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OBSERVATIONS

Sur la cinquième lettre.

Le nom de M. Turgot est devenu si familier, et sa conduite ministérielle a eu une si grande influence sur les destinées de la nation française, qu'il est presque inutile d'entrer dans aucun détail sur son histoire personnelle, ou sur celle de son administration. C'est de l'instant où cet homme célèbre fut nommé à la place de contrôleur-général, ou ministre des finances, qu'on peut dater l'époque de la révolution française. Car, quoique cet événement mémorable n'eut lieu réellement qu'après un laps de quinze ans, les principes d'administration qu'il introduisit, les réformes qu'il opéra, et celles bien plus grandes qu'il méditoit, ont attaché à son nom l'honneur ou le blâme d'être le père de la révolution française.

Turgot avoit été destiné pour l'église par sa famille. Il fut élevé, en conséquence, au séminaire de St.-Sulpice, et fut prieur de Sorbonne.

Dès cette époque, il se fit remarquer par un discours infiniment éloquent qu'il prononça

sur l'utilité de la religion chrétienne. « La morale des Païens, y disoit-il, ne consistoit que dans l'art de former des citoyens d'une nation particulière, ou des philosophes distingués par la prééminence de leurs préceptes, sur ceux de leurs contemporains; tandis que la morale chrétienne a pour base, au contraire, des devoirs et des obligations; fait de l'homme une nouvelle créature; enseigne et protége l'égalité des droits; condamne et combat l'esclavage domestique ou féodal; et a contribué, par la douceur de ses préceptes, à modérer cet esprit inquiet et turbulent, qui caractérisoit les anciens peuples du monde. »>

Il n'y a rien de neuf dans ces observations; mais l'opinion d'un homme aussi éclairé que Turgot, sur un sujet aussi important, mérite d'être souvent répétée. Si les philosophes réformateurs de notre siècle avoient émis ou publié des opinions aussi raisonnables que celles de leur maître, nous n'aurions pas à déplorer, sans doute, quelques-uns des effets de la révolution française.

M. Turgot essaya bientôt après d'établir une doctrine qui a été beaucoup mieux reçue; celle du progrès continuel de l'esprit humain vers la perfection, ou ce qu'on appelle la doctrine de la perfectibilité. Dans cet ouvrage, qui n'a point encore été publié, il considère certains événemens sous leur rapport avec ce perfectionnement, et il fait remarquer la rapidité de leur influence. La révolution d'Amérique, qu'il vécut assez pour pouvoir se réjouir de son glorieux succès et de sa consolidation, est un de ces événemens. Il en conçut des espérances, qui paroissent prêtes à se réaliser, sous l'administration du sage président qui gouverne aujourd'hui ce pays

immense et intéressant.

Ce système de la perfectibilité n'étoit pas une simple hypothèse, ou une vaine théorie dans l'esprit de M. de Turgot; c'étoit un principe qui le dirigeoit constamment dans toutes ses actions; et la généralité de Limoges, dont il fut intendant pendant quinze ou vingtans, eut le bonheur de voir en lui le phénomène d'un administrateur qui se faisoit un devoir de modérer ou d'adoucir ces calamités

fiscales

fiscales, que ses prédécesseurs ou ses collègues se croyoient obligés d'étendre; et qu'ils se faisoient souvent un mérite et un plaisir d'aggraver. On ne lui a jamais vu publier aucun édit, ou aucune déclaration oppressive. Quoiqu'il ne fût qu'un simple mandataire, chargé d'exécuter les lois, il refusa constamment d'y concourir, lorsqu'elles lui parurent avoir ce résultat; et c'est un de ces refus qui le fit remarquer par le roi. C'étoit la coutume lorsqu'on envoyoit les intendans en province, de les admettre au conseil pour y recevoir leurs instructions. Celles que l'abbé Terray donnoit à M. Turgot, contenoient des ordres pour la perception de nouveaux impôts, auxquels il s'opposa avec fermeté, en priant le roi d'accepter sa démission, plutôt que de se servir de lui, comme d'un instrument, pour écraser ses sujets, qui n'étoient déjà que trop accablés. Le roi ne lui répondit pas un seul mot; mais , peu de temps après, M. Turgot fut nommé au ministère de la marine, d'où il passa au contrôle-général des finances, en remplacement de l'abbé Terray.

M. Turgot n'accepta cette place impor-
VOL. I.

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tante, qu'avec beaucoup de difficulté, et après avoir fait différentes conditions, dont les principales étoient l'économie la plus sévère; point de banqueroute; point de nouveaux impôts, et point d'emprunts. Il expliqua, dans un mémoire, les motifs de ces conditions, qui sont trop simples et trop évidens pour qu'il soit nécessaire de les rappeler. En entrant en fonctions, il trouva son département dans le plus grand désordre, comme il est aisé de se l'imaginer; les dépenses excédoient de beaucoup les recettes; on avoit fait d'énormes anticipations, et il y avoit encore un arriéré considérable. Sa première grande opération fut d'établir la liberté du commerce des grains dans l'intérieur. Cette mesure ranima toute la France, et obtint l'approbation de tout le monde, à l'exception de ceux qui étoient intéressés à la combattre, et à s'y opposer. Leur résistance fut violente; et on compta au nombre des plus redoutables antagonistes de M. Turgot, un homme devenu célèbre depuis, M. Necker, qui étoit à cette époque banquier à Paris ; et dont les mémoires du temps présentent l'opposition, meins comme un effet d'une différence d'opi

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