se vit obligé d'employer des mesures qui blessoient

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les intérêts de plusieurs personnes puissantes: mais comme il montroit, dans cette réforme, un désintéressement avantageux pour la nation, et sur-tout pour le pauvre; l'enthousiasme le plus vif en fut le résultat, et lui fit donner le surnom honorable de vertueux, qu'il a toujours conservé depuis.

Avec cet appui, M. Turgot entreprit la régénération totale de la France. Chaque réforme qu'il fit ou qu'il proposa, lui attira une foule d'ennemis. Il devoit s'y attendre ; il lui étoit impossible d'améliorer le sort du peuple, sans attaquer les priviléges et la puissance des grands; et il étoit difficile de les faire consentir à se voir dépouillés, sans exciter leurs clameurs et leur haine. Il leur opposoit les bénédictions des malheureux qu'il soulageoit ou qu'il enrichissoit; et l'approbation du roi le soutenoit contre les calomnies et les menaces de la cour. Il paroît même qu'il ne fut pas insensible à l'hommage que lui présentèrent les Muses, par l'organe du philosophe de Ferney.

Voltaire qui avoit si souvent prostitué sa

plume à tout ce qui avoit de la richesse ou du pouvoir, voulut sans doute expier sa lâcheté, en célébrant la vertu à la fin de sa vie Voici les vers qu'il adressa à M. Turgot:

On m'accuse d'avoir chanté
Maupeou, Terray. . . . à ma patrie
Odieux pour l'éternité :

Alors je pris la liberté

D'abuser de la poésie;

J'employai le pinceau brillant
De l'art et de la flatterie.

Mais aujourd'hui lorsque je crie,
Presque des bords du monument
Où je vais déposer ma vie:
Que mon pays à son Titus,
Son Sully, son second Turenne;
Que les beaux-arts, et les vertus
Annoncent sa gloire prochaine :
Mes accens n'en imposent plus,
Et j'ai pris ma voix naturelle.
C'est pour le coup que tout est bien;
Et le poète au vrai fidèle

N'est plus qu'un simple historien.

Le suffrage de M. de Voltaire ne prouveroit sependant rien d'extraordinaire dans le mi

nistre, puisque le poète avoit toujours prodigué ses louanges aux gens en place. Mais on assure que M. Turgot avoit des titres plus particuliers à son hommage, à cause d'une grande réforme qu'il avoit en vue, à laquelle cet écrivain philosophique avoit consacré la plus grande partie de ses travaux et de sa vie.

On prétend que quoique M. Turgot eût fait jadis profession de croire aux vérités du christianisme, il avoit donné dans le septicisme, dans un âge plus avancé. Ces dispositions anti-religieuses paroissoient non-seulement dangereuses au clergé, dans un ministre d'Etat; mais encore plus dans un ministre des finances, entaché de vues économiques. On auroit pu tolérer cette hérésie criminelle, si elle eût été bornée à des opinions spéculatives; mais l'alarme pour la sûreté de l'église et de l'État devint générale; du moins parmi le clergé, lorsqu'il entendit parler du projet économique de changer le lieu ordinaire du sacre des rois, de Rheims à Paris; de faire déménager la sainte ampoule, apportée du ciel par un pigeon; de modifier, dans le serment du sacre,

quelques expressions qui paroissoient être plus favorables aux prêtres qu'aux laïques; et d'y supprimer l'engagement d'exterminer les hérétiques.

Des observateurs ordinaires, ni même, peutêtre, des esprits plus réfléchis, n'aperçoivent pas, d'abord, quel rapport il peut y avoir entre des opérations de finances, et des innovations en matières de foi. Le clergé qui, par son éducation et ses habitudes, est accoutumé à des réflexions plus profondes, et à voir de beaucoup plus loin que le reste des hommes; et qui a, par conséquent, infiniment plus de pénétration et de sagacité pour découvrir et discerner l'hérésie, s'aperçut aussitôt du rapport étroit qui existoit entre le pigeon de Rheims, le baptême de Clovis, et plusieurs autres objets importans pour l'église, et pour le juste maintien de sa dignité. Il sentit que cet esprit de calcul qui anticipoit déjà les détails économiques d'une cérémonie éloignée, pourroit peut-être s'arrêter, dans l'intervalle, sur les bénéfices, les abbayes, les prieurés, des dîmes, les immenses forêts, les domaines. étendus qu'il possédoit; et qu'en attendant

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