Page images
PDF
EPUB

On a toujours distingué le comte d'Artois comme le plus zélé et le plus déterminé partisan des mesures violentes. Lâche fugitif de sa patrie, après la prise de la Bastille et la retraite de l'armée, qui avoit été rassemblée pour dissoudre l'assemblée nationale, il parle fièrement, à son frère, de courage et de résistance; et il ose mêler des reproches à ses plaintes. La réponse du roi, à ces reproches, est pleine de dignité; et il est aisé de juger, par cette réponse, de la nature de l'accusation, « J'aurois donné, il est vrai, dit le roi, le signal du carnage, et des milliers de Français auroient été immolés. » Le comte, en sûreté au-delà du Rhin, étoit certain de la victoire, si le combat avoit eu lieu. Mais le roi en avoit calculé plus froidement les chances; il passe en revue les ennemis qu'il avoit à combattre; l'énumération n'en est pas si digne de mépris; elle étoit composée de tous les ordres de l'Etat, de tout le peuple armé contre lui, de toute l'armée, qui avoit oublié ses sermens, l'honneur et son roi. La cour n'avoit d'autre appui que ses courtisans et ses conseillers; et même les principaux, à la première explosion, avoient cherché leur salut dans la fuite.

Notre intérêt, pour ce prince infortuné, ne peut que s'accroître, lorsqu'on le voit plein de cette douce et intime satisfaction que produit le sentiment d'une bonne action, s'applaudir du refus qu'il a fait de donner le signal du carnage, que son frère désiroit avec tant d'ardeur. Il répond à ses reproches avec l'accent d'un cœur bon, simple et pénétré : « Cessez, mon frère, cessez de m'accuser; le temps, les circonstances, et inille causes, qu'il seroit trop long de détailler, ont fait le malheur de la France. » Il pouvoit le penser ainsi; il seroit injuste, il seroit cruel de lui supposer de la duplicité, dans ce moment d'effusion. Mais, exempt lui-même de tout reproche d'inconduite et de dissipation, il auroit pu, alors, parler de la prodigalité, de l'immoralité, de l'extravagance de ceux qui l'entouroient; et tracer des peintures, dont l'affreuse ressemblance auroit fait reculer, d'horreur et d'effroi, celui à qui il répondoit. Au contraire, il blâme son frère de son absence, il le presse de retourner; ce qu'il ne fit pas, heureusement pour sa patrie, et, peut-être encore, plus heureusement pour lui-même.

L'aversion du roi pour tous les changemens qui avoient été opérés, subsiste toujours dans toute sa force. Il parle de l'ingratitude, de la haine armées contre lui; il présente tous les yeux de la France, comme obscurcis; tous les esprits, égarés. La tourmente révolutionnaire a troublé, selon lui, toutes les têtes ; il assure qu'il s'est sacrifié pour son peuple; mais il est difficile de deviner quels sont ces sacrifices. Si les preuves doivent s'en trouver dans cette lettre, elles sont toutes contre lui. Le roi, à cette époque, étoit habitué à être trompé, et à se tromper lui-même : il y a cependant un sacrifice qui ne doit pas être oublié, c'est celui de la vengeance et des passions viles de ceux qui l'entouroient, qui désiroient avec ardeur d'allumer, dans tout le royaume, une guerre civile, qui ne se seroit terminée que par leur destruction totale; et qui auroit répandu la ruine et la désolation dans toutes les provinces.

LETTRE XXI I.

A M. le comte d'Estaing.

Versailles, 5 Oct. 1789, 7 h. du soir.

Vous voulez, mon cousin, que je me prononce dans les circonstances critiques où je me trouve, et que je prenne un parti violent, que j'emploie une légitime défense, ou que je m'éloigne de Versailles. Quelle que soit l'audace de mes ennemis, ils ne réussiront pas; le Français est incapable d'un régicide. C'est en vain qu'on verse l'or à pleines mains, que le crime et l'ambition s'agitent; j'ose croire que ce danger n'est pas aussi pressant que mes amis se le persuadent. La fuite me perdroit totalement, et la guerre civile en seroit le funeste résultat. Me défendre, il faudroit verser le sang des Français, mon cœur ne peut se familiariser avec cette affreuse idée. Agissons avec prudence; si je succombe, du moins je n'aurai

nul reproche à me faire. Je viens de voir quelques membres de l'Assemblée, je suis satisfait j'ose attendre qu'il s'opérera une heureuse révolution dans les esprits. Dieu veuille, mon cousin, que la tranquillité publique soit rétablie. Mais point d'aggression, point de mouvement qui puisse laisser croire que je songe à me venger, même à

me défendre.

LOUIS

OBSERVATIONS

Sur la vingt-deuxième lettre.

CETTE lettre, adressée à M. le comte d'Estaing, se rapporte aux événemens des 5 et 6. octobre. Le comte étoit alors commandant de la garde nationale de Versailles; et, au mo→ ment où cette lettre fut écrite, il se trouvoit à la tête des gardes-du-corps, du régiment de Flandres, des dragóns, et des gardes suisses. Ces troupes étoient placées devant le palais

de

« PreviousContinue »