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LETTRE III.

A M. de St.-Germain,

(Sans date.)

MONSIEUR, le mode uniforme de manoeuvre pour toute l'infanterie française, que vous m'adressez, est absolument nécessaire. Vous le proposez, et je lui donne, avec plaisir, mon approbation. Il trouvera, sans doute, des contradicteurs, mais il doit plaire aux vrais militaires. Vous demandez, dans un autre mémoire, qu'il soit institué pour les soldats et pour les bas-officiers un ordre de Mars, dont les signes respectés seroient conférés, sur le champ de bataille aux braves jugés dignes de cet honneur. J'adopte cette idée avec joie : le Français, naturellement passionné pour la gloire, sent des récompenses honorables. L'ordre de Mars deviendroit pour lui un puissant aiguillon pour bien faire. C'est ainsi que les Bayard, les Crillon, les Duguesclin

faisoient des soldats et les conduisoient à la victoire. Donnez à votr: projet de nouveaux développemens, cherchez tous les moyens d'exciter l'émulation, de récompenser la bravoure, de faire parler l'honneur: le soldat français mérite bien que le chef de l'Etat s'occupe de lui.

LOUIS.

OBSERVATIONS

Sur la troisième Lettre.

AUCUN événement n'occasionna plus de surprise, à cette époque, à Versailles, que la nomination de M. de St.-Germain au département de la guerre. L'histoire de ce général est assez singulière: il prit d'abord l'habit de jésuite, et il le quitta pour entrer au service en qualité de lieutenant. Une affaire d'honneur le força de passer dans celui de l'électeur Palatin, qu'il abandonna pour suivre l'empereur Charles, qui lui donna le grade de

major-général. A la mort de ce prince, il rentra au service de France avec le rang de maréchal-de-camp, fut fait lieutenantgénéral en 1748, et fut nommé gouverneur de la Flandre pendant la paix, qui fut signée à Aix-la-Chapelle. En 1760, une dispute qu'il eut avec le maréchal de Broglio, le détermina à passeren Danemarck, où le roi le fit officiergénéral, et lui donna le commandement de toutes ses troupes. Obligé de se démettre de cet emploi à la mort du roi, il se retira près de Worms, et se fixa définitivement en Alsace.

Cette nomination étonna d'autant plus, qu'on n'avoit jamais vu son nom parmi les candidats pour le ministère. Voici comme on la raconte dans les mémoires du temps.

Monsieur de Malesherbes s'entretenant, dans son cabinet des affaires de la cour, avec M. Dubois, lieutenant de police, lui dit qu'il y avoit beaucoup de concurrens pour le département de la guerre, qui étoit alors vacant; et il lui nomma messieurs du Châtelet, de Breteuil, de Castries et de Vaux. « Toute la

cour est en mouvement, ajouta M. de Malesherbes Qui choisiriez-vous, mon ami, si vous êtiez à la place du roi?» «Une personne, monseigneur, répondit aussitôt M. Dubois, qui n'est pas sur les rangs, parce que la vertu et le mérite se cachent; M. le comte de SaintGermain. »« Vous avez raison», s'écria le ministre! «c'est un homme d'un grand mérite, et qui s'est montré supérieur aux infortunes et aux injustices; mais nous faisons ici des châteaux en Espagne ; il n'a point de protecteurs. Ah! si j'étois le maître!.... » La conversation en resta-là. Mais, le même soir, il vint à parler encore du nouveau choix avec M. de Maurepas, « Pendant que le roi s'en occupe, dit M. de Malesherbes, il faut que je vous communique l'idée d'un de mes amis; il pense que pense que le roi devroit nommer, à cette place, M. de Saint-Germain, J'avoue que je le crois très-capable de la remplir; mais il est absent, et sans personne qui parle pour lui.» «Sans personne, répliqua M. de Maurepas? soyons nous-mêmes ses amis; il a des talens, et indépendamment de ses connoissances militaires, il m'a écrit plusieurs, lettres pleines d'excellentes idées. » M. de

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Maurepas se rendit aussitôt chez le roi, et lui rendit compte de la conversation qu'il venoit d'avoir avec M. de Malesherbes. Le roi se décida aussitôt en faveur de M. de SaintGermain ; recommanda le plus grand secret; lui écrivit une lettre, et ordonna aux deux ministres de l'envoyer, sur-le-champ, en Alsace, par un homme de confiance. On en trouva un qui avoit suivi le général dans toutes les circonstances de sa vie. Lorsqu'il arriva chez lui, il trouva ce nouveau Cincinnatus occupé à planter un poirier. M. de Saint-Germain le reconnut aussitôt. «Est-ce vous, lui dit-il? au nom du ciel qui est-ce qui peut vous avoir amené dans ma solitude? » Une affaire d'importance, lui répondit-il; mais finissez de planter votre arbre, et nous entrerons chez vous. « Parlez toujours, j'aurois assez de temps pour planter. » Je viens, lui dit alors l'étranger, par ordre de sa majesté. « Quoi! est-ce que le roi a été encore prévenu contre un de ses plus fidèles serviteurs, qui n'a d'autre regret que de ne pouvoir plus lui être utile? Me faut-il boire encore le calice jusqu'à la lie ? Celui-ci, M. le comte, ne sera pas amer: voici la dépêche; lisez-la.... M. de

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